Expo Solo Show: Michael ASSIFF
"Paris Peace Conference(League of Nations)", 2017 de Micheal ASSIFF - Courtesy Galerie Chez Valentin Photo Éric Simon
Du 7 septembre au 7 octobre 2017
1. Imaginez-vous pénétrant dans le décor abandonné d’un film de science-fiction de série B. On y voit, à l’intérieur d’un centre commercial sous saisie, un magasin appelé The Silk Road où des antiquités rares, importées illégalement depuis des zones de guerre, franchissent l’au-delà pour y rencontrer leurs doubles de contrefaçon, produits industriellement. Et bien qu’il y ait assez de preuves sur le tournage pour permettre une analyse médico-légale, il n’est pas simple de déterminer immédiatement la cause de la faillite ou ce pourquoi le tournage du film a brusquement cessé.
"French Mandate Syria and Lebanon", 2017 de Micheal ASSIFF - Courtesy Galerie Chez Valentin Photo Éric Simon
2. Qu’est-ce qui incite les petits entrepreneurs immigrés à décorer leur commerce de fortune avec des posters aux couleurs vives représentant des monuments historiques de leur pays d’origine ?
La réponse à cette question n’est peut-être pas tant liée à la fierté nationale ou à la conser- vation du patrimoine mais davantage à un désir de minimiser le coût élevé de la vie sur le marché libre des migrations géopolitiques.
La vraie fonction de ces images de monuments en tant que piètres moyens de survie est sans doute la même que celle d’autres éléments plus communs du restaurant, comme les meubles dont les répliques exactes se trouvent dans d’autres restaurants étrangers où l’on mange pour moins de 10€. On imagine habituellement que ce n’est qu’avec l’avènement de la modernité et le début du commerce international que les pays du sud ont commencé à produire, de façon industrielle, des artéfacts culturels destinés à la consommation occidentale.
L’anthropologie montre pourtant que l’histoire de l’exportation illégale d’objets exotiques vers les pays occidentaux remonte bien avant l’arrivée des premiers Européens aux Amériques ou en Afrique. Il n’a pas fallu longtemps aux autochtones pour comprendre qu’ils pouvaient tirer profit de leurs cultures et traditions, et créer une industrie artisanale basée sur ce qui intéressait les Européens. Ce qui a peut-être changé aujourd’hui est le fait que ce commerce n’a plus une seule destination géographique ou culturelle évidente, mais une multitudes de points de production, de trafic et d’échange répartis partout sur terre sous la forme d’une nébuleuse semblable à la carte du réseau Internet.
Dès lors, pourquoi s’étonner quand Hobby Lobby, l’un des plus gros fournisseurs de matériel de travaux pratiques et d’accessoires de décoration à bas prix aux Etats-Unis, est accusé de trafic d’objets anciens en provenance du Moyen-Orient ? Ne devrait-il pas être évident que les deux économies de production d’authenticité, de haute et basse gammes, qui sont en apparence distinctes possèdent la même base métaphysique ? À cet égard les objets authentiques, qu’ils soient ou non de qualité, fonctionnent comme les technologies de transport qui nous connectent à des lieux lointains inconnus et à leur temporalité.
"Ginkgo Nest" et "Ginkgo Nest", 2017 de Micheal ASSIFF - Courtesy Galerie Chez Valentin Photo Éric Simon
3. L’un des leitmotivs du cinéma de science-fiction est la manière dont les différents développements souvent réalistes de l’intrigue sont soudain interrompus par un événement beaucoup plus important qui force la narration à abandonner ou à modifier son cours, révélant ainsi le thème principal ou la dynamique véritable du film. Dans le cas de Pier 1, ce brusque revirement se manifeste par l’arrivée du changement climatique et son rapport crucial à l’ornemental et au représentatif.
