"Foyer désaffecté", 2006 de Yang Shun-Fa - Courtesy MEP
Du 3 Février au 27 Mars 2016
Photographies de Yang Shun-Fa, Hung Cheng-Jen, Chen Po-I, Yao Jui-Chung
À travers la sélection de quatre photographes taïwanais, c’est une disposition à la réflexion sociale et à ses échos spirituels, propre à ce pays à la fois moderniste et traditionnel, que nous voulons sonder. Car ces photographies parlent surtout des blessures infligées à la société par une industrialisation massive, ou par la férocité des catastrophes naturelles en pays tropical. Elles portent un point de vue sur un état d’esprit, sur une désillusion sourde qui fait pendant à une apparence habituellement paisible et joviale de la population.
Les lendemains qui déchan- tent "lendemain chagrin" laissent aussi apparaître une spiritualité qui convoque à tout moment les disparus et leurs ombres. Cette manière distancée, sensible et subtile de dire les choses tragiques et d’évoquer des émotions sans les montrer de front, fait l’homogénéité de la présentation de ces artistes taïwanais.
"Foyer désaffecté", 2007 de Yang Shun-Fa - Courtesy MEP © Photo Éric Simon
"Typhon Morakot (Village de Nanshalu)", 2010 de Chen PO-I - Courtesy MEP
Et elle nous renvoie aussi très directement à nos propres appréhensions et détresses.
L’ascension économique de Taïwan depuis les années 1980, portée par la production des com- posants informatiques et par les nouvelles technologies, est dans toutes les mémoires (le “made in Taiwan” avant le “made in China”).
Mais l’installation d’un nouveau port industriel et pétrolier – terminal de containers dans la grande ville de Kaohsiung (trois millions d’habitants) entraîne la disparition du port ancien et du village de pêcheurs de Hongmaogang.
"Errance dans les ruines", 2004 de Yao Jui-Chung - Courtesy MEP
"Lieu de mélancolie", 2005 de Hung Cheng-Jen - Courtesy MEP
"Foyer désaffecté", 2007 de Yang Shun-Fa - Courtesy MEP
"Foyer désaffecté", 2007 de Yang Shun-Fa - Courtesy MEP © Photo Éric Simon
C’est de cette destruction planifiée, effective en 2006, que parlent les deux artistes Yang et Hung, qui ont accompagné depuis deux décennies, à la fois la lutte des populations pour garder leur lieu de vie, puis la souffrance de l’abandon forcé et de l’annihilation des souvenirs.
YANG Shun-Fa reconstitue dans les habitations désertées une forme de vie en accumulant les objets, qui sont les indices d’une présence humaine passée, visiblement anéantie ; il s’intéresse particu- lièrement aux photographies laissées derrière eux par les occupants. Son travail en format panoramique (“Home and Rootless”), d’abord en noir et blanc volontairement ténébreux s’est ensuite développé en couleur pour manifester visuellement le traumatisme des sentiments. Le “réalisme fantastique” de ses images se prête à l’évocation de la vie et de la mémoire.
"Foyer désaffecté", 2006 de Yang Shun-Fa - Courtesy MEP © Photo Éric Simon
"Foyer désaffecté", 2006 de Yang Shun-Fa - Courtesy MEP © Photo Éric Simon
"Lieu de mélancolie", 2005 de Hung Cheng-Jen - Courtesy MEP
HUNG Cheng-Jen excelle dans le photomontage en relief, une technique qui lui est très per- sonnelle, assemblant des fragments de ses tirages photographiques, qui lui permettent de restituer des vues partiellement réelles et fictives du village, en ajoutant des personnagesou sa propre présence, afin d’exprimer avec force la désolation, l’effroi, l’angoisse de la déshumani- sation des relations, sans compter le courroux des dieux (“Place of Melancholy”).
Les catastrophes naturelles rythment la vie de Taïwan. Le typhon Morakot fit plusieurs centaines de victimes en août 2009 en provoquant un torrent de boue qui a enseveli maisons et habitants d’un village.
"Lieu de mélancolie", 2005 de Hung Cheng-Jen - Courtesy MEP © Photo Éric Simon
"Lieu de mélancolie", 2006 de Hung Cheng-Jen - Courtesy MEP © Photo Éric Simon
"Typhon Morakot (Village de Nanshalu)", 2010 de Chen PO-I - Courtesy MEP © Photo Éric Simon
"Typhon Morakot (Village de Nanshalu) de Chen PO-I - Courtesy MEP
CHEN Po-I, de retour sur les lieux après déblaiement, montre que les traces insolites, sur les murs des habitations, de cette boue dévastatrice, dont la violence est visible dans des formes déchiquetées.
Deux autres séries de CHEN se concentrent sur la signification des traces : celles que laissent sur leurs vêtements de protection des pétards et feux d’artifice tirés à bout portant auxquels s’exposent volontairement les participants d’une cérémonie ancestrale (“Firework Baptist”) ; les formes suggestives des fientes d’oiseaux sur des galets de bord de mer (“Stone Age”) seraient a priori plus attrayantes, mais ce sont encore les fantômes qui surgissent (toujours très présents dans la culture taïwanaise).
"Stone Age" de Chen PO-I - Courtesy MEP
"Baptême du feu I", 2012 de Chen PO-I - Courtesy MEP © Photo Éric Simon
"Errance dans les ruines", 2004 de Yao Jui-Chung - Courtesy MEP
YAO Jui-Chung a systématiquement exploré des sites en ruine, depuis plus de vingt ans. Rui- nes de parcs d’attraction, de bâtiments militaires, d’usines, tous ces lieux en décrépitude qui sont victimes de décisions arbitraires, de faillites, de délocalisations industrielles.
Le temps y défait lentement des structures mais s’y accumule aussi en de nouvelles strates, végétales, minérales, organiques, parfois proliférantes. Chaque lieu se prête à une autre his- toire, imaginaire, il prend une nouvelle signification, avec laquelle l’esprit de l’artiste (et celui du regardeur) entre en nrésonance, jusqu’à révéler en soi-même “un esprit solitaire presque
abandonné”(Yao Jui-Chung).
Commissaires de l’exposition : Michel FRIZOT et SU Ying-Lung
Chargée d’exposition : Sophie kulczewski
"Errance dans les ruines", 2004 de Yao Jui-Chung - Courtesy MEP © Photo Éric Simon
Maison Européenne de la Photographie
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Horaires d'ouverture: du mercredi au dimanche de 11h à 20h.
Fermé lundi, mardi et jours fériés.