"Personne", 2016 de Jorge Luis Miranda Carracedo - Courtesy Galerie Vallois
Du 2 juin au 2 juillet 2016
Né à La Havane en 1970, Jorge Luis Miranda Carracedo fait partie de la génération d’artistes cubains établis et reconnus mondialement.Il s’est formé à la prestigieuse Ecole des Beaux-Arts de San Alejandro, noù il est considéré comme l’un des meilleurs éléments, excellant tant en peinture, qu’en dessin, scénographie ou illustration. Il quitte très tôt Cuba pour l’Espagne, ce qui met un frein à sa carrière très prometteuse.
"Verbo", 2016 de Jorge Luis Miranda Carracedo - Courtesy Galerie Vallois
« Et si… ? » est une plongée dans l’univers onirique foisonnant de Carracedo, qui tient à la fois du conte, de la fable écologique, du fantastique et de la science-fiction ; un univers peuplé de personnages énigmatiques- humains, animaux et végétaux –qui se croisent, se métamorphosent et s’hybrident, et traversé entre autres par la figure du Cosmomambi, un des alter egos de l’artiste, dont la rencontre nous mène aux confins de l’imaginaire et de la métaphysique.
L’exposition « Et si… ? », présentée à la Galerie Vallois au 41 rue de Seine du 2 juin au 2 juillet 2016, sous le commissariat de Camille Bloc et Rosmy Porter, a pour but de montrer toute l’étendue du talent de l’artiste, à travers un ensemble varié de ses oeuvres, des dessins minimalistes au trait fin et léger jusqu’aux grandes toiles virtuoses et complexes.
"Quantico III", 2016 de Jorge Luis Miranda Carracedo - Courtesy Galerie Vallois
"Yuntas", 2016 de Jorge Luis Miranda Carracedo - Courtesy Galerie Vallois
D’immenses gratte-ciels ensevelis dans une jungle impénétrable ; un énorme chat qui croise un minuscule cosmonaute ; un arbre mince comme une liane se livrant avec un homme à des jeux de contorsion et d’équilibre qui se terminent en une étrange hybridation ; un gigantesque éléphant se dressant au milieu de bulles de couleur ; un babyfoot géant, semé dans une forêt de bambous...
L’univers de Carracedo est celui de la démesure, des extrêmes, de tous les possibles, avec pour seules limites celles de l’imagination. Inquiétante, énigmatique, mais aussi pleine d’humour et de fantaisie, c’est une oeuvre complexe qui ne se laisse pas appréhender facilement.
"Juicio", 2016 de Jorge Luis Miranda Carracedo - Courtesy Galerie Vallois
Un fil conducteur nous guide cependant d’un tableau à l’autre : un personnage, omniprésent. Ici c’est une figure massive, puissante, qui occupe tout le cadre, là il n’est qu’un tout petit être fragile, une légère esquisse.
Tantôt perdu au milieu d’une nature envahissante, qui l’engloutit, tantôt sujet principal, se détachant nettement sur le blanc de la page. Parfois cet homme est plusieurs, mais il est toujours le même, cloné X fois. Marqué par une profonde dualité, comme le symbolisent les deux costumes qu’il revêt en alternance.
"Futbolin", 2016 de Jorge Luis Miranda Carracedo - Courtesy Galerie Vallois
"Game Over", 2016 de Jorge Luis Miranda Carracedo - Courtesy Galerie Vallois
Le premier est une combinaison de cosmonaute, le deuxième un vêtement sommaire, usé, semblable à ceux que portaient les esclaves à l’époque coloniale dans les Caraïbes, en coton brut, déchirés par l’usage. L’homme a toujours la peau noire, son habit est blanc et ses pieds restent nus, en contact direct avec la matière qui le porte.
Mais qui est ce personnage ? Pourquoi cette combinaison spatiale ?
S’apprête-t-il à partir ou vient-il au contraire d’arriver ?
Est-ce un explorateur ? Un spectateur ?
Un fuyard ?
Ce milieu (trop) luxuriant lui est-il favorable ou hostile ?
L’astronaute est traditionnellement considéré comme une figure positive qui symbolise la foi en l’avenir, le progrès par la technologie. Il doit posséder à la fois une brillante intelligence scientifique, un esprit curieux et volontaire, un corps sain et robuste ainsi que le courage et l’enthousiasme d’un aventurier. Bref, c’est une sorte de surhomme des temps modernes.
