Du 6 Avril au 1er Août 2016
Le Centre Pompidou propose une nouvelle traversée de l’oeuvre de l’un des artistes les plus emblématiques du 20è siècle, figure singulière de la modernité : Paul Klee.
≪ Nul n’a besoin d’ironiser a mes depens, je m’en charge moi-meme. ≫ Paul Klee (janvier 1906)
Cette exposition se propose de relire pour la première fois l’ensemble de l’oeuvre de Paul Klee à l’aune des correspondances que celui-ci affiche avec les concepts romantiques de l’ironie, caractérisés comme une « bouffonnerie transcendantale ». Se représentant tour à tour comme moine ou comme comédien, Klee affine tout au long de sa vie une stratégie jouant sur les anta- gonismes, procédé fondamental dans la définition de l’ironie romantique. Il oscille entre affirma- tion et négation, intégrant dans sa création une réflexion sur les moyens et les principes propres à l’art. Selon lui, celui-ci devrait être « un jeu avec la loi » ou « une faille dans le système ».
Cette exposition dévoile comment, au fil des différentes périodes de sa carrière, Klee parvient à dénoncer avec ironie les dogmes et les normes établis par ses contemporains, de ses débuts satiriques à son exil à Berne, en passant par ses années au Bauhaus. Pour le compositeur Pierre Boulez, l’insoumission de Klee, sa façon de poser simultanément « le principe et la trans- gression du principe », serait ainsi la plus importante des leçons de l’artiste.
"Jeune fille, se baissant, suivie d'un basset ressemblant à un serpente", 1906 de Paul KLEE © Photo Éric Simon
"Deux hommes se rencontrent, pensant chacun que l'autre lui est supérieur", 1903 de Paul KLEE © Photo Éric Simon
Les débuts satiriques
À l’issue de ses études à Munich, Klee passe l’hiver 1901-1902 en Italie. Devant la grandeur de la culture antique et sa renaissance, le jeune artiste prend conscience de sa situation historique, celle d’un imitateur contraint à perpétuer un idéalisme classique jugé dépassé. Son issue sera la satire, un mode d’expression moderne susceptible d’affirmer, d’une part, des valeurs idéales élevées et, de l’autre,un point de vue critique sur l’état du monde. « Je sers la beauté en des- sinant ses ennemis (caricature, satire) », écrit-il dans son journal.
À partir de ce renversement dialectique au coeur de l’ironie romantique, Klee commence une production essentiellement graphique où il livre ses réflexions, souvent mordantes, sur la relation entre les sexes, son rapport à la société ou sa position en tant qu’artiste. C’est aussi une époque d’expérimentations techniques. Klee réalise des peintures sous verre et s’intéresse aux formes plastiques. Cette période culmine dans les illustrations de Candide ou l’Optimisme de Voltaire, écrivain vénéré par Klee.
Klee et le cubisme
Klee découvre le cubisme dès la fin de l’année 1911, à Munich et, un an plus tard, pendant un séjour à Paris. Dès lors, les inventions formelles du cubisme vont nourrir sa recherche picturale, souvent de façon dialectique. C’est ainsi que Klee, tout en s’inspirant du vocabulaire prisma- tique, dans ses dessins au style enfantin, ironise à propos de la décomposition des figures cubistes qu’il estime dépourvues de vitalité.
Dans la série des peintures à l’aquarelle réalisées lors de son mythique voyage à Tunis (1914), l’artiste introduit des effets de distanciation, par exemple en laissant en réserve des bandes verticales correspondant à l’empreinte des élastiques utilisés pour peindre sur le motif. Cette mise à distance est également perceptible dans sa démarche, très singulière, consistant à découper ses compositions, une fois réalisées, en deux ou en plusieurs parties qui deviennent ensuite des oeuvres autonomes ou sont recombinées sur un nouveau support. Klee affirme là une volonté créatrice dont les racines se trouvent paradoxalement dans l’acte destructeur.
"Saint-Germain près de Tunis", 1914 de Paul KLEE © Photo Éric Simon
"Présentation du miracle", 1916 de Paul KLEE © Photo Éric Simon
"Lomolarm", 1923 de Paul KLEE © Photo Éric Simon
"KN Le forgeron", 1922 de Paul KLEE © Photo Éric Simon
"Discussion", 1929 de Paul KLEE © Photo Éric Simon
Théâtre mécanique
À l’issue de la Grande Guerre, une imagerie de figures mécanisées apparaît dans l’oeuvre de Klee. Inspiré par ses expériences dans les services d’aviation, Klee transforme les oiseaux en avions, souvent en formation d’assaut. Il commence à employer la technique indirecte du décalque à l’huile, qui entraîne une dépersonnalisation des traits de dessin. L’esthétique de la machine est alors à la mode dans les cercles dadaïstes, de Francis Picabia à Raoul Hausmann. Le contact avec les dadaïstes de Zurich ravive notoirement l’intérêt de Klee pour les représentations de machines et d’appareillages, ainsi que pour les effets produits par leurs mécanismes. Enseignant au Bauhaus, Klee commence à créer des êtres hybrides, à la fois humains et objets. Il s’empare du motif de l’automate ou de la marionnette pour mieux dénoncer, par le truchement de la schématisation mécanique, la perte de vitalité et le rétrécissement de la vie intérieure à l’heure de la rationalisation industrielle. « Quand la machine enfantera-t-elle ? » ironise-t-il ainsi.
