Exposition Collective Contemporaine : SCAR/FACE
"Icomplete closed cube Aliboron l'a digéré", 2011 - 2013 de Nicolas MOMEIN - Courtesy Galerie Galerie Ceysson & Bénétière © Photo Éric Simon
Du 28 Juin au 4 Août 2018
Artistes de l'exposition : Aline Bouvy, Sarah Braman, Holly Hendry, Antwan Horfee, Olivier Kosta-Théfaine, Anita Molinero, Nicolas Momein, Florian Pugnaire & David Raffini, SAEIO, SKKI ©, Patrick Saytour.
Commissaire d’exposition : Hugo VITRANI
« Il y avait qu'il fallait détruire et détruire et détruire » de Yves Bonnefoy, in L'imper- fection est la cime.
La négociation commença par un mauvais shot de whisky sec. Equipé d'une bouteille de Jack Da, le jeune Robert Rauschenberg sonna nerveusement un matin de 1953 à la porte de Willem de Kooning pour lui demander un dessin.
L'échange d'oeuvres entre artistes est monnaie courante, moins lorsque l'acte est à sens unique et que le destin de l'oeuvre concernée est d'être détruite. Détruire un De Kooning: à l'origine, Rauschenberg voulait créer une oeuvre à partir de la destruction de son propre travail, mais quelques tests ratés lui ont fait réaliser que l'oeuvre effacée ne pouvait qu'être celle d'un autre artiste réputé et intouchable. Ce sera celle du gros bonnet de l'expressionnisme abstrait qui accepta non sans hésitation. « Ce ne peut être qu'un dessin raté », dira WK. Et Rauschenberg l'effaça.
L'échange d’œuvres entre artistes est monnaie courante, moins lorsque l'acte est à sens unique et que le destin de l’œuvre concernée est d'être détruite.
Détruire un De Kooning: à l'origine, Rauschenberg voulait créer une œuvre à partir de la destruction de son propre travail, mais quelques tests ratés lui ont fait réaliser que l’œuvre effacée ne pouvait qu'être celle d'un autre artiste réputé et intouchable.
Ce sera celle du gros bonnet de l'expressionnisme abstrait qui accepta non sans hésitation. « Ce ne peut être qu'un dessin raté », dira WK.
Et Rauschenberg l'effaça.
"Gut feelings", 2016 de Holly HENDRY - Courtesy Galerie Galerie Ceysson & Bénétière © Photo Éric Simon
Autre époque, autres outils : pendant plusieurs mois, entre mars 2015 et mai 2016, le store d'un commerçant de la rue Jarry fut le support d'une guerre d'égos entre plusieurs peintres rivaux, SAEIO et le groupe UV (pour Ultra Violents), tous réputés pour leur vandalisme de rue.
En réponse à ces attaques systématiques, SAEIO, qui s'intéressait précisément aux notions de vandalisme et d'effacement, détournait alors les contours, formes et signatures qui le recou- vraient pour les passer au filtre de son style. Un fragment de rue reproduit ensuite sur tableau faisant de la peinture d'histoire une peinture d'embrouilles.
Guerre de générations?
Célébration?
Compétition de rue entre deux artistes qui se détruisent pour qu'il ne reste qu'un roi dans la ville… Polémiques, les oeuvres « Erased de Kooning Drawing » (1953) et « Démarches de Lutèce » (2016) rappellent que, depuis la naissance de l'art pariétal jusqu'au surgissement du graffiti qui lacère les paysages urbains en passant par l'époque moderne qui mit fin à l'élo- quence bourgeoise, la puissance de l'art surgit souvent dans sa défiguration.
"Sans titre", 2018 de Antwan HORFEE - Courtesy Galerie Galerie Ceysson & Bénétière © Photo Éric Simon
Light my fire
Toujours le créateur détruit. Parfois même, l'art s'auto-détruit, de gré ou de force : en témoi- gnent Tinguely et son oeuvre « Fragment from Homage to New York » (1960) ou les photo- graphies de l'atelier de Christopher Wool carbonisé un soir de février 1996, artiste dont le travail est aussi emprunt de déchets insomniaques.
