Exposition Peinture Contemporaine: Louis SOUTTER « Un Présage »
Du 29 aout au 12 octobre 2020
La Galerie Karsten Greve a le plaisir de présenter l’exposition de Louis Soutter «Un Présage», réunissant les dessins et peintures que l’artiste suisse réalisa entre 1937 et 1942.
Son oeuvre, visionnaire par les imaginaires qui s’y expriment, porte tous les signes de la modernité. L’exposition actuelle donne une place particulière aux dessins au doigt, ultime période de la création de l’artiste où l’investissement direct du corps participe à une liberté picturale et une simplification des formes.
À la remarquable collection de Karsten Greve ici présentée s’ajoutent plusieurs prêts venant de collections privées internationales qui, réunies, aspirent à révéler l’importance de l’art singulier de Soutter, longtemps laissé à l’écart de l’histoire de l’art. À partir de 1923, Louis Soutter produit une oeuvre prolifique en marge de la société. Pourtant, dans ses fantasmagories singulières habitées d’êtres en lutte apparaissent la dépression et l’isolement de l’Europe des années.
1920-1930. L’auteur narre un complot ou un meurtre à venir, comme des présages, annonçant la libération de l’homme face à la tutelle des dieux, les épopées bibliques sanglantes et épisodes historiques comme personnels. Si un caractère prophétique vient s’associer à l’ensemble de la production de l’artiste, répercutant la période mouvementée de l’entre-deux guerres et anticipant la deuxième guerre mondiale, un flou historique s’installe avec des personnages renvoyant aux rites païens et aux esprits de la forêt.
Dans un flux incessant d’images issues de la mythologie et des croyances, les danses côtoient les fresques de tortures : l’Histoire est pour l’artiste un réservoir de personnages et d’évènements où il vient puiser. Jouant des coupures et des sauts temporels, Soutter passe soudainement d’une période maniériste en dessin avec ses panthéons de portraits à un primitivisme en peinture.
La période des dessins au doigt au style primitif, pouvant rappeler une régression ou une déficience physique, permet de remettre la question de la création sur un autre plan : celui où s’unissent l’essence de l’art et l’Histoire. Son approche du dessin se fait également par réminiscences ; rappelant ceux que les amérindiens exécutaient sur la roche. Scènes nocturnes de personnages en contre-jour, les empreintes dessinées au doigt s’accumulent et dansent à la surface du papier : astres, croix, grille, pluie, corde ou boyau sont les formes récurrentes.
Les personnages étroitement enserrés dans un cadrage cinématographique, qui rappelle le gros plan, sont en proie au jugement, à la fatalité ou à la peur.
"Potentas d'Infirmités", 1937 - 1942 de Louis SOUTTER - Courtesy Galerie Karsten GREVE © Photo Éric Simon
Bien qu’isolé dans sa création, son appartenance aux artistes « voyants » de ce début du XXème siècle est manifeste ; pratiquant l’ascèse et les marches exténuantes, la dimension spirituelle et corporelle sont fondamentales à son processus créateur. Sa technique qui consiste à intervenir directement avec ses doigts enduits d’encre ou de peinture sur le papier lui procure une hyperacuité quant au monde environnant.
Ses sujets nus et squelettiques aux mains levées sont comme encerclés par un filet invisible au-dessus de leurs têtes, mais aussi au-dessus de l’univers, évoquant métaphoriquement la question d’Hamlet : être ou ne pas être ? La dramaturgie shakespearienne, à laquelle Soutter fait de nombreuses fois référence, se retrouve également dans ses compositions frontales empruntant à celles de l’espace théâtral.
Les décors dépouillés ou surchargés de lignes et de taches interfèrent dans les actions en cours. Les personnages sont alignés comme dans les bas-reliefs ou grouillent dans des compositions où ils peinent à se tenir ; comme l’art que Soutter pratique aux limites de la société.
L’étrangeté et le pathos qui surviennent sans cesse dans les images lancent des ponts entre les abîmes de temps. Créant des rapports dans leurs différences, ses dessins se rassemblent dans une figure commune : une humanité bouleversée par la dépossession de la pensée. Conte ou constat d’un monde, les compositions orchestrées, accompagnées souvent d’annotations sont comme autant d’indications sur une partition à jouer un « psaume à l’actualité ».
"Les premières primevères", 1926 de Louis SOUTTER - Courtesy Galerie Karsten GREVE © Photo Éric Simon
Né en 1871 à Morges en Suisse, Louis Soutter était engagé dans une carrière artistique prometteuse : violoniste talentueux, il est d’abord élève au conservatoire royal de Bruxelles auprès du compositeur et chef d’orchestre Eugène Ysaÿe, puis il étudie le dessin et se rapproche de l’avant-garde européenne en peinture et notamment du groupe des XX.
En 1897, il émigre aux États-Unis où il épouse Madge Fursman à Colorado Springs. Il y enseigne la musique et le dessin, avant d’être nommé direc-teur du département des Beaux-Arts du Colorado College. Parallèlement, il est portraitiste classique et illustrateur de presse.
Pourtant à son retour en Suisse en 1903, correspondant à sa séparation avec sa femme, son affaiblissement par le typhus, la mort de son père puis de sa soeur, l’artiste accumule les souffrances psychiques. Premier violon dans l’orchestre symphonique de Genève, il perd sa place en 1915. Il joue alors dans de petits ensembles accompagnant les films muets expressionnistes allemands de l’époque. Criblé de dettes et trop marginal pour son entourage, Soutter est placé en 1923 à l’âge de 52 ans dans un hospice pour vieillards et nécessiteux à Ballaigues, un village isolé du Jura vaudois. Là-bas, il se met à dessiner à un rythme intense : à la « Période des cahiers » succède la « Période maniériste » à l’encre, au crayon et à la plume. Alors presque aveugle et atteint d’arthrose articulaire, il passe à la peinture puis commence en 1937 ses dessins au doigt. Reclus, il est cependant soutenu dans sa création par une poignée de connaissances, parmi lesquelles on compte Jean Giono et les frères Valloton qui l’exposent dans leur galerie à Lausanne, ainsi que l’architecte Le Corbusier, cousin de Soutter, qui le fait connaître et écrit un article sur lui dans la revue Minotaure en 1936.
Ce dernier lui organise des expositions aux États-Unis, mais en désaccord avec la période des dessins au doigt de l’artiste, il se détourne de lui. Louis Soutter, coupé du monde et de ses proches par la guerre, s’éteint à l’hospice en 1942. Après sa mort, ses oeuvres sont prisées par les collectionneurs.
En 1961 le Musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne lui consacre des rétrospectives, puis la Fondation Le Corbusier exhume une partie importante de ses dessins. La Galerie Karsten Greve lui consacre une exposition en 1998 à Cologne, participant à sa reconnaissance en Europe et dans le monde.
Galerie Karsten GREVE
5, rue Debelleyme
75003 Paris
France
https://www.galerie-karsten-greve.com
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Jours et horaires d’ouverture : du mardi au samedi de 10h à 19h