Du 10 Janvier au 28 février 2015
"Double progresion azul y negra", 1975 de J.R Soto Courtesy Galerie Perrotin © Photo Éric Simon
"La aguja negra", 1962 de J.R Soto Courtesy Galerie Perrotin © Photo Éric Simon
"Sans titre", 1961 de J.R Soto Courtesy Galerie Perrotin © Photo Éric Simon
La Galerie Perrotin présente « Chronochrome », une double exposition de Jesús Rafael Soto (1923-2005), occupant simultanément les espaces de Paris et New York.
Organisée en collaboration avec l’Estate de l’artiste, l’exposition dont le commissariat a été confié à Matthieu Poirier comporte une soixantaine d’œuvres réalisées entre 1957 et 2003 en provenance de collections privées et de musées. En 2012, la Grey Art Gallery à New York présente « Soto : Paris and Beyond, 1950-1970 », une grande exposition réunissant une cinquantaine d’œuvres de l’artiste et en 2013, le Musée National d’Art Moderne-Centre Georges Pompidou consacre une exposition à Soto autour d’une vingtaine d’œuvres-clés données en dation. En 2014 le Museum of Fine Arts à Houston et l’Art Institute à Chicago (2014-2015) présentent respectivement deux installations : le « Pénétrable Houston » et le « Pénétrable Chicago ».
"Sans titre (La ficelle) ", 1961 de J.R Soto Courtesy Galerie Perrotin © Photo Éric Simon
"Cube de PARIS", 1990 de J.R Soto Courtesy Galerie Perrotin © Photo Éric Simon
"Modulation du jaune", 1966 de J.R Soto Courtesy Galerie Perrotin © Photo Éric Simon
Les œuvres de l’artiste occupèrent également une place importante dans les expositions « Dynamo. Un siècle de lumière et de mouvement dans l’art. 1913-2013 » (2013) aux Galeries Nationales du Grand Palais à Paris et « ZERO : Countdown to Tomorrow, 1950s–60s », récem- ment au Guggenheim Museum à New York, quarante années après la grande rétrospective de Soto en 1974 dans le bâtiment de Frank Lloyd Wright.
"Seis pianos vibrantes", 1988 de J.R Soto Courtesy Galerie Perrotin © Photo Éric Simon
Détail "Seis pianos vibrantes", 1988 de J.R Soto Courtesy Galerie Perrotin © Photo Éric Simon
Né au Venezuela en 1923, Jesús Rafael Soto reçoit sa formation à l’École des Beaux-Arts de Caracas et s’installe à Paris en 1950, où il résidera en alternance avec Caracas, jusqu’à sa disparition en 2005. Son œuvre se définit progressivement à partir de ses premières réalisations parisiennes, sous l’influence du néo-plasticisme de Piet Mondrian et des théories de Laszló Moholy-Nagy sur la lumière et la transparence exposées dans son ouvrage « Vision in Motion ». Sous le titre « Chronochrome », il s’agit dans la présente double exposition de qualifier l’exploration hautement vibratoire de la monochromie menée par Soto, chez qui la couleur pigmentaire délaisse, le plus souvent, le support stable du plan pour accéder au rang de pur phénomène, lequel se joue dans l’espace et le temps réels de la perception.