Les lampes en cuivre récupérées, qui façonnent simultanément différents arrangements floraux et des molécules de gaz à effet de serre, servent aussi de décorations d’intérieur en filigrane. Tout comme l’environnement, lui-même substrat naturel de la verve planétaire, détermine nos modes de vie politiques, culturels et technologiques, la crise du climat est progressivement devenue la cause de tous les autres désastres humains qui sont présentés dans Pier 1. Ainsi le nom Pier 1 évoque-t-il un espace générique servant à l’échange d’objets inutiles entre le commun des habitants de la planète ainsi que le point naval de sortie et d’entrée au coeur du commerce comme de l’immigration de masse.
"Sykes-Picot Ratification", 2017 de Micheal ASSIFF - Courtesy Galerie Chez Valentin Photo Éric Simon
4. “Si l’on considère que la mondialisation signifie l’effacement des frontières et la libre circulation des personnes, des biens et des idées, il devient alors assez clair que le mou- vement lui-même[anarchisme] est un produit de la mondialisation, mais aussi que la majorité des groupes qui y participent – les plus radicaux en particulier – contribuent à cette mondialisation généralement bien plus que ne le font le FMI ou l’OMC.”
David Graeber, The New Anarchists, New Left Review, 2002
Pier 1 ré-imagine l’ambiance de la production, du trafic et de l’échange au sein de la culture matérielle mondiale. Des cadres en bois sculptés représentant des statues impériales, des oreillers en soie sur lesquels sont tracées des routes commerciales éblouissantes et pailletées de fleurs invasives, des meubles bon marché et des peintures murales représentant des Sites du patrimoine mondial à Palmyre accrochées sur les murs d’un petit restaurant de cuisine exotique comptent parmi les éléments composant Pier 1.
L’humour masque à peine l’angoisse d’avoir à faire face à un monde agité et sans ancrage. Sous une apparence ludique, Pier 1 répertorie les manières dont les conséquences déplaisantes de la mondialisation deviennent de plus en plus horribles, avec des guerres sans fin, une immigration de masse, un climat bouleversé et une exploitation sans limites. Pier 1 met en scène le clash esthétique entre l’optimisme des années 90 envers la mondialisation et le multiculturalisme et la manière dont ceux-ci se manifestent aujourd’hui au travers du nationalisme réactionnaire, du chauvinisme et des idéologies identitaires, montrant comment ces deux aspects ont peut-être toujours été les deux faces du même phénomène. Cette ligne de partage n’est peut-être pas très différente du rapport dialectique qui existe entre la mondialisation et son opposition anarchiste.
"Greenhouse Gas (Trifluoromethanesulfonic)", 2017 de Micheal ASSIFF - Courtesy Galerie Chez Valentin Photo Éric Simon
Pier 1 présente les crises environnementale, politique et technologique de notre temps comme les fines couches superposées d’une pile renversée par la brusque modification cosmique de sa logique d’organisation interne. Des éléments provenant de lieux lointains et d’époques révolues qui, normalement, sont liés de façon proportionnelle selon l’évolution du temps et de l’espace semblent isolés les uns des autres. Les petites choses sont à présent gigantesques et inversement. Le champ de la gravité n’exerce plus son attraction habituelle.
Soumis aux pressions émotionnelles et psychologiques de la vie, il peut nous arriver d’avoir des rêves qui contiennent leur propre interprétation ou sont si cohérents qu’il ne leur en faut aucune. Enfermé dans l’espace sans cesse plus réduit de la valeur symbolique et écrasé par le poids de la substance métaphorique, l’art actuel a désespérément besoin de confronter notre monde tumultueux, débarrassé de son attirance pour un excès de références. À cet égard, Pier 1, comme répondant à une surenchère contemporaine de sens, prend en otage l’espace et les interprétations normatives de l’art afin d’en renouveler la fonction.
Ecrit par Mohammad Salemy
Sculptures produites par Crucible New York
Galerie Chez Valentin
9, rue Saint Gilles
Fr - 75003 Paris
http://www.galeriechezvalentin.com
Horaires d’ouverture : du mardi au samedi de 11h à 19h.