"Augere", 2016 de Jorge Luis Miranda Carracedo - Courtesy Galerie Vallois
Or, dans l’univers de Carracedo, le cosmonaute est plutôt un anti-héros. Comme dans ce rêve kafkaïen où l’ondécouvre avec stupéfaction que notre habillement est ridiculement inapproprié à la circonstance dans laquelle on se trouve, voire que l’on est totalement nu dans un espace public, ce cosmonaute est dans un décalage absurde avec le contexte. Il lui manque toujours ou son casque ou ses bottes, voire les deux: s’ils sont inutiles à sa survie, dans ce ,cas à quoi sert sa combinaison ?
Ce vêtement lourd et encombrant entrave ses mouvements, le coupe de la nature, de ses propres sensations. Alors qu’elle devrait contribuer à enrichir ses connaissances, la technologie l’isole au contraire du monde qui l’entoure.
Qu’espère conquérir ce cosmonaute dans un monde où les lois de la physique lui échappent, où les animaux sont immensément grands et les forêts infiniment profondes, un monde qu’il ne maîtrise pas, ou qu’il ne maîtrise plus ?
"Astronome", 2016 de Jorge Luis Miranda Carracedo - Courtesy Galerie Vallois
Cette technologie moderne qui nous permet d’explorer l’espace est aussi celle qui provoque la ruine de notre propre planète. Dès lors, peut-on encore croire en la science ? Notre priorité ne devrait-elle pas être le respect de notre environnement? Hommes, animaux, végétaux…
Et ces tours ?
Sont-elles habitées ?
Où sommes-nous ?
Est-ce la fin du monde ou l’aube d’une ère nouvelle ?
Ce monde rêvé est-il une projection post-apocalyptique du futur de notre Terre ?
La vision d’une possible autre planète ?
Le gratte-ciel est là encore un symbole ambivalent de la modernité. D’un côté prouesse architecturale, emblème triomphal du génie humain, de son aspiration à s’élever toujours plus haut.
De l’autre, Tour de Babel moderne, le gratte-ciel trahit l’ambition démesurée de l’homme, son excès d’orgueil et encore une fois son mépris de la nature. Voilà ce symbole frappé d’insignifiance : réduit à la taille d’un bambou, effilé comme un crayon, transporté par paquets dans les bras du cosmonaute, flottant en l’air, enfoui dans la végétation, cannibalisé par la nature au point qu’il lui pousse des racines, il n’est plus qu’un lointain souvenir d’une civilisation perdue.
"Expectante", 2016 de Jorge Luis Miranda Carracedo - Courtesy Galerie Vallois
Comme chez le Douanier Rousseau, la jungle est ici une projection de l’inconscient, dense, profonde, mystérieuse et angoissante. On retrouve dans le traitement stylistique de ses paysages l’influence de Wifredo Lam, un des maîtres de la peinture cubaine. Si les forêts de bambous font plutôt penser à l’Asie, le personnage noir, qui n’est autre que l’alter ego de l’artiste, nous renvoie à l’Afrique dont l’importance est fondamentale dans l’héritage culturel cubain. Carracedo, qui vit aujourd’hui loin de son
pays natal (« Déraciné »), se rattache ainsi à ses origines.
Cette recherche identitaire passe également par le langage, marque forte d’appartenance
culturelle, peut-être la plus importante. Carracedo emprunte certains de ses titres à l’argot cubain d’aujourd’hui ;« Empingao », « Asere profundo », ou encore
« Clavo », qui contiennent des double-sens typiquement cubains, sont des mots incompréhensibles pour un néophyte.
Les noms opèrent alors comme signe de reconnaissance, l’argot ajoutant une provocation jouissive, qui établit une connivence immédiate avec le spectateur.
L’exposition « Et si… ? » incarne tout le sens de ce proverbe, elle nous mène à travers un labyrinthe de questions et des réponses possibles sur l’existence même, centrées encore et toujours sur l’Homme et la Terre.
Galerie VALLOIS
41, rue de Seine
75006 Paris
www.vallois.com
Du mardi au samedi 10h à 13h et de 14h à 19h