Exposition Peinture Contemporaine: Gahee PARK "TOO EARLY AFTER ALL"
"Looking Inside", 2021 de Gahee PARK - Courtesy de l'artiste et de la galerie Perrotin © Photo Éric Simon
Du 4 au 30 septembre 2021
Pour sa première exposition personnelle en France et à la galerie Perrotin à Paris, GaHee Park explore les potentialités magiques du réel et des rapports humains afin de mieux défaire les conservatismes actuels et déjouer nos peurs.
Née en 1985 en Corée du Sud et y ayant grandi jusqu’à sa jeune vie d’adulte, elle décide de partir aux États-Unis pour ses études. En quittant son pays, elle met fin à une certaine emprise tant parentale que religieuse faite de silences qui oppressent, qui privent. Bataille sentimentale, délicate, affectueuse, la peinture de GaHee Park est tout cela. Pleine de désirs, libérée, émancipée, l’artiste tout comme son œuvre proclame une déclaration d’amour à une peinture décomplexée, entre combat et douceur, en tension constante avec une intimité presque palpable qui bascule souvent dans l’absurde et l’illusion.
À la fois drôle, dérangeante, fluide ou organique, sa peinture s’accomplit pleinement aux côtés du dessin. Une technique plus rapide pour l’artiste, quand certaines de ses peintures peuvent mettre plusieurs mois ou années à être finalisées.
"Still Life with Moon", 2021 de Gahee PARK - Courtesy de l'artiste et de la galerie Perrotin © Photo Éric Simon
"Woman with Dragonfly", 2021 de Gahee PARK - Courtesy de l'artiste et de la galerie Perrotin © Photo Éric Simon
Peuplée de corps forts, tant massifs que gracieux, son oeuvre est en constante relation à l’espace, aux lieux, aux paysages dans lesquels ces corps représentés se retrouvent, se pré- lassent ou s’endorment. La profusion de personnages qui caractérise ses créations nous immerge dans une cosmologie vaguement familière. Dans l’intimité de situations quotidiennes, GaHee Park dévoile ce qui s’y cache comme une observatrice minutieuse qui porte un regard de femme, son regard, sur le corps, son corps et le corps de l’autre.
Celui d’une femme et d’un homme, de l’ami.e ou de l’amant.e. À cette co-présence humaine s’ajoute celle de la présence animale et végétale. Avec cette faune et cette flore, une alliance tant humaine que non-humaine, occidentale et orientale, dans les interstices des espèces et des genres, advient et se concrétise à travers ces scènes domestiques ou dans ses natures mortes. Une communauté se dessine sous nos yeux, celle du plaisir, du désir et d’une liberté si précieuse.
Ses peintures sont emplies de mains aux ongles vernis mais également de nombreuses paires d’yeux, organes vitaux fortement connotés et cruciaux pour l’artiste. Des regards se multiplient partout : on se regarde, on mange aussi, on déguste, on boit des verres à la fin d’un repas ou dans un moment de détente. On s’embrasse, on se caresse. Dans ces entrelacements tant visuels que physiques, le lien, la liaison, la relation à soi et à l’autre façonnent cette peinture entre amour et amitié, entre désir et réconfort.
"Three Faces and a Shadow", 2021 de Gahee PARK - Courtesy de l'artiste et de la galerie Perrotin © Photo Éric Simon
Comme dans un rêve, une scène de film qui se rejoue, GaHee Park zoome, fait des plans-séquences et multiplie les temporalités à travers des reflets, des dédoublements, des ombres ou des répétitions qu’elle peint en référence à des peintures allégoriques de l’art ancien ou moderne, mais aussi de la culture populaire. Tout se fluidifie, se connecte et se métamorphose entre les corps dont le genre devient indistinct.
Les émotions se combinent, s’accordent ou se désaccordent par des distorsions, des transformations. Souvent ce sont des plaisirs nocturnes dont les reflets de lumières surgissent dans les verres, dans les miroirs et participent à la multiplicité des mondes qui interagissent. Ici et là, des bouquets de fleurs, des plantes vertes. Un trouble se crée au cœur de ce temps suspendu fait de récits, de scénarios imbriqués voire emboîtés. Il existe autant de réalités que de point de vues ou d’émotions. Alors que chaque moment peint ou dessiné est singulier, les histoires se répètent avec d’infinies variations mais l’amour de l’art apparait comme le véritable sujet de ces jeux de miroir orchestrés par GaHee Park qui reflètent la vie et inversement. La frontière entre réalité et fiction est particulièrement poreuse pour faire miroiter un éclat de beauté dans le flux du quotidien.
"A Spider with Couple", 2021 de Gahee PARK - Courtesy de l'artiste et de la galerie Perrotin © Photo Éric Simon
Mêlant le sexuel et le domestique, sa peinture s’érotise afin de sortir des conventions du corps, du nu et de la relation au sexe ou à la sexualité afin de ne pas se soumettre aux codes esthétiques dominants. Peindre pour étouffer la vision sectaire du monde, un monde en guerre, en compétition, en méfiance de tout. Peindre la confiance, la symbiose, c’est l’équivalent d’une approche féministe à l’image de Gaïa, symbole des théories scientifique formulées par Lynn Margulis, microbiologiste américaine qui prône la coopération et non la compétition entre les espèces.
De Gaïa à la peinture de GaHee, il est temps de célébrer cette co-existence humaine et non-humaine, aquatique, aérienne et terrestre faite de crevettes, de poissons, d’araignées ou encore de lapins. C’est notre potentialité à être poisson, être escargot ou tout simplement d’être lié.e.s, noué.e.s, accompli.e.s dans une relation non hiérarchique avec l’autre, un animal ou un insecte. Sans supériorité ou domination, GaHee Park peint ce bestiaire alternatif qui prend en compte la grande diver- sité des formes du vivant.
"Woman in a book", 2021 de Gahee PARK - Courtesy de l'artiste et de la galerie Perrotin © Photo Éric Simon
"Woman with Starfish", 2021 de Gahee PARK - Courtesy de l'artiste et de la galerie Perrotin © Photo Éric Simon
"Lovers with Bird", 2021 de Gahee PARK - Courtesy de l'artiste et de la galerie Perrotin © Photo Éric Simon
Au-delà d’une peinture que l’on pourrait hâtivement considérer pleine de naïveté, c’est bien la part psychologique, sociale et politique de la peinture qui est en jeu. Celle qui se libère des dogmes autoritaires et dominants en considérant les affects et les sentiments comme une possible connaissance du monde. Pour ce faire, GaHee Park désarme la lourdeur des conventions, s’en détourne, affirme une force et une puissance.
Puis, en se réappropriant un pan de l’Histoire de l’art à travers le nu et les natures mortes, elle déplace ces éléments afin de déconstruire les carcans mentaux qui nous empêchent de donner libre cours à l’amour, force d’action qui transcende les influences et le contrôle. L’expérience humaine est faite de ces métamorphoses politiques et sociales. Comme l’artiste Gertrude Abercrombie, Reine des artistes bohème dans les années 30, pas assez reconnue pour sa peinture mystérieuse emplie d’énergies nocturnes, mercuriales, magnétiques et mystiques, on retrouve l’amour de « peindre des choses simples qui sont un peu étranges». Ce qu’il y a derrière ces paysages sentimentaux, ces espaces affectifs, c’est finalement le fait de peindre sans relâche d’autres manières d’exister.
- Marianne Derrien
Galerie Perrotin
76 rue de Turenne
75003 Paris
France
Jours et horaire d'ouverture: du mardi au samedi de 11h à 19h.