Exposition Photographie contemporaine: Lars VON TRIER "ARTvonTRIER"
"Melancolia, Justice of Ophelia", 2011 - 2021 de Lars VON TRIER - Courtesy de l'artiste et de la galerie Perrotin Paris © Photo Éric Simon
Du 4 septembre au 2 octobre 2021
La galerie Perrotin présente pour la toute première fois en ses murs une exposition du cinéaste danois Lars von Trier. Les 24 œuvres photographiques intitulées "ARTvonTRIER", issues de la filmographie du cinéaste, et offrent aux visiteurs une réflexion et implication nouvelles des scènes emblématiques de ses films.
Cinéaste majeur des vingt-sept dernières années, Lars von Trier propose depuis toujours des films empreints d’une forme de radicalité, tant esthétique que thématique. Entraînant des personnages altruistes dans des situations déchirantes et des espaces troubles, il est un réalisateur revendiqué de l’émotion1.
"The Element of crime, Archive", 1984 - 2021 de Lars VON TRIER - Courtesy de l'artiste et de la galerie Perrotin Paris © Photo Éric Simon
"Europa, Junction", 1991 - 2021 de Lars VON TRIER - Courtesy de l'artiste et de la galerie Perrotin Paris © Photo Éric Simon
Offrant au spectateur un cinéma plus charnel que conceptuel, il oblige par son approche à transcender les limites des affects ordinaires 2. Du naturalisme explicite aux fulgurances stylistiques plus élaborées, le cinéaste n’a par ailleurs jamais cessé d’adapter ses images aux sujets complexes dont elles sont porteuses.
Entre succession de plans tournés caméra à l’épaule (comme dans les films conçus sous l’égide du Dogme95) et cadres plus travaillés, il y a chez Lars von Trier la volonté de confronter réalisme et artifice, pour s’approcher au plus près des passions humaines.
"Europa, What it takes to make a man an animal", 1991 - 2021 de Lars VON TRIER - Courtesy de l'artiste et de la galerie Perrotin Paris © Photo Éric Simon
"Dogville, Escape", 2003 - 2021 de Lars VON TRIER - Courtesy de l'artiste et de la galerie Perrotin Paris © Photo Éric Simon
Le réalisateur expose aujourd’hui, en collaboration avec Jens-Otto Palu-dan et Malou Solfjeld, et pour la première fois à la galerie Perrotin à Paris, une série de vingt-quatre photographies. Vingt-quatre, soit le nombre d’impressions par seconde sur la pellicule qui composent justement une image cinématographique. Cette série n’est pas constituée de souvenirs de tournage (type making of), ni de témoignages sur les affres de la création, souvent décrites comme houleuses chez Lars von Trier.
lle se déploie plutôt comme un mémento de son œuvre, à travers des photogrammes prélevés au cœur même des films, créant une somme qui va bien au-delà de la simple rétrospective. C’est ainsi que nous circulons de The Element of Crime (1984) à The House That Jack Built (2018), en passant par Breaking the Waves (1996), Dogville (2003), Antichrist (2009), ou encore Melancholia (2011) et Nymphomaniac (2013), avec le sentiment d’une cohérence artistique jamais démentie.
Car ce qui émerge de cet ensemble photographique, c’est avant tout l’intensité picturale dont l’œuvre de Lars von Trier est imprégnée. Aux côtés du théâtre et de la littérature qui irriguent déjà son cinéma, surgit donc ici la référence à la peinture, magnifiée par un sens évident du cadrage et de la composition. La démarche ajoute du reste une pierre à l’édifice d’art total que le réalisateur a toujours ambitionné.
"Antichrist, The Fall of Man", 2009 - 2021 de Lars VON TRIER - Courtesy de l'artiste et de la galerie Perrotin Paris © Photo Éric Simon
"Antichrist, Suffering: The Nature Within", 2009 - 2021 de Lars VON TRIER - Courtesy de l'artiste et de la galerie Perrotin Paris © Photo Éric Simon
The Barque of Jack est par exemple la citation sans équivoque, jusqu’à la reprise du titre, de La Barque de Dante (1822) de Delacroix, et The Most Sensitive Subject of All, tiré du même film, se veut nature morte. Le por- trait de Kirsten Dust dans Justice of Ophelia est une citation directe de l’Ophélie (1852) de John Everett Millais, tandis que Moonshower reprend le motif de Vénus – le titre Melancholia étant lui-même une référence à une gravure homonyme d’Albrecht Dürer datée de 1514. Parallèlement, l’influence de Caspar David Friedrich est évidente dans The Impossibility of Breaking a Wave, là où celle d’Orlan ou de Duchamp se fait sentir dans A Mirror Is Like a Thought, et qu’Antichrist nous propose comme décor un Éden corrompu.
Plus lointains, peut-être plus inconscients aussi, d’autres points de repère du même type émergent au fur et à mesure de la traversée des photogrammes choisis. Stars peut ainsi évoquer Les yeux clos (1890) de Redon ; Church rappelle L’Église de Gréville (1874) de Millet ; et What It Takes to Make a Man an Animal, le Jeune homme assis nu au bord de la mer (1835) de Flandrin.
"The House That Jack Built, The Barque of Jack", 2018 - 2021 de Lars VON TRIER - Courtesy de l'artiste et de la galerie Perrotin Paris © Photo Éric Simon
BraqueChaque photographie fixe dès lors les velléités esthétiques de Lars von Trier, entre chaotique de l’image naturaliste et aspect plus compassé du plasticisme, pour en faire émerger une unité nouvelle. Et de même que son cinéma revisitait différents genres en les détournant ou en les subvertissant, ses photographies travaillent la question des genres picturaux avec assiduité.
Que ces références soient parfois projetées par le spectateur importe peu au final, tant le but du cinéaste reste le même que dans le cadre du septième art : aller chercher au cœur des émotions, et questionner le pourquoi de leur caractère subversif. Ce n’est du reste pas un hasard si l’exposition présente bon nombre de portraits, en adéquation avec le nombre conséquent de gros plans dans les films de Lars von Trier puisque quoi de plus précis qu’un visage pour transmettre l’affect.
Par son agencement, l’accrochage offre une pérennité à un art, le cinéma, qui est par essence un art du passage de l’espace, du temps, des regards et des corps. Comme pour figer en éternité le toujours insaisis- sable défilement des images.
- André Balso - Docteur en études cinématographiques
1. Cf. Jan Lumholdt, Lars von Trier : Interviews, University Press of Mississipi, 2003.
2. Cf. Natalia Laranjinha, Lars von Trier, pathos et surface, L’Harmattan, 2017.
Galerie Perrotin
76 rue de Turenne
75003 Paris
Horaires d'ouverture: Du mardi au samedi de 11h00 à 19h00.