Exposition Peinture Contemporaine: Gérard TISSERAND «VIVE LES VACANCES ! 1960 -1970»
"Vive les vacances", 1975 de Gérard TISSERAND - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Patricia Dorfmann © Photo Éric Simon
Du 8 octobre au 14 novembre 2020
Être un créateur libre, à l'écart des modes et des étiquettes, accomplissant une oeuvre engagée sans se soucier de la critique, ni du marché. C'est sans doute une bonne définition pour introduire Gérard Tisserand.
Né en 1934 à Besançon dans une famille modeste, il suit le cursus de l'école des Beaux-Arts de Dijon avant de partir vivre au milieu des années 1950 à Paris.
Avec l'aide de l'Abbé Pierre, il s'installe dans un atelier à la Ruche et se lie d'amitié avec Paul Rebeyrolle et Bernard Lorjou. Il s'intéresse alors à un art figuratif et expressif qui porte un regard témoin et critique sur son temps. Il est très actif dans les débats artistiques qui animent les artistes de La Ruche à cette époque.
Il intègre la mouvance de Jeune Peinture, créée en 1949 à l'initiative de Paul Rebeyrolle. Cette mouvance constitue une alternative aux circuits de reconnaissance du marché de l'art et des institutions publiques qui exposent essentiellement l’art abstrait. Elle propose ainsi de répondre à une pénurie des lieux consacrés aux jeunes artistes en organisant chaque année à Paris une exposition d'art. Cette période marque la véritable naissance artistique de Tisserand, il affirme ses propres idées et y puise la matière essentielle de son oeuvre à venir.
"Sans titre (Michel Parré dans sa piscine)", 1975 de Gérard TISSERAND - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Patricia Dorfmann © Photo Éric Simon
Hostile à la Guerre d'Algérie, il est réquisitionné à contre coeur dans l'artillerie 27 mois durant. Il n'assiste pas au moindre combat. Lors du "putsch d'Alger" alors qu’il se trouve sur la frontière marocaine à Aïn Sefra, il est condamné à trois mois de prison par le tribunal militaire pour avoir désarmé des officiers. Un moment de sa vie que l'artiste qualifie de sinistre.
Dès lors, Gérard Tisserand ne cessera jamais de lutter. Il réalise dès la fin des années 1950 des travaux collectifs et engagés, notamment Les Massacres de Rambouillet (1957) avec Bernard Lorjou et Yvonne Mottet ou L'Abri Antiatomique (1965) avec Francis Biras, Michel Parré et Erik Dietman.
Son art acquiert dans les années 1960-1970 un sens de la truculence, voire de la satire qui en fait l'un des peintres les plus corrosifs de l'époque.
"Le salon des bienpensants", 1968 de Gérard TISSERAND - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Patricia Dorfmann
Dans l'élan des événements de mai 1968, Gérard Tisserand est à l'initiative de la Coopérative des Malassis : un collectif de peintres engagés composé de Henri Cueco, Lucien Fleury, Jean-Claude Latil, Michel Parré et Christian Zeimert.
Sur le modèle d'un mouvement ouvrier, ils créent un art collectif en travaillant à la réalisation d'oeuvres communes, figuratives et monumentales. Remettant en question la notion de « l’artiste individualiste », ils décident de ne pas signer les oeuvres collectives. Ils refusent de vendre leurs oeuvres et préfèrent à la vente, la location afin de se soustraire au marché de l'art et de pouvoir se tenir à distance des institutions. En dehors de tout parti politique et toujours soucieux de se dissocier d'un art de la propagande, ce collectif produit une peinture engagée et apporte une réflexion critique sur la société et ses dérives.
"Sans titre - Série Salle rouge pour le vietnam (mai 1968)", 1968 de Gérard TISSERAND - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Patricia Dorfmann © Photo Éric Simon
Toujours à l'affût des actualités, ils combattent les injustices, dénoncent la "nouvelle société" pompidolienne et critiquent la société de consommation de plus en plus triomphante à travers leurs peintures subversives et leurs actions coup de poing. Parmi les grandes œuvres collectives, on peut citer notamment Qui tue ou l'Affaire Gabrielle Russier (1970), Le Grand Méchoui (1972), Le Radeau de la Méduse ou la dérive de la société (1974-75) et Les affaires reprennent (1977).
