Du 13 Mars au 10 Mai 2014
Trente ans après leur présentation à la galerie Texbraun sous le titre De l’angoisse à l’extase, lors du mois de la photo 1984, la galerie baudoin lebon ressort au grand jour un ensemble de 47 planches provenant du service photographique de la Salpêtrière et représentant les symptômes physiques de l’hystérie.
Document du service de la Salpêtrière, 1893, Albert LONDE
Les progrès techniques de la photographie sont rapidement mis au service de la médecine : des images successives rendent compte, à la manière de Muybridge, de la déformation progressive des membres et des visages et l’instantanéité permet de capter au plus près la tension du corps au paroxysme de la crise.
Document du service de la Salpêtrière, 1893, Albert LONDE
Mais la force de ces clichés se révèle à travers leur nombre, qui témoigne de la théâtralité avec laquelle les patients, dociles, sont « invités » à prendre la pose. Dans un décor élaboré à cet effet, le professeur Charcot provoque véritablement la crise d’hystérie pour les besoins de la prise de vue. Cette mise en scène méticuleuse attribue-t-elle pour autant une dimension artistique à ces images d’étude ?
Document du service de la Salpêtrière, 1895, Albert LONDE
La représentation de l’étrangeté humaine, dans ses divers aspects, se renouvelle aujourd’hui à travers la photographie artistique contemporaine. Nous exposerons donc, pour l’occasion, des œuvres de Joel-Peter Witkin et de Roger Ballen et Les Krims qui, à tort ou à raison, nous semblent faire écho aux planches de la Salpêtrière, d’un point de vue plastique d’abord, mais aussi par l’intense présence des personnes photographiées.
Document du service de la Salpêtrière, 1893, Albert LONDE
Les planches du Dr. Charcot à la Salpêtrière Dès 1869, les médecins et chercheurs de la Salpêtrière ont recourt à la photographie pour illustrer leurs recherches. Conscient des possibilités offertes par ce procédé, l’hôpital crée le Service photographique de
la Salpêtrière en 1882, sous la direction du photographe Albert Londe. Les épreuves originales présentées dans cette exposition proviennent du fonds constitué par ce service. Certaines ont été publiées dans la Nouvelle Iconographie photographique de la Salpêtrière.
(1888-1918), fondée par Paul Richer, connu pour ses dessins médicaux, Gilles de la Tourette et Albert Londe, et dirigé par Jean-Martin Charcot.
Cette revue fait suite à l’Iconographie photographique de la Salpêtrière (1875-1879) et à la Revue photographique des Hôpitaux de Paris(1869-1872).
Document du service de la Salpêtrière, 1892, Albert LONDE
Document du service de la Salpêtrière, 1892, Albert LONDE
La photographie connaît un vif succès dans le milieu hospitalier car, mieux que les gravures ou les dessins, elle garantit des représentations véridiques et facilite l’élaboration des diagnostics. Dans l’étude de certaines affections nerveuses, telles l’épilepsie, l’hystéro-épilepsie, la grande hystérie, où l’on rencontre des attitudes, des états essentiellement passagers, la photographie s’impose pour garder l’image exacte de ces phénomènes trop peu durables pour être analysés par l’observation directe. (Albert Londe, La photographie médicale. Application aux sciences médicales et physio-logiques, 1893).
Document du service de la Salpêtrière, 1895, Albert LONDE
La pratique de Charcot suscite très vite l’incompréhension. Déjà à l’époque, ses célèbres leçons du mardi sont taxées d’ « exhibitions théâtrales » (propos par relayés par Henri Meige dans son Charcot artiste, 1893). Aujourd’hui aussi, certains parlent de « spectacle » (George Didi-Huberman, Invention de l’hystérie. Charcot et l’Iconographie photographique de la Salpêtrière, 1982). Freud, qui a assisté à ces leçons et les a traduites en allemand, ne semble pas avoir été choqué par les pratiques en vigueur à la Salpêtrière.
Il ne s’agit pas ici de prendre parti, pour ou contre Charcot. Mais la présentation de ces planches et leur histoire soulève inévitablement des questions artistiques, scientifiques, philosophiques...
Document du service de la Salpêtrière, 1899, Albert LONDE
Charcot fabrique, au sens le plus fort de ce verbe, l’hystérie, pour en maîtriser les symptômes. D’où l’arsenal technologique de la Salpêtrière, photographies comprises : l’hystérie peut enfin se voir, se sérier, se lire. Telle cette « attaque d’hystérie chez l’homme » datée de 1885 qui nous montre un véritable abécédaire anthropomorphe. Ces corps, rebelles en apparence, peuvent devenir des machines dociles sous l’effet de la voix du maître, voix qui fait marcher au doigt et à l’œil, parfois même à la baguette.
On passe ainsi de l’absence sauvage de la crise à une absence domestiquée, celle de l’hypnose. Mais le plus fort, c’est que la crise elle-même devient un moment maîtrisable et ce, grâce à l’atelier photographique de la Salpêtrière : on y amène en effet le patient pour fixer ces symptômes, à la façon dont, de nos jours, un patient hospitalisé va se faire radiographier. Ainsi il était possible de provoquer un état cataleptique par un coup de gong imprévu, tandis que le photographe réglait sa chambre pour un supposé portrait.
(Claude Léger, « De l’hystérie » in : De l’angoisse à l’extase, Galerie Texbraun, 1984)
The Aleph, 2001, Joël Peter WITKIN
Joel-Peter Witkin, Roger Ballen et Les Krims
Nous avons voulu exposer des œuvres de Joel-Peter Witkin en même temps que les planches de la Salpêtrière parce qu’un même travail de mise en scène, dans un but bien évidemment différent, caractérise ces photographies.
Venus and Eros in the purgatory, 1981, Joël Peter WITKIN
A la manière d’un scénographe, Witkin rassemble et dispose avec le plus grand soin les décors et objets parmi lesquels son modèle prend place. Il y a dans les deux cas, sinon une fascination, du moins un profond attrait pour ces corps altérés et leurs particularités physiques. Certains attributs, dans les portraits de Witkin, rappellent d’ailleurs les instruments médicaux et le mobilier hospitalier.
L’hystérie est une notion complexe, dont le sens a évolué depuis l’époque de Charcot. Mais dans nos esprits, ce mot évoque inévitablement la folie. Les œuvres de Roger Ballen et de Les Krims s’imposent ici comme des représentations contemporaines de la folie humaine. L’image est construite demanière à nous montrer des personnages manifestement aliénés.
Herman with hammer, 1999, Roger BALLEN
Galerie BAUDOIN LEBON
8, rue Charles-François Dupuis
75003 Paris - France
http://www.baudoin-lebon.com
Horaires et jours d'ouverture: Du mardi au samedi de 11h à 19h