Le feu fascine. Il brûle des matières cheap et kitsch, résolument populaires, chez Patrick Saytour qui détruit les supports et les surfaces toujours envisagés à partir de leur contre-formes, leurs rebuts, leurs rejets. Il attaque les matières plastiques fondues par Anita Moli- nero, pour qui l'art est une matière toxique calcinée, industrielle et résiduelle.
Une excroissance cauchemardesque et irréversible née d'un rapport de force. La flamme orange et bleu des briquets BIC utilisés par Olivier Kosta-Théfaine permettent de rejouer autrement les écritures tracées par les jeunes de cités qui tuent le temps en polluant les halls HLM comme le faisaient déjà les soldats pyromanes de Charles Quint qui brûlaient les arches et les coupoles au noir de fumée quand ils ne retournaient pas les murs de Rome à la pointe de leurs dagues ou à la sanguine.
Throw up
La rue est un théâtre surréaliste à l'origine du « Throw away art » selon Restany qui assimilait « l'art de rue, du déchet, des objets que l'on jette, à un jeu métaphorique, à une récréation dans le re-création ».
Un jeu qui sort du néant l'objet-déchet pour « l'élever à une dimension de pleine expressivité nouvelle, poétique et humaine ». Alors l'art est périmé chez SKKI©, chiffonnier baudelairien du siècle anthropocène et dont la démarche questionne notamment la tragédie des déchets de Stuart Chase et des textes de Bernard London, économistes à l’origine du concept de l’obso- lescence programmée à la fin des années 1920 et aujourd'hui appliquée par Apple.
L'art est un déchet décomposé et rehaussé de peinture chez Sarah Braman qui bricole ses formes accidentées, manipulant les matières précaires et low tech avec des gestes directs. Ses sculptures résonnent avec les photographies de SKKI©, publiées au jour le jour sur Instagram et avec les premières oeuvres d'Anita Molinero qui faisait du déchet une sculpture et de la sculpture un déchet.
Dans les années 1980, Molinero s'intéressait à l'énergie et la précarité de ce qui se jouait dans la rue, ce même esprit corrosif qui habite toujours les oeuvres sauvages d'Aline Bouvy pour qui l'art est aussi un crachat, de la pisse. Chez Nicolas Momein, la matière est léchée, avalée, digérée. Elle touche ses limites et se réinvente par ses marges: l’art est bestial.
"Sans titre (Plots)", 2012 de Anita MOLINERO - Courtesy Galerie Galerie Ceysson & Bénétière © Photo Éric Simon
Ex-formes
L'oeil écoute : les installations hand made du musicien expérimental Wouter Van Veldhoven convoquent vieilles machines, télévisions, boutons techniques, tubes plastiques ou archet de violon bricolé et automatisé pour désynchroniser et déstructurer les sons. L'art est violent, il tabasse la matière toujours plongée sous pression mécanique dans les films et sculptures de Pugnaire & Raffini. L'art perturbe l'espace : la ligne est cassée, superposée, tramée ou animée chez Antwan Horfee, toujours entre figuration et abstraction, dessin et peinture.
Une décomposition de la ville et ses lois, des tableaux, de l'histoire de l'art et de son héritage (des cartoons japonais et des comics underground des années 1930 aux villes gonflables de Peter Cook et aux tatouages naïfs).
Les lignes sculptées par Holly Hendry questionnent la frontière dedans-dehors, la déforment et la désossent. Un croisement des techniques et imageries scientifiques (des dissections médicales à celles des géographes) et des esthétiques des déchets enfouis dans les failles du monde, comme les joints de chewing gums qui s'immiscent clandestinement dans les fissures du bitume.
Matières et idées calcinées, déformées, disséquées, désossées, crachées, léchées, avalées, abandonnées, oubliées : le vandalisme est créatif. Alors les oeuvres présentées dans l'exposition scar/face ne font pas mentir Bataille qui écrivait que « la destruction fulgurante est, dans le piège de la vie, l'appât qui ne manque pas de nous attirer.» L'art est ce dommage qui dérange l'ordre qui étouffe le monde, chico. Et tout ce qu'il y a dedans.
Hugo Vitrani, avril 2018.
Galerie Ceysson & Bénétière
23 rue du Renard
75004 Paris
https://www.ceyssonbenetiere.com
Jours et Horaires d’ouverture : de Mardi à Samedi de 11h à 19h.