Dans l'exposition 60-72 Douze ans d'art contemporain en France, au Grand Palais - censée témoigner de la vitalité de l'ère gaulliste en matière d'art - ils présentent une fresque de soixante-cinq mètres de long intitulée Le Grand Méchoui, qui fait le procès du gaullisme.
Le mardi 16 mai 1972, le vernissage de l'exposition est perturbé par des manifestants qui voient l'exposition comme une "entreprise publicitaire de prestiges" du gouvernement Pompidou. Ils sont venus y dénoncer un art officiel et une mauvaise considération d'une partie des artistes. Les forces de l'ordre chargent les manifestants.
Série Les Technoclaques "Allez au vert", 1977 de Gérard TISSERAND - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Patricia Dorfmann © Photo Éric Simon
Les Malassis décident alors de décrocher leur fresque monumentale, de quitter le Grand Palais oeuvres à la main et de se joindre aux manifestants. Les photographes de la presse internationale mitraillent la scène et la foule de manifestants applaudit. Très remarquée, cette action fracassante reste aujourd'hui un évènement historique des scandales dans l'histoire de l'art et un moment marquant pour le collectif.
En parallèle de la Coopérative des Malassis, Gérard Tisserand développe une oeuvre qui fait écho à ces luttes collectives. Il observe le quotidien de l'Homme et dépeint des scènes contemporaines, il dénonce et montre la réalité sociale de son temps à travers des thématiques comme les droits sociaux (Vive les vacances, 1975), les droits civiques, les droits de l'Homme, la guerre, le féminisme (L'Île de Seins,1976), le sexe, les injustices, les scandales (La Famille Willot, les frères Villot ou une belle famille, 1964), la politique (portrait d'un socialiste, 1975), la religion... Il se place comme un peintre au service du peuple et de ses causes.
Série Les Technoclaques "Et ça fume ou Mourousi", 1975 de Gérard TISSERAND - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Patricia Dorfmann © Photo Éric Simon
Gérard Tisserand est un peintre libre, il ne cherche ni le succès, ni la reconnaissance et se tient toujours loin des circuits du marché de l'art, ne vendant qu'occasionnellement ses oeuvres : "Je n'ai jamais vraiment eu d'expositions prestigieuses" et déclare en éclat de rire "Pourtant j'aime bien les honneurs. J'aurais aimé être adulé et m'offrir le luxe de refuser les honneurs ! Ça m'aurait bien plu d'être Johnny Halliday ou Brigitte Bardot!"
Parfois le peintre et ses amis prennent place dans ses compositions, ils s'ajoutent à la narration et deviennent les témoins de la grande Histoire :"Je suis témoin de ma propre histoire. Je peux me moquer des gens : j'en fais partie" disait-il. Sa peinture imprégnée du quotidien, des injustices et du pouvoir n'en est pas moins imprégnée de l'histoire de l'art.
Dans le traitement de ses scènes, il fait souvent référence aux grands maîtres de l'art comme Gustave Courbet ou Eugène Delacroix. Sa manière de dénoncer avec humour, dérision et jubilation n'est pas sans évoquer l'héritage de Georges Grosz, d'Otto Dix ou même du surréaliste, Magritte.
Série Les Technoclaques "Monsieur Telephonqueunne", 1975 de Gérard TISSERAND - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Patricia Dorfmann
Le traitement réaliste de ses scènes, qui garantit une efficacité de lecture pour tous, semble empreint de l'image cinématographique et de la bande dessinée. Ses compositions efficaces à la palette explosive nous happent le regard. Elles semblent vouloir détourner les codes de l'image publicitaire qui sature le quotidien et donner une réponse au Pop Art qui apparaît pour l'artiste peu critique et pas suffisamment engagé dans les luttes de l'époque.
La peinture de Tisserand aborde des thématiques puissantes dont certaines font toujours sens aujourd'hui. Figure majeure de l'art engagé, Gérard Tisserand est sans nul doute un des plus grands artistes Français. Son oeuvre garante d'une époque et de l'histoire du pays laisse un héritage artistique unique et fort de sens.
Une proposition de Lucas Djaou, commissaire de l'exposition.
Galerie Patricia Dorfmann
61 rue de la verrerie
Fr- 75003 Paris
https://www.patriciadorfmann.com/
Jours et horaires d’ouverture: du mardi au samedi de 11h à 19h.