"Paysage humain", 1971 d'Alina Szapocznikow - Courtesy Galerie Loevenbruck © photo Éric Simon
Du 1er Avril au 28 Mai 2016
Antinoüs flétris, dandys à face glabre, Cadavres vernissés, lovelaces chenus, Le branle universel de la danse macabre
Vous entraîne en des lieux qui ne sont pas connus !
Charles Baudelaire1
Toutes les oeuvres de Szapocznikow trahissent une volonté d’élever les objets, tant au sens propre que figuré. Jusqu’alors, elle avait donc toujours privilégié la verticalité, mais, dans ce dernier cycle, cette verticalité s’effondre pour finalement céder la place à l’essence trans- endantale de l’apesanteur2.
Dans un dessin de la série « Paysages humains » (1971), la composition envahit toute la surface de la feuille, son titre précisant l’étendue de cette expansion inédite3. Dans les années qui ont précédé, Szapocznikow avait représenté sur papier des parties de son propre corps et de personnages désarticulés. Aujourd’hui, elle les inscrit dans un décor qui fait penser aux environnements incongrus de Salvador Dalí et aux pastiches organiques d’Arshile Gorky.
Elle exacerbe le climat onirique de ses « Paysages humains » en rehaussant ses dessins d’aquarelle fortement diluée, dans les tons vert, rose, gris et bleu. Ces tons, plus pop que surréalistes, ne sont pas sans rappeler les dessins à l’avenant que Claes Oldenburg a réalisés dans les années 1964. Ses personnages y baignent dans la couleur qui auparavant avait une fonction principalement descriptive.
"Paysage humain III", 1971 d'Alina Szapocznikow - Courtesy Galerie Loevenbruck © photo Éric Simon
"Paysage humain", 1971-1972 d'Alina Szapocznikow - Courtesy Galerie Loevenbruck © photo Éric Simon
Dans les dessins de cette série, on retrouve tout le répertoire iconographique de Szapocznikow, réagencé et revisité dans des ensembles hallucinants : des tumeurs se mêlant à des vagins, des lèvres posées sur des jambes désarticulées, des yeux émergeant à l’horizon, une femme alanguie sur un phallus. Parfois, la tension érotique réside dans la vivacité du médium, comme dans ces touches de couleur rose qui, dans ses « Paysages humains », rendent la chair palpable.
Il se pourrait qu’en l’occurrence, Szapocznikow se soit inspirée des aquarelles de nus féminins d’Auguste Rodin exposées au Musée Rodin où elle s’est souvent rendue. Dans des dessins comme Femme allongée (1900-1906), Rodin a exploité la transparence et le pouvoir évocateur de l’aquarelle : ses personnages ont l’air de planer. Confrontée à sa mort imminente, Szapocznikow a créé des scènes intimes qui nous transportent dans l’au-delà.
"Paysage humain", 1971-1972 d'Alina Szapocznikow - Courtesy Galerie Loevenbruck © photo Éric Simon
Les dernières sculptures de Szapocznikow peuvent être également lues comme autant de « paysages humains ». Dans sa série « Herbier » (1971-1972), les moules écrasés de son corps et de celui de son fils, aux allures de peaux écorchées, sont comme une ultime tentative viscérale d’immortaliser ce qui est mortel. Le titre renvoie à cette tradition qui consiste à sécher des spécimens de plantes sous presse pour les sauvegarder. Ces empreintes en résine de polyester font certes penser à la mort, mais, en les écrasant, l’artiste les rend quelque part plus vivantes que des masques mortuaires5.
Ces oeuvres soulèvent la question que Georges Didi-Huberman s’est posée : « Le processus d’empreinte est-il contact de l’origine ou bien perte de l’origine?»
Évoquent-elles la présence ou l’absence du sujet ?
Suggérée de façon troublante, la réponse est peut-être : les deux. Tout comme les « Paysages humains », elles sont un memento mori de Szapocznikow, des vanités qui rappellent que l’homme est voué à mourir. Ou, pour reprendre les mots de Szapocznikow, elles ont pour but d’ « exalter l’éphémère, dans les replis de notre corps, dans les traces de notre passage».
"Paysage humain", 1971-1972 d'Alina Szapocznikow - Courtesy Galerie Loevenbruck © photo Éric Simon
"Glowa Piotra", 1972 d'Alina Szapocznikow - Courtesy Galerie Loevenbruck © photo Éric Simon
Le dessin était pour Szapocznikow un moyen d’expression primordial lui permettant de consi- gner instantanément les idées qui lui traversaient l’esprit. Elle dessinait donc sur tout ce qui lui tombait sous la main, y compris des paquets de cigarettes, comme son fils Piotr nous l’appren- dra des années plus tard8. Ensuite, elle reprenait ces idées croquées à la hâte et les revisitaient dans des compositions tantôt bidimensionnelles, tantôt tridimensionnelles, qui étaient autant de variations sur un même thème.
Tous ses dessins, y compris ceux qui font écho à une sculpture, trahissent la présence de l’artiste à travers la trace de son geste. Les contours de sa main dans ses dessins s’inscrivent dans la même veine que les moules de son corps dans ses sculptures. Ils témoignent à l’unisson du besoin que Szapocznikow avait de vivre à travers ses oeuvres, comme « cette manie absurde et convulsive prouve l’existence d’une glande inconnue et secrète, nécessaire à notre vie».
Galerie Loevenbruck
6, rue Jacques Callot
Fr-75006 Paris
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Horaires d'ouverture: Du mardi au samedi de 11h à 19h.