Du 07 juin au 25 septembre 2016
Satellite 9 : une proposition de Heidi Ballet
Guan Xiao est née en 1983 dans la province du Chongqing, en Chine. Le panorama artistique de son pays a été longtemps marqué par le pop art politique et par un art en quête de l’identité chinoise. Guan Xiao appartient à une nouvelle génération d’artistes qui souhaite prendre de la distance par rapport à cet héritage. En autodidacte, elle s’est créé un monde et un répertoire de références idiosyncratiques qui lui sont propre.
Alors que sa pratique apparaît comme foncièrement originale dans le contexte artistique chinois, Guan Xiao ne semble pas non plus affiliée à d’autres mouvements préexistants au niveau international. On apparente fréquemment son travail à tort au courant de l’art post-Internet qui s’est développé à partir de New York, Berlin et Londres, du fait d’une esthétique similaire.
Cependant, alors que l’art post-Internet est conçu pour Internet, avec la conscience d’être ensuite divulgué en ligne, le travail de Guan Xiao se situe à l’autre bout du spectre, du côté du consommateur d’Internet. L’artiste l’utilise en effet comme une gigantesque banque d’images qu’elle trie et collectionne.
Triptyque vidéo "Weather Forecast", 2016 de Guan XIAO © Photo Éric Simon
Triptyque vidéo "Weather Forecast", 2016 de Guan XIAO © Photo Éric Simon
Son œuvre s’intéresse aux phénomènes de perception, et à l’expérience visuelle et auditive que procure la navigation sur Internet ; et s’interroge sur la manière dont celle-ci informe notre vision du monde au quotidien. Dans ses œuvres, conçues pour faire vivre une expérience sensorielle au spectateur, c’est l’expérience qui prime sur la théorie.
En combinant les images qu’elle collecte sur Internet, Guan Xiao confronte des phénomènes très hétérogènes selon une logique instinctive et personnelle, et sans égard pour la distance cognitive entre les différentes images qu’elle traite. Il en résulte un mélange de réalités des plus éclectiques qui n’est pas sans évoquer le chaos de l’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg. Cette absence de hiérarchisation des réalités du monde rappelle la cosmologie traditionnelle chinoise, dans laquelle le Paradis est sacré et toutes les autres réalités profanes sont désignées par l’expression « Les 10 000 êtres sous le ciel », une vision du monde qui désacralise l’homme et le place au même niveau que le reste des réalités terrestres, s’opposant en cela aux philosophies occidentales.
Triptyque vidéo "Weather Forecast", 2016 de Guan XIAO © Photo Éric Simon
La référence au procédé scientifique du carottage permet de mieux comprendre la logique à l’œuvre dans la création des œuvres de Guan Xiao. Utilisée en géologie, il s’agit d’une technique consistant à découper dans un terrain pour prélever de la matière. Celle-ci est ensuite conservée dans une pipe cylindrique permettant d’étudier la structure et la stratification des substances.
Quand Guan Xiao assemble ses images, elle opère des coupes transversales selon des critères tels que le rythme ou l’action. L’artiste s’intéresse à l’équivalence entre les choses, à ce qui les relie, ainsi qu’à leur potentiel évolutif, comme si elle y cherchait un état pré-identitaire.
C’est son parcours artistique qui a donné forme à sa démarche artistique si singulière. Dans son œuvre intitulée Reading (2013), elle explique sa méthode de perception en six chapitres ; tandis que l’œuvre vidéo plus ancienne intitulée David (2013) a pour objet la célèbre sculpture de Michel-Ange, que Guan Xiao ne montre pas directement mais qu’elle aborde à travers les images de l’œuvre qu’elle a trouvées sur Internet. C’est la manière dont les gens ont photo-graphié cette sculpture qui fascine l’artiste, et de là, la manière dont ces images définissent la représentation de l’œuvre en ligne et aux yeux du monde.
Triptyque vidéo "Weather Forecast", 2016 de Guan XIAO © Photo Éric Simon
Installation vidéo "How to Disappear", 2016 de Guan XIAO © Photo Éric Simon
Guan Xiao se définit comme une artiste « traditionnelle », et entretient une véritable fascination pour l’ancien. Elle note à ce propos : « Les choses que nous considérons aujourd’hui comme nouvelles ou évoluées sont en réalités anciennes ou méconnues. L’incompréhension du passé est à l’origine de discussions déconcertantes aujourd’hui. C’est pourquoi je me plais à rassembler ces opposés le nouveau et l’ancien et à les faire dialoguer. »
Par ailleurs, l’état de constant changement est une qualité que l’artiste attribue à toutes choses terrestres, allant en cela à rebours des principes de la science, puisqu’au cours de l’histoire, les hommes se sont employés à consciencieusement cartographier le monde et à classifier la réalité, dans le but de rendre tous les phénomènes prédictibles et connus grâce à l’expérimen-tation scientifique.
Guan Xiao refuse ainsi l’idée selon laquelle les choses sont immuables et connues. Dans ses œuvres, elle s’emploie à insinuer le doute entre ce qui est observé et reconnaissable en apparence, et la définition, qui en résulte, de ce que cette chose « est » et sera pour toujours. Sa perturbation du processus d’identification et l’ouverture qu’elle crée vers différents états possibles des choses, selon sa croyance que tout évolue, résonne avec l’idée d’identité océanique évoquée dans la programmation « Votre Océan, Notre Horizon ».
Le concept d’identité océanique nie le cadre de pensée scientifique selon lequel l’identité peut seulement être définie par rapport à la terre, en tant que réalité fixe, et tend à montrer les limites de notre système géographique en faveur d’une définition plus ouverte de nos repères cartographiques.
Installation vidéo "How to Disappear", 2016 de Guan XIAO © Photo Éric Simon
Dans son œuvre vidéo intitulée Weather Forecast [Prévisions météo], on peut voir sur trois écrans différents les évolutions que connaît une personne au cours d’un voyage, un processus dont l’artiste compare la volatilité aux fluctuations de la météo. Guan Xiao interroge également les conditions de ce changement : le déplacement géographique est-il nécessaire, ou serait-il possible d’obtenir le même effet à partir d’une série de perceptions expérimentées depuis chez soi ?
L’œuvre liminaire de l’exposition, intitulée How To Disappear [Comment disparaître], met à l’épreuve la fiabilité de la connaissance empirique et prépare le visiteur à une expérience sensorielle immersion.
Commissaire: Heidi Ballet
Jeu du Paume
1 Place de la Concorde
75008 Paris
http://www.jeudepaume.org
Horaires d'ouverture : Du mardi de 11h à 21h. De mercredi à dimanche 11h à 19h.