Exposition Peinture Contemporaine: Hassan MUSA « Steal Lifes »
Du 10 avril au 1er juin 2019
« Ainsi l’ironie devance toujours le désespoir : elle fait la pirouette et, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, elle a déjà escamoté la cause de notre tourment ; à la barbe du destin nous voilà devenus jardinier, géomètre ou violoniste, et notre personne file en contrebande sous les masques les plus variés » (Vladimir Jankélévitch, L’ironie).
La nature morte, genre pictural occidental, sonde le hiératisme des éléments de la nature ou des productions humaines. Les variations linguistiques – nature morte, still life, stilleben -, insistent tantôt sur le caractère inanimé des objets, tantôt sur leur dimension immobile et silencieuse. Ce genre pictural peut toutefois se révéler extrêmement loquace lorsqu’il disserte sur la fugacité de l’existence. À l’École des Beaux-Arts de Khartoum où Hassan Musa étudie au début des années 1970, les catégories de la peinture occidentale comme la nature morte, le portrait ou le paysage lui ont été présentés comme modèles. Ils continuent de hanter son répertoire iconographique. Mais ce sont des images parmi d’autres que l’artiste convoque à son gré depuis plusieurs décennies pour générer une chronique de nos sociétés contemporaines.
Hassan Musa rapproche nature morte et assassinat : la frugalité du dernier repas du Christ est éclipsée par la mondialisation du fast-food sous la bannière « Manger tue », tandis que la chair immaculée de l’odalisque dans son harem est cernée par le burger et les frites. L'artiste livre en pâture les emblèmes des sociétés consuméristes et capitalistes. Aguerri dans le domaine du détournement des images, il aime aussi opérer quelques glissements dans l’art du langage. De still life à steal lifes, il refuse l’immobilité du monde pour l’aborder dans ses perpétuels remous, ce qui suscite de l’amertume face aux vies qui se dérobent.
Hassan Musa ne cesse d’en découdre avec l’Orient pour révéler la trame hier tissée par l’impérialisme occidental, façonnée aujourd’hui par les enjeux géostratégiques du pétrole. Jean-Auguste-Dominique Ingres fournit les personnages de la scène, empruntés aux cimaises du Louvre. Le rôle de La Grande odalisque, Hassan Musa l’avait déjà confié à Oussama Ben Laden. La baigneuse Valpinçon, ce sera cette fois la fiancée turque de Jamal Khashoggi. Passé de la presse officielle à la dissidence, le journaliste saoudien s’était exilé en 2017 aux États-Unis avant d’être assassiné en 2018 à Istanbul. Sa mort a provoqué une crise diplomatique d’envergure. Est-il vraiment un martyr de la liberté d’expression ? À rebours du portrait honorifique, Hassan Musa se demande de quelle étoffe sont faits ceux qui sont érigés en icônes.
Qui dit tissu s’immisce dans l’atelier de l’artiste pour observer sa délectation à découper les pièces textiles, s’emparer de leurs motifs imprimés, les coudre, les combiner ou laisser s’épanouir à leurs côtés la peinture à l’huile. Un tissu figurant des poules oriente Hassan Musa vers un autre volatile : des cuisses de Léda surgit un cygne, agresseur qui n’est autre que le maître de l’Olympe, Zeus.
Quant au célèbre billet vert américain, il se perd dans la luxuriance de la jungle du Douanier Rousseau. Au centre Joséphine Baker est la charmeuse de serpents. Figure du music-hall originaire du Missouri, elle a fait frémir d’exotisme l’Europe de l’entre-deux-guerres avec la Revue nègre. Hassan Musa la renvoie au stéréotype de la vie « sauvage » dans une jungle incertaine, mais l’arme pour sa défense d’une kalachnikov.
Interroger la fabrique des personnages qui scandent l’histoire et les imaginaires nous conduit jusqu’à la figure de l’artiste. Lors de son parcours au Soudan, puis en France, Hassan Musa s’est heurté à maintes reprises aux questionnements liés à l’identité. Il a, dans le domaine artistique, dénoncé un enfermement de la création selon une vision géographique. Plutôt que de se laisser circonscrire, il préfère dans ses autoportraits démultiplier son visage, dont les traits se découpent sur ceux d’autres motifs. Se méfiant de toute taxinomie, Hassan Musa entremêle les époques, les genres et rejette la hiérarchie des images, le tout dans une liberté réjouissante, où l’ironie œuvre à déceler ce qui, dans l’humanité, flétrit.
Sarah Ligner est responsable de l'Unité patrimoniale Mondialisation Historique et Contemporaine; Département du patrimoine et des collections du Musée du Quai Branly.
Hassan MUSA est né en 1951 à El Nuhud, Soudan. Vit et travaille en France.
Galerie Maïa Muller
19 rue Chapon
75003 Paris
France
Jours et horaires d’ouverture : du mercredi au samedi de 11h à 19h.