Du 12 octobre 2016 au 30 janvier 2017
Les années 1930 sont, à plus d’un titre, décisives dans l’affirmation d’une scène artistique moderne aux États-Unis, à un moment particulièrement complexe de son histoire où la définition d’un art moderne américain ne peut être univoque. De l’abstraction au réalisme "social" en passant par le régionalisme, les univers esthétiques de peintres tels que Marsden Hartley, Georgia O’Keeffe, ou Edward Hopper cohabitent et se confrontent dans les mêmes foyers de création.
"...And the Home Of the Brave", 1931 de Charles DEMUTH - Courtesy The Art of Intitute of Chicago
"Pat Whalen", 1935 de Alice Neel - Courtesy Whitney Museum Of American Art
La peinture américaine des années 1930
Le 29 octobre1929, la bourse de New York s’effondra, entraînant les États-Unis dans une terrible période d’insécurité économique et de troubles sociaux, la Grande Dépression. Toute une génération d’Américains perdit son emploi, sa maison, ses économies mais aussi sa dignité. Phénomène tout aussi grave, sa foi dans le progrès américain et ses promesses en furent fortement ébranlée. C’est à cette période de déstabilisation, propice aux questionnements, et à ses conséquences dans la peinture américaine que s’attache cette exposition.
Face à ces temps difficiles, les peintres n’eurent de cesse d’interroger l’identité américaine et d’explorer la possibilité d’un art propre à cette nation encore jeune. Dominée par une sensibilité réaliste, qui s’employa notamment à décrire la singularité du contexte urbain ou rural américain, la peinture des années 1930 fut néanmoins marquée par une grande diversité d’expression. Cette période s’avéra décisive dans l’affirmation d’une scène artistique moderne aux États-Unis.
"Dance Marathon", 1934 de Philip EVERGOOD - Courtesy Blanton Museum of Art
La ville spectacle
Les difficultés économiques et le besoin d’évasion des soucis du quotidien développèrent chez les Américains un immense intérêt pour les sorties, le spectacle et la vie des célébrités, qui constituaient des distractions riches en sensations, particulièrement en ville. Tout en maintenant les hiérarchies existantes, elles offraient aussi l’occasion de transgresser les frontières de race et de classe sociale. Cinémas, salles de concert, music-halls attiraient les foules tandis que les journaux et les actualités façonnaient le star-system.
Encouragés par les principes de la Works Progress Administration, qui incitaient à représenter la vie des Américains ordinaires, les artistes s’inspirèrent de la vie quotidienne mais proposèrent aussi des représentations très audacieuses de leurs concitoyens sur le thème de la ville spectacle. Ce sujet, nouveau dans la peinture, permit le développement d’un répertoire d’images qui devint la marque de la culture populaire américaine.
"Street life, Harlem", 1939 de William H. JOHNSON - Courtesy Smithsonian American Art Museum
"Swing Music", 1938 de Arthur DOVE - Courtesy The Art Institute of Chicago
"The midnight Ride of Paul Revere", de Grant WOOD - Courtesy The Metropolitan Museum of Art
"Haunted House", 1930 de Morris KANTOR - Courtesy The Art of Institute of Chicago
L’histoire revisitée
Désorientés, un grand nombre d’Américains se tournèrent vers le passé afin de retrouver la fierté de leur identité. Les années 1930 virent ainsi émerger une profonde fascination pour l’époque coloniale, traduite dans les célébrations du bicentenaire de la naissance de George Washington en 1932.
Cette tendance à regarder vers le passé devint un phénomène culturel important, qui soutint les efforts individuels et civiques. L’Administration Roosevelt passa commande de nombreuses œuvres d’inspiration historique, en particulier dans le cadre du Public Works of Art Project.
Parmi les réalisations les plus spectaculaires figuraient les peintures murales décorant postes et bâtiments administratifs, qui firent la part belle au passé. L’Administration fonda aussi les National Archives en 1934 afin de préserver les documents et les trésors de la nation. De nombreux peintres des années 1930 introduisirent dans leurs œuvres des éléments tirés de l’histoire du pays pour donner corps à leur interprétation du modernisme américain.
