Du 24 Mai au 19 Juillet 2014
Many Particle System, 2012
"Sa topographie temporelle sera complète : il aura à la fois la forme magmatique et la forme progressive de la réalité"
P.P. Pasolini, La divine mimesis, 1964
Luka Fineisen provoque des phénomènes physiques. Elle les provoque notamment au sens imagé du terme, elle les met en demeure d’advenir, s’en joue avec un respect que ne dément pas un humour partout présent, mais discret et très distancié. On peut dire, avec la même polysémie et la même langue parlée, qu’elle les « cherche ». Tout ce que nous allons voir dans cette première exposition à la Galerie Claudine Papillon signifiera qu’elle les a trouvés.
Temptation, 2014 en arrière plan "KATHARSIS", 2009
Il paraît tautologique de déclarer que son médium est la matière, cependant son travail se situe précisément à ce croisement des exercices : science, expérimentation, contemplation, élaboration d’une poétique concrète, qui veut que la matière advienne, du fait de l’intervention de l’artiste, dans sa plénitude même.
Le paradoxe de ce déploiement de la matière dans toute son ampleur réside dans l’usage ascétique des moyens. C’est en faisant apparaître des formes simples que Luka Fineisen génère de l’évidence.
Ce qui est utilisé ici en termes de moyens relève, donc, de l’élémentaire. Le glamour, ici, est un truchement, transformé par la mise en évidence de sa propre fragilité, et mis au service de desseins esthétiques radicaux.
"Silicone Valley", 2011 en arrière plan "Liquid Area" (casque audio), 2014
Variations sur le souffle, 1. Deux ventilateurs pulvérisent, dans l’espace confiné d’une boîte transparente, des particules métalliques qui s’amalgament selon des lois apparemment aléatoires, obéissant pourtant strictement à la physique, formant tour à tour des motifs somptueux, des scintillements éclatés, des opacités miroitantes. Dans les intervalles de folle mobilité entre les états stables du matériau, on peut être pris d’un dégoût passager, tant les précieuses paillettes prennent l’aspect d’un essaim de moucherons.
Dans cette pièce comme dans bien d’autres travaux de Luka Fineisen, la connectique des appareils est très valorisée visuellement, adossant l’affirmation de l’artifice à l’imitation de la nature. Esthétique minimaliste et évocations industrielles se côtoient très fréquemment dans ce qu’elle montre, pour mettre en lumière, avec l’évidence du contraste, la poésie extrêmement pure du résultat.
Sediment I, II, III, 2014
Variations sur le souffle, 2. De grandes bulles de savon figées dans la perfection de leur fragilité mettent le parcours du visiteur en déséquilibre. On les croirait tout juste posées à terre, très récemment étalées à son contact. La représentation de cette rencontre à peine effectuée contamine jusqu’au sol, que l’inévitable idée de leur éclatement transforme fantasmatiquement en zone sismique.
Pendant à ces bulles, d’autres ; apparemment encore en mouvement, elles sont glacées dans la transparence aquatique de la résine qui les contient. Le format mural, concession magistrale aux codes de la représentation, est accusé par l’inclinaison de l’une de ces épaisses plaques rectangulaires. Il est également redoublé par une autre version du vertical, évocateur de tapisserie, de chute d’eau, d’écoulement du temps dans un sablier, déclinaison complémentaire de l’immobilisation du mobile. On croirait voir couler et s’amalgamer une matière opulente et flatteuse qui, à mieux y regarder, est figée dans sa propre splendeur.
Amas, coulures, fontes et effondrements sont les procédés privilégiés de ce travail qui, quelque traitement qu’il réserve au medium, a toujours pour objet de matérialiser un état très ténu, voire un instant de la matière. Mélange de fluides, affleurements, modifications thermique ou chimique, les pratiques utilisées rendent toutes compte de la perpétuelle transformation de la matière, en même temps qu’elles offrent au spectateur d’en voir des extraits arrêtés dans leur cours.
La majeure partie du temps, Luka Fineisen élabore des travaux in situ à très grande échelle, dispositifs actifs autonomes et très impressionnants, fonctionnant sur un double principe d’invasion et de redéfinition de l’espace. On y est toujours confronté à des corps paradoxaux, évanescents et matériels : fluides, mousses en mouvement, vapeurs, émis et circulant.
Une exposition en galerie, donc dans un espace plus restreint, met en place le même type de rapports, de forces et de tensions à une autre échelle. Loin d’être une concession au format ou une citation des grandes pièces, le travail de taille "portative" en est presque une extension, tant est crucial l’impératif de concentrer les mêmes enjeux à l’extrême de leur visibilité.
Eléonore Marie Espargilière
Luka FINEISEN est née en 1974 à Offenburg, en Allemagne. Après une formation à l’école des Beaux-arts de Düsseldorf, Luka Fineisen vit et travaille aujourd’hui à San Francisco. Extracts of Glamour est sa première exposition personnelle à la galerie Claudine Papillon. En 2012, la Maison rouge, Foundation Antoine-de-Galbert, lui a consacré dans le patio une exposition intitulée Fluide parfait.