Exposition Solo Show: Michel JOURNIAC
"Contrat de prostitution: Journiac travesti en dieu", 1973 de Michel JOURNIAC - Courtesy Galerie Christophe Gaillard © Photo Éric Simon
Du 19 octobre au 24 novembre 2018
Depuis sa mort, en 1995, un spectre hante l’art contemporain, celui de Michel Journiac. Son parcours fut d’abord fracassant.
Dès sa première action artistique, en 1969, la célèbre Messe pour un corps, où l’ancien séminariste et licencié en théologie débita une vraie messe en latin tout en débitant des rondelles d’hostie dans du boudin fait avec son sang, il affirmait une position d’artiste personnelle et radicale, formulant une version singulière du Body Art, différente de celles qui étaient formulées à la même époque par Hermann Nitsch, Vito Acconci, Urs Lüthi ou Bruce Nauman.
"Hommage à Freud - constat critique d'une mythologie travestie", 1972 de Michel JOURNIAC - Courtesy Galerie Christophe Gaillard © Photo Éric Simon
Souvent réduite à ce premier geste culinaire du boudin cannibale, un peu comme si l’on renvoyait Yves Klein au seul Saut dans le vide, l’œuvre de Journiac, comme toute œuvre majeure et de rupture, traverse et bouleverse en fait l’ensemble des pratiques artistiques de son temps, de l’art conceptuel à l’art sociologique, de l’objet à la photographie, de la mythologie individuelle à l’image pop et, bien entendu, à l’action. Une « action » qui a pour matériau premier et dernier : le corps. Qui a pour moteur : le « non ».
Il s’agit d’abolir, par une action d’objection spécifique, tous les rituels qui sont autant de pièges sociaux dans lesquels le corps est captif, conditionné en viande sociale consciente tranchable à froid : de la famille à l’identité, du vêtement au genre sexuel, de la vie ordinaire au fantasme, du désir à la mort.
"Tirage préparatoire - Arletty", 1972 de Michel JOURNIAC - Courtesy Galerie Christophe Gaillard © Photo Éric Simon
"Tirage préparatoire - Arletty", 1972 de Michel JOURNIAC - Courtesy Galerie Christophe Gaillard © Photo Éric Simon
La décennie suivante voit Journiac diversifier de manière stupéfiante une démarche artistique radicale de la contestation et du « faux pas » (selon l’expression de son grand complice critique, François Pluchart, qui a qualifié l’action de la Messe de « premier faux pas de l’histoire de l’art »), portant à une échelle anthropologique rarement égalée les détournements paro- diques du Pop Art et ceux à visée anti-art et subversive des situationnistes.
Il organise un Référendum Journiac sans message et sur son seul nom avec campagne d’affichage et bureau de vote (1970) ; il construit une réplique de la guillotine à ses mesures pour abolir, en œuvre du moins, la peine de mort (Piège pour une exécution capitale, 1971) ; il enrôle ses propres parents pour un coming out familial des travestis (journiac : hommage à freud, 1972) ; il propose par contrat de transformer votre corps en œuvre d’art après votre mort selon trois forfaits : peinture, identité sociale (vêtements fossilisés) ou l’étalon-or (Contrat pour un corps, 1972) ou encore, il rejoue en travesti les séquences de la vie d’une femme ordinaire établies d’après sondage dans la presse féminine (24 heures de la vie d’une femme ordinaire, 1974).
Cette dernière action photographique témoigne chez Journiac d’une utilisation de l’image photographique novatrice pour l’époque, et qu’adoptera par la suite une Cindy Sherman.
"Piège pour un travesti : Greta Garbo", 1972 de Michel JOURNIAC - Courtesy Galerie Christophe Gaillard © Photo Éric Simon
"Proposition pour un travesti Incesteux et masturbatoire", 1975 de Michel JOURNIAC - Courtesy Galerie Christophe Gaillard © Photo Éric Simon
Au-delà du constat, de la pure fonction d’enregistrement de l’action corporelle, Journiac formalise le « constat critique » qui s’empare des formes manifestes du conditionnement (les usages sociaux de la photo, le sondage…) pour introduire une déviance qui déconditionne le standard.
On peut dire, qu’à ce moment-là, il produit une sorte d’image transgenre, queer à tout le moins, où la remise en cause du
Arrivent les années 1980. Durant les tristes années du sida et de la domination écrasante du marché libéral, l’objection corporelle de Journiac est devenue invisible pour les radars de l’actualité artistique.
Son action reste rebelle au produit d’art et devient souterraine. C’est l’époque où il concentre souvent l’essentiel de son action corporelle dans l’utilisation de son sang, inversant le mot godardien « c’est pas du sang, c’est du rouge ! », dans une perspective matérialiste communautaire qui annonce l’art relationnel, comme pur don de l’art et dur refus de l’œuvre.
"Le Saint-Vierge", 1972 de Michel JOURNIAC - Courtesy Galerie Christophe Gaillard © Photo Éric Simon
Redécouvert quelques années avant sa disparition, alors qu’il achevait sa dernière œuvre, testament énigmatique, ramenant tout son parcours artistique à l’évidence de l’absence de corps, en une démarche vitale à l’alchimie virale (Billets de sang frais, 1993), celui qu’un journaliste populaire surnomma le « cannibale de l’île Saint-Louis », et que l’on peut considérer comme le véritable grand artiste issu de Mai 68, à l’heure de la commémoration des événements, Michel Journiac serait-il notre dernier artiste maudit ?
Vincent Labaume, Noisy-le-Sec, 27 juillet 2018
À l'occasion de l'exposition, parution de "Michel Journiac, Le corps travesti", réédition augmentée du livre des "24 Heures dans la vie d'une femme ordinaire". Textes de Paul B. Preciado, Vincent Labaume, Manuel Segade, Emilie Notéris et Stéphane Marti. Ouvrage distribué par les Presses du Réel.
Michel JOURNIAC est né le 7 octobre 1935 à Paris. Il étudie la théologie à l'institut catholique et l'esthétique à la Sorbonne à Paris.
Meurt d'une hémorragie cérébrale le 15 octobre 1995 à Paris
Galerie Christophe Gaillard
5 rue Chapon
75003 Paris
http://www.galeriegaillard.com/
Jours et horaires d’ouverture: du mardi au vendredi de 10h30 à 12h30 et 14h à 19h et le samedi de 12h à 19h.