"Muro azul, negro y plata", 1966 de J.R Soto Courtesy Galerie Perrotin © Photo Éric Simon
"Petit rond rose", 1998 de J.R Soto Courtesy Galerie Perrotin © Photo Éric Simon
À ce titre, à propos des premiers reliefs de plexiglas du début des années 1950, le critique d’art Jean Clay explique que Soto obtient, « par le jeu des rayures diversement inclinées, d’éton- nants effets de pesanteur inégale, comme si chaque plaque correspondait à l’atmosphère d’une planète différente, comme si chaque série de rayures obéissait différemment aux lois de l’attraction universelle [...] Un pas de côté et tout un jeu de lévitations divergentes se met en branle, créant la sensation troublante que des règles physiques contradictoires règnent simultanément sur le micro-espace que Soto a su prendre au piège. »
"Première vibration", 1957 de J.R Soto Courtesy Galerie Perrotin © Photo Éric Simon
"Duomo centro rosso", 1997 de J.R Soto Courtesy Galerie Perrotin © Photo Éric Simon
Car il s’agit d’une expérience psycho-physiologique — et non pas imaginaire — de l’apesanteur qui est en jeu, au sein d’un univers traversé de forces qualifiées de « non-euclidiennes », autrement dit échappant à l’appréhension rationnelle. Dans le catalogue de l’exposition consacrée à l’artiste en 1969 par l’ARC / Musée d’art moderne de la Ville de Paris, puis par le Stedelijk Museum à Amsterdam, le même Jean Clay souligne la dimension hautement spirituelle de la « dématérialisation radicale » menée par l’artiste.
Il cite ainsi Kasimir Malevitch, lequel s’en prenait, plus de cinquante auparavant, au cadre théorique qui, selon lui, gouvernait la pourtant très jeune peinture abstraite : « Alors, affirme donc le critique, se réalise [la] prophétie [de Malevitch] en 1919 : « Celui qui fait des constructions abstraites, et qui se fonde sur des rapports mutuels des couleurs au sein du tableau, celui-là est encore enfermé dans le monde de l’esthétique, au lieu de baigner dans la philosophie ».
"Toute blanche", 1997 de J.R Soto Courtesy Galerie Perrotin © Photo Éric Simon
"Ecriture bleu central", 1999 de J.R Soto Courtesy Galerie Perrotin © Photo Éric Simon
"Sans titre", 1958 de J.R Soto Courtesy Galerie Perrotin © Photo Éric Simon
Il s’agit pour Soto d’échapper à cette logique de fermeture picturale : l’œuvre se doit d’être « ouverte », pour reprendre l’expression formulée par Umberto Eco à propos de l’art cinétique dès 1962. Jean Clay semble trouver l’incarnation ultime de cette logique dans les « Pénétrables » de Soto (dès 1967). Il présente ainsi cette « pluie » de fins tubes de plastique translucides ou colorés comme l’ultime développement de l’« espace ambivalent » qui se fait jour dans son œuvre depuis le début des années 1950.
"Distribution aléatoire", 19!ç de J.R Soto Courtesy Galerie Perrotin © Photo Éric Simon
Les œuvres rassemblées aujourd’hui à la Galerie Perrotin à Paris et à New York peuvent s’avérer déroutantes, vertigineuses et insaisissables. L’œil, mais aussi parfois le corps, par exemple dans un « Pénétrable », se trouvent subtilement piégés par une perspective multiple, où aucun point de vue n’est privilégié. Ils errent sans fin dans des espaces atomisés, oscillant entre tableau et sculpture, objet et image. Pour le dire cette fois avec Henri Bergson, une œuvre de Soto, parce qu’elle envahit notre espace perceptif sans jamais se laisser saisir pleinement, est un objet que personne n’a jamais vu et ne verra jamais dans sa totalité.
"Pénétrable BBL bleu", 1999 de J.R Soto Courtesy Galerie Perrotin © Photo Éric Simon
Détail "Pénétrable BBL bleu", 1999 de J.R Soto Courtesy Galerie Perrotin © Photo Éric Simon
Que ce soit par le biais d’un relief mural, d’une sculpture ou encore d’un environnement, c’est à une expérience dynamique de l’immatérialité, renouvelée à chaque contemplation, que nous invite cet acteur majeur de l’histoire de l’abstraction radicale : celle d’une incomplétude, d’un continuum espace-temps dont le récit et le document failliront toujours à rendre compte. Car plus que tout autre tableau, relief ou sculpture de l’histoire de l’abstraction, l’art cinétique de Soto est irréductible à la photographie. À l’ère du tout-image, c’est peut-être là sa première qualité.
Galerie Perrotin
76 rue de Turenne
75003 Paris
https://www.perrotin.com
Horaires d'ouverture: Du mardi au samedi de 11h00 à 19h00.