José LEMA « Fichureos »
Détail "Sabel", 2023 de José LEMA - Courtesy de l'artite et de la Galerie Almine RECH - Paris © Photo Éric Simon
Du 18 novembre au 22 décembre 2023
Almine Rech Paris a le plaisir de présenter la troisième exposition personnelle de José Lerma à la galerie. En à peine une douzaine de coups de pinceau sur chaque toile de jute, José Lerma peint des topographies. Ses aplats de couleurs subtiles, renforcés par d’épais amas de peinture acrylique, forment une image figurative – l’ensemble paraît représenter une femme au carré court, ou aux cheveux noirs enroulés autour d’un cou allongé.
Lerma s’était qualifié lui-même de paysagiste : ici, ses portraits – qu’il appelle des « abstractions en forme de personnes » - sont rendus avec un geste distinctif qui donne des œuvres qui tiennent à la fois de l’identifiable (la figure humaine) et de l’inconnu (l’artificiel, l’anonyme).
"Mina", 2023 de José LEMA - Courtesy de l'artite et de la Galerie Almine RECH - Paris © Photo Éric Simon
Cette tension paradoxale donne son titre à sa dernière exposition. Fichureos est un terme d’argot portoricain dérivé de l’anglais « to feature », hispanisé pour former un néologisme populaire chez les musiciens de reggaeton. On pourrait le traduire par ostentation, ou frime, prétentieuse et tapageuse.
Le verbe to feature partage une racine latine avec facture – l’acte de créer quelque chose – et veut dire mettre l’accent sur telle ou telle partie du corps, émotion ou énergie, dans un choix esthétique qui lie d’autant plus le mot au processus de création artistique. Pour Lerma, fichureo devient un moyen irrépressible de penser les liens entre apports physiques et philosophiques.
"Pepe", 2023 de José LEMA - Courtesy de l'artite et de la Galerie Almine RECH - Paris © Photo Éric Simon
"Solandi", 2023 de José LEMA - Courtesy de l'artite et de la Galerie Almine RECH - Paris © Photo Éric Simon
Composée d’une série de grands portraits faisant appel à la technique de l’empâtement, l’exposition représente une évolution du travail récent de l’artiste issue de la même expérience initiale. « J’ai eu une révélation en observant le Réception du Grand Condé à Versailles de Gérôme au Musée d’Orsay, où les petits personnages secondaires représentés sur les balcons sont esquissés en quelques rapides coups de pinceau », explique l’artiste. Ce qui n’était que figures secondaires devient central : il choisit de mettre en lumière des sujets habituellement relégués à la périphérie, ce qui crée donc une autre dichotomie entre arrière-plan et featuring.
"Sabel", 2023 de José LEMA - Courtesy de l'artite et de la Galerie Almine RECH - Paris © Photo Éric Simon
"Liana", 2023 de José LEMA - Courtesy de l'artite et de la Galerie Almine RECH - Paris © Photo Éric Simon
Du point de vue formel, les portraits de Fichureo reflètent aussi cette contradiction. Les couleurs sont séduisantes, apaisantes, la matière affirme sa présence avec force. On voit les traits de peinture stricts et larges rencontrer la douceur de la palette, tandis que la source de lumière vive et théâtrale illumine le dos de plusieurs personnages, dont les visages obscurcis restent non-identifiables.
Lerma lui aussi profite de la dynamique du fichureo, qui permet de vanter des attributs précieux ou perçus comme tels en réalisant des portraits qui reflètent cette même sensation d’inauthenticité. Les sujets ne sont pas de vraies personnes, mais plutôt des composites ou des fictions, tous peints sans contexte et rappelant des mannequins de vitrine.
"Leo", 2023 de José LEMA - Courtesy de l'artite et de la Galerie Almine RECH - Paris © Photo Éric Simon
"Trini", 2023 de José LEMA - Courtesy de l'artite et de la Galerie Almine RECH - Paris © Photo Éric Simon
Bisectées à l’extrême, toutes ces figures incarnent une scission, celle de deux modalités différentes qui se rejoignent sur une ligne centrale. Lerma s’intéresse aux mouvements d’attraction/répulsion qui émergent d’un paradoxe, même s’il tend plutôt vers la coexistence. Une partie de son désir consiste simplement à jouer avec la forme et la matière, en exagérant la mesure dans laquelle il se permet d’explorer les faux-semblants et la tromperie, notamment à travers des œuvres définies par leur composition physique. Pour en revenir au contraste entre figure et abstraction, Fichureos regroupe ce que l’artiste appelle des « portraits en peinture », ou portraits de la peinture elle-même, ce qui bouleverse une fois de plus la notion de ce que peut être le portrait.
« Il y a toujours quelque chose qui n’est pas », dit Lerma. En disant cela, il nous rapproche un peu plus de la clarté.
- Grace Ebert, écrivaine et éditrice
Galerie Almine RECH
64 rue de Turenne
75003 Paris
Jours et horaires d’ouverture : du mardi au samedi de 11h à 19h.