Expo Solo Show: Tania MOURAUD «From CHAOS To ART»
Image de la vidéo de Tania MOURAUD - Courtesy the Artist and Galerie Rabouan Moussion © Photo Éric Simon
Du 14 octobre au 25 novembre 2017
Tania Mouraud, figure majeure de l’art contemporain français, n’a eu de cesse de réactualiser sa pratique. Prenant bien souvent la tangente quant aux «tendances», vis-à-vis desquelles elle propose une contre-culture visuelle en filigrane, elle s’inscrit dans l’histoire de l’art en tant que personnalité féminine et lettrée autodidacte dans un milieu longtemps marqué du sceau patriarcal.
Par l’expérimentation raisonnée de chaque médium à sa disposition, elle s’est construit un parcours artistique personnel et engagé, que des œuvres protéiformes marquent comme des balises.
Je considère que je suis une citoyenne pensante, j’ai mon avis sur la cité, sur la politique au sens grec du terme. Et c’est un avis que je partage. En 2015, le Centre Pompidou-Metz lui consacre une rétrospective attendue, qui reconnaît à cette artiste une place historique dans le paysage contemporain français.
En 1968, de retour de la documenta de Kassel, Tania Mouraud brûle la totalité de ses toiles. Depuis cet autodafé, geste artistique fondateur, elle s’adonne avec autant de pertinence à l’installation et à la sculpture qu’à l’intervention dans l’espace public, la photographie, la vidéo, la création sonore ou la performance, affichant une longévité certaine sur la scène artistique car toujours ancrée dans des problématiques actuelles.
Dès ses débuts, elle évolue dans les cercles artistiques majeurs de sa génération fréquentant notamment la Monte Young, Eliane Radigue, Denis Oppenheim, Terry et Ann Riley, Bernar Venet, Dan Graham, Ben, ...
"Balafres 117-119", 2015-2017 de Tania MOURAUD - Courtesy the Artist and Galerie Rabouan Moussion © Photo Éric Simon
"Balafres 424 - 425", 2015-2017 de Tania MOURAUD - Courtesy the Artist and Galerie Rabouan Moussion © Photo Éric Simon
Quant à sa démarche, au terme d’universalité, l’artiste préfère la notion d’humanisme, ses créations actuelles portant sur des thématiques qui couvrent le cours de notre civilisation dans son ensemble: «Traversées par la guerre, la Shoah, et plus récemment la mutilation de la Terre mère,[...] l’artiste poursuit sa réflexion sur la mécanisation de la destruction [et] sur toutes les formes de l’anéantissement»(1).
Nous pouvons ajouter qu’elle embrasse la totalité des formes de la disparition, tantôt la provo- quant, tantôt isolant la trace de ses processus afin de les porter au regard. Elle se positionne en passeur, chaque création véhiculant une charge émotionnelle forte à l’adresse du regardeur, à qui elle destine son œuvre comme une confidence ayant trait à son ressenti face au monde.
Aussi, l’exposition «From Chaos to Art» réunira-t-elle des vues sans âme qui vive, clichés d’univers mus par des machines qu’aucune figure humaine ou salvatrice ne perturbe, des mondes automates, des paysages dévastés, des mâchoires d’acier enchâssant des troncs d’arbres pour les débiter comme si nos propres corps étaient à la torture "Once Upon a Time" (2011-2012).
Les paysages de Balafres (2014-2015), à Garzweiler, Hambach et Inden en Allemagne, sont dévastés par l’extraction de lignite, matière carbone inflammable également connue comme charbon de la terre et exploité dans des mines à ciel ouvert. Certains des paysages ainsi malmenés tairont à jamais les saccages qu’ils ont subis, souvent reconvertis et aménagés en réserves naturelles ou zones de loisirs. Une fois les béances comblées par des lacs artificiels, Atlantide d’un nouveau genre, le ballet incessant des pelleteuses se mue en vogue paisible de navires de plaisance.
Bienheureuse reconversion, mais qui questionne quant à son engloutissement du chaos, cet effacement des traces d’un passé industrieux ne laissant aucun stigmate. «Comme si rien de tout cela n’avait existé», souligne l’artiste.
Faisant écho aux heures sombres de l’Histoire, résonnant avec elles par la survivance
d’images qui en témoignent, ces scènes de la Nature en voie de désolation trouvent
également leur pendant avec Backstage (2013), photographies noir et blanc de longues
bandes de béton plongées dans une eau sombre.
Ces parties émergées d’un monde englouti, que l’on ne saurait identifier entre blockhaus, stèles ou mémorial, sont en réalité les vestiges d’un port artificiel placé dans la Manche afin de faciliter le ravitaillement allié après le débarquement de 1945.
"Balafres 707-708", 2015-2017 de Tania MOURAUD - Courtesy the Artist and Galerie Rabouan Moussion © Photo Éric Simon
Je suis d’une génération où on faisait taire les femmes et j’ai trouvé dans l’art un espace de liberté. L’art est le lieu d’où il devient possible de parler de ces choses-là – on peut évoquer le chaos, sa douleur, ... On peut parler des catastrophes de manière libre.
From Chaos to Art (2017) du chaos à l’art donc, paroles empruntées à Leonard Cohen. Jouant sur la polysémie du terreau dans lequel elle ancre les racines de son travail, Tania Mouraud a choisi la phrase d’un autre auteur pour faire œuvre, appliquant ce que Charles Reznikoff identifie comme de la « poésie ready made ». Le titre de l’exposition est également celui d’une écriture presque illisible tendue en grand format, des «mots de forme»(2) selon l’expression d’Elisabeth Lebovici. Le mot, ses lettres, y deviennent un matériau qui brouille la perception du spectateur et entrave son regard habitué à une lecture confortable; le signifiant s’efface presque au profit de la plasticité du signe.
Savoir activer plusieurs niveaux de lecture est une qualité qu’aura été capable de cultiver
cette artiste pédagogue, qui a longtemps enseigné l’art en dehors des sphères privilégiées de la capitale. Dès ses débuts, elle revendique une pratique «admissible pour l’élite et compréhen- sible pour la concierge »(3), et aujourd’hui encore, œuvre à éveiller la conscience du plus grand nombre dans l’espoir sans doute que les héros silencieux que nous sommes parviennent à réveiller l’Histoire.
(1) Hélène Guenin et Elodie Stroeken, «Tania Mouraud de A à ...», in. Tania Mouraud, catalogue édité à l’occasion de l’exposition «Tania Mouraud, une rétrospective» au Centre Pompidou-Metz, du 4 mars 2015 au 5 octobre 2015, éd. Centre Pompidou-Metz, 2015, p. 11.
(2) Elisabeth Lebovici, « Tania Mouraud, mots de formes », Libération, 19 novembre 1992
(3) Entretien avec l’artiste dans «Tania Mouraud: ni ceci, ni cela», Sans titre, n°20, déc. 1992 - jan. 1993.
Galerie Rabouan Moussion
11 rue Pastourelle
75003 Paris
http://www.rabouanmoussion.com/
Jours et horaires d’ouverture: du mardi au samedi de10h à 19h30.