Klee et les constructivismes
La nouvelle devise proclamée en 1923 par Walter Gropius, le fondateur du Bauhaus (« Art et technique une nouvelle unité ») amorce un tournant pour l’école. Klee n’y reste pas insensible. Adoptant la posture du funambule, il commence un exercice de corde raide, cherchant un équilibre entre son approche intuitive et les nouveaux dogmes contemporains. Ainsi reprend-il certains éléments des idiomes modernistes tels que la grille, tout en déjouant sa rigidité. Ses tableaux structurés par des carrés évoquent tour à tour des rythmes musicaux, des peintures de vitraux, des tapisseries, des parterres multicolores ou encore des champs vus d’en haut. L’installation du Bauhaus dans la ville ,moderne de Dessau, en 1925, renforce l’orientation de l’école vers une technicité optique, dont le nouvel enseignant, László Moholy-Nagy, est le fervent défenseur. Klee réagit à sa manière : l’esthétique rationnelle prend la fonction d’un repoussoir qui lui permet de mieux affirmer sa position antagoniste. Selon Klee, « les lois ne doivent être que les bases sur lesquelles il y a la possibilité de s’épanouir. »
"Fleurs des cavernes", 1926 de Paul KLEE © Photo Éric Simon
"Chemin des serpents", 1934 de Paul KLEE © Photo Éric Simon
"Sorcières de la Forêt", 1938 de Paul KLEE © Photo Éric Simon
Regards en arrière
Dès ses dernières années au Bauhaus, les renvois aux différents temps du passé se multiplient dans l’oeuvre de Klee. Inspiré par ses voyages et les nombreuses publications qu’il lit sur le sujet, Klee introduit des éléments picturaux évoquant des mosaïques anciennes, la civilisation égyptienne, ou encore les figures et signes gravés sur les parois des grottes du paléolithique. La dimension préhistorique, en tant que telle, constitue une structure récurrente dans son imaginaire : fossiles, cavernes, montagnes en formation, plantes et animaux originels, pierres sacrées, inscriptions indéchiffrables sur des rochers, etc., y font tous allusion à des degrés divers. Le mode d’appropriation choisi par Klee est le simulacre. En reproduisant les effets qu’exerce le temps à la fois sur l’objet (usure, moisissure, érosion) et son contenu, les oeuvres de Klee revêtent un caractère en quelque sorte parodique. Si Klee puise dans le répertoire des « signes » de cultures « primitives » ou non occidentales,il ne fait que mimer les principes de leur organisation initiale.
"Feuille d'images", 1937 de Paul KLEE © Photo Éric Simon
"Jumeaux", 1930 de Paul KLEE © Photo Éric Simon
Klee et Picasso
Picasso représente un défi particulier pour Klee. Son oeuvre dialogue avec celle de l’Espagnol avec une intensité particulière à deux moments de son parcours : au début de sa carrière, vers 1912, et surtout dans les années 1930, après sa visite de la rétrospective présentée au Kunsthaus de Zurich en 1932. Klee y découvre le « surréalisme » de Picasso, notamment ses grands tableaux de figures féminines et ses métamorphoses biomorphes, deux innovations qui fécondent son travail après la période du Bauhaus et stimulent la production de ses dernières années.
Cette confrontation est alimentée par la publication de nombreux articles sur Picasso dans des revues comme les Cahiers d’Art, auxquelles Klee est abonné. Après une première visite de celui-ci dans l’atelier parisien de Picasso en 1933, les deux artistes se rencontrent en 1937 à Berne chez Klee. Ce moment, quasi silencieux, révèle les tensions entre ces deux géants de la modernité. Leur discussion était imaginaire, faite d’appropriation et d’opposition, d’admiration secrète et d’ironie critique.
"Projet", 1938 de Paul KLEE © Photo Éric Simon
"Exubérance", 1939 de Paul KLEE © Photo Éric Simon
Années de crise
À l’arrivée au pouvoir de Hitler en 1933, qui scelle la fin de sa carrière en Allemagne et le force à s’exiler à Berne, Klee répond par une série de dessins qui transpose l’angoisse régnant sur le pays en des hachures violentes. Avec von der Liste gestrichen [Raye de la liste], autoportrait prenant la forme d’un masque africain pseudo-cubiste, l’artiste ironise sur la politique nazie en parodiant ses propres critères d’exclusion. Klee aime contrecarrer la terreur par une iconogra- phie enfantine et ludique dans laquelle les signes se métamorphosent en bonshommes allu- mettes dansant non pas de joie, mais de peur. Ces figures font-elles allusion au dressage général des corps encouragé par les nazis ?
Leur apparence disloquée renvoie à une autre source d’angoisse pour l’artiste : la grave mala- die qui raidit ses gestes.Depuis 1935, Klee souffre d’une sclérodermie qui soumet son corps à une minéralisation croissante. En résulte la simplification de son écriture graphique qui exprime avec une force élémentaire la détresse contemporaine, celle de l’humanité, et la sienne.
Cette exposition est dédiée à Pierre Boulez.
Portrait de Paul KLEE © Photo Éric Simon
Centre Pompidou
GALERIE 2, NIVEAU 6
75191 Paris cedex 04
https://www.centrepompidou.fr
Tous les jours de 11h à 22h (fermeture des espaces d'exposition à 21h)
Le jeudi jusqu’à 23h (uniquement pour les expositions temporaires du niveau 6)