Exposition Photographie Contemporaine: Leslie HEWITT
Du 6 septembre au 22 septembre 2018
Pour sa première exposition à la galerie Perrotin de Paris, l’artiste américaine Leslie Hewitt (née en 1977 à New York) présente un nouvel ensemble de photographies issues de la série Riffs on Real Time, accompagné de fonds colorés (photogrammes non-obstrués, tirages digitaux à développement chromogène), et de sculptures minimalistes.
Associant instantanés et documents d’archive photographiés sur des motifs texturés, les compo- sitions de Riffs on Real Time s’enracinent dans l’Amérique post-industrielle, en lien avec les mouvement des droits civiques (1950-1989).
Leur agencement complexe rappelle les montages Photoshop ou les manipulations visuelles diffusées sur Internet, et nous invite à remettre en question, dans la lignée de la photographie conceptuelle américaine (John Baldessari, Allan Sekula, Taryn Simon...), le pouvoir que l’on attribue habituellement à ce médium. À savoir : témoigner objectivement du passé, nourrir notre mémoire, et bâtir une histoire collective.
Entamée en 2002, la série Riffs on Real Time, exposée au MoMA (2009) et au musée Guggenheim de New York (2015), superpose trois couches d’images. Tout d’abord, notre regard se focalise sur un cliché glané dans les albums de famille des proches de Leslie Hewitt, dont les contours flous, effacés ou usés lui confèrent l’aura d’une « relique »1.
"Riffs on Real time with Ground (Cool Red and Minimal Saturation)", 2018 de Leslie HEWITT - Courtesy Galerie Perrotin © Photo Éric Simon
Mais si leur sens « original » et leur contexte particulier échappent parfois à l’artiste, chacun de ces instantanés recouvre un document de plus grand format (couvertures tirées de la littérature contestataire noire américaine, photos de magazines, reportages, archive gouvernementales...), qui l’encadre, et l’ancre dans une situation sociopolitique plus large. Celui de revendications, de marches et d’émeutes liées à la lutte pour les droits de l’homme – images elliptiques que l’on complète mentalement, et qui invitent à établir de libres associations, vu que leur centre reste obscur.
Enfin, une dernière couche, servant d’arrière-plan à l’ensemble, laisse apparaître des motifs texturés. Il s’agit des rainures ou des stries du parquet de l’atelier de l’artiste, sur lequel les deux objets précédemment superposés ont été disposés et photographiés en plongée.
Ainsi, ce troisième plan ouvre le champ d’une dialectique où iconographies intime et politique, espaces privé et public, mémoires personnelle et collective, entrent en résonance. Petite et grande Histoire se répondent alors.
"Riffs on Real time with Ground", 2018 de Leslie HEWITT - Courtesy Galerie Perrotin © Photo Éric Simon
Ce dispositif, inspiré du montage cinématographique, vient nous rappeler que la signification des images, loin de leur être intrinsèque, dépend de la façon dont elles se trouvent agencées et reliées les unes aux autres. En ce sens, le terme de « riff », emprunté au mouvement jazz bebop engagé dans la lutte des droits civiques (Max Roach, Charles Mingus...), désigne un art de combiner librement des éléments mélodiques et rythmiques dans la structure des solos.
Achromatic Scales, version noir et blanc inédite de la série Riffs on Real Time aperçue à l’Armory Show, manifeste une nouvelle esthétique du clair-obscur chez Leslie Hewitt, qui « déchromatise » ainsi les photos et documents couleurs récupérés. Travaillant avec un appareil analogique à la lumière More information about the artist
Plus d’information sur l’artiste du jour, l’artiste montre par-là les ambiguïtés du médium photographique. Mettre en lumière une situation et la rendre visible, la révéler à notre regard. Ou l’obscurcir, la sous-exposer, et la laisser tapie dans les « trous noirs » de l’histoire et de la mémoire. Dès lors, elle interroge la manière dont un événement peut être promu ou sous-représenté dans la culture et l’histoire officielle d’un pays.
Critiquant la prétendue objectivité de la photographie, entendue comme une authentique preuve de « ce qui a été »2, elle affirme que toute image n’est qu’une perspective singulière et sub- jective qui tente d’infléchir notre perception du réel – ne serait-ce que par le choix du cadrage ou de l’angle de prise de vue.
Les compositions photographiques élaborées par Leslie Hewitt se trouvent ainsi évidées de toute couleur, et combineés aux sols remplis de chromatiques, dont les tons dorés, cyan, quadrillés de vert, ont été soigneusement choisis pour s’équilibrer avec la texture profonde des tirages argentiques sur gélatine, à la fois dans leur forme et leur contenu. Ces monochromes forment ainsi un assortiment coloré, un hommage aux abstractions suprématistes ou une gamme de couleur se déplaçant perpétuellement dans l’espace digital.
Jouant sur une interprétation des vanités hollandaises datant du XVIIe siècle, les photos-sculptures de Leslie Hewitt, à l’instar des séries Still Life (2013) et Riffs on Real Time, pour la qualité de leurs clair-obscur et de leur composition en atelier, procèdent d’une approche de la photographie comme objet.
L’empilement des images donne effectivement une épaisseur rare au médium, que l’on réduit souvent à sa dimension bidimensionnelle. Le travail sur les textures et les matériaux récupérés offrent du volume à l’ensemble, et rendent davantage tangibles les éléments présents à la surface des clichés.
De plus, ces photographies s’accompagnent d’une sculpture faite de matières simples (bois, cuivre). Déployée sur le sol, elle nous montre que l’artiste, qui a une formation de sculptrice, engage un dialogue matérialiste ou formaliste avec le Minimaliste. Deux installations in situ confirment enfin le goût de Leslie Hewitt pour la mise en espace des matériaux.
Ces deux structures murales redoublent, de par leurs dimensions, les portes et fenêtres du deuxième étage de la galerie Perrotin. Épousant les formes architecturales du bâtiment, ces sculptures, posées sur le sol et contre les murs de la galerie, nous invitent à interroger le rôle du
formalisme et les glissements fondés entre représentation et réalité.
François Salmeron
Critique d’art, et chargé de cours au département de photographie de l’Université Paris 8
2 Roland Barthes, La Chambre claire. Note sur la photographie, chapitre 32 « Le ça-a-été », chapitre 34 « L’authentification », Editions Gallimard, Paris, 1980.
Galerie PERROTIN
76 rue de Turenne
75003 PARIS
Jours et horaires d’ouverture : du mardi au samedi de 11h à 19h.