"Roustabouts",1934 de Joe JONES - Courtesy Worcester Art Museum
"American Justice", 1933 de Joe JONES - Courtesy Columbus Museum of Art
"Portrait of the Artist as a Clown", 1932 de Walt KUHN - Courtesy Collection of Barney A. Ebsworth
Cauchemars et réalités
Au traumatisme de la Grande Dépression, les artistes répondirent également par des œuvres sombres, souvent cauchemardesques. S’adonnant à l’introspection, ils explorèrent dans l’autoportrait leurs humeurs et leur anxiété. Nombre d’entre eux choisirent les formes du surréalisme, découvert lors de leur séjour en Europe réalité intensifiée, images oniriques et étranges juxtapositions de formes, qui constituèrent des moyens particulièrement riches pour explorer une psychologie tourmentée.
Cependant, pour la majorité des Américains, ces craintes représentèrent non pas une recherche artistique, mais une réalité bien présente. La violence raciale aux États-Unis témoignait encore des inégalités et des troubles sociaux, tandis que la montée du fascisme, aussi bien en Europe que de manière insidieuse dans le pays, et la guerre civile espagnole, frappèrent les esprits.
L’alliance italo-germanique entre Benito Mussolini et Adolf Hitler menaçait les nations et ses populations et poussa à l’exil des milliers d’Européens, dont beaucoup étaient juifs, qui cherchèrent refuge aux États-Unis. Les peintres américains de gauche virent alors dans l’art un moyen de protester contre ces conflits et persécutions et y répondirent par des œuvres choquantes et directes.
"Red Hills with Flowers", 1937 de Georgia O'KEEFFE - Courtesy The Art Institute of Chicago
'The Eternal City", 1934 de Peter BLUME - Courtesy MOMA NY
"Gas", 1940 d'Edward HOPPER - Courtesy MOMA, New York
Vers un art moderne américain
Vers la fin des années1930, les nouvelles voies empruntées par la culture américaine commen- cèrent à s’unir. Parallèlement, l’effort de guerre des États-Unis, après leur entrée dans le conflit en 1941, provoqua une forte croissance économique qui mit fin à la Grande ,Dépression.
Les deux toiles d’Edward Hopper et de Jackson Pollock exposées ici, réalisées à la fin de la décennie de la Dépression, annoncèrent les deux pôles de la peinture d’après-guerre: l’un ancré dans le réalisme, l’autre dans l’abstraction. Dans les années1940 et bien au-delà, Hopper symbolisa la permanence de la figuration, comme dans son tableau Gas (Station-service), où Il inclut la présence quotidienne de la culture commerciale moderne, tendance reprise vingt ans plus tard par les artistes du Pop Art. L’abstraction vigoureuse de Pollock, inspirée de l’énergie de son professeur Thomas Hart Benton, était déjà perceptible dans sa toile Untitled (Sans titre) et servit de pierre angulaire à l’expressionnisme abstrait alors émergent.
"Phoenix (Portrait in the Desert; Lenin", 1935 de O. Louis GUGLIELMI - Courtesy Sheldon Museum of Art
"Wrigley's", 1937 Charles Green Shaw - Courtesy The Art Institute of Chicago
Pourtant, intériorité et inconscient nourrirent aussi bien l’esthétique réaliste, sobre et retenue de Hopper que les compositions gestuelles et abstraites de Pollock. Ces conceptions en apparence opposées germèrent toutes deux dans le ferment de la Grande Dépression, durant laquelle les artistes s’engagèrent dans des formes d’expression diverses et dynamiques pour redéfinir un art moderne national.
Organisée en collaboration avec l’Art Institute de Chicago, cette exposition présentera un ensemble d’une cinquantaine de toiles issues de prestigieuses collections publiques américaines (l’Art Institute à Chicago, le Whitney Museum, le Museum of Modern Art à New-York...) et de collections particulières, dont la diversité reflète toute la richesse de cette période précédant la Seconde Guerre mondiale.
Commissariat : Judith A. Barter, Field-McCormick Chair and Curator, Department of American Art, The Art Institute of Chicago.
Laurence des Cars, conservateur général du patrimoine, directrice du musée de l’Orangerie
Musée de l’Orangerie
Jardin des Tuileries
75001 Paris
http://www.musee-orangerie.fr
Horaires d'ouverture: Tous les jours de 9h à 18h. Fermé le mardi.