Judit REIGL «Je suis la Règle»
"Écriture en masse", 1961 de Judit REIGL - Courtesy du Fonds de dotation Judit Reigl et de la galerie Kamel Mennour © Photo Éric Simon
Du 8 février au 26 mars 2022
Mon corps joue le jeu dont Je suis la Règle. Règle de jeu, je de Reigl Déterminé. Déterminant. Un corpuscule de l’Univers. Un corpuscule de l’Univers C’est l’Univers.
– Judit Reigl, 7 avril 1985
L’œuvre de Judit Reigl est tout à la fois de son temps et très singulière. Née en Hongrie à Kapuvar en 1923, Judit Reigl rejoint Budapest en 1941 et entre alors à l’École des Beaux-Arts : «J’ai pris chez tous les élèves ce qui m’intéressait, j’étais dégourdie, mais toujours sincère1 ».
Après l’interruption de la guerre, elle reprend les cours en juin 1945 et, bénéficiant d’une bourse de l’académie hongroise de Rome, elle se rend en Italie en 1946 : la découverte des œuvres in situ des grands maîtres de la Renaissance et du Baroque la marque profondément. C’est à Ravenne que Judit Reigl fait la connaissance de Betty Anderson (1911-2007), tout à la fois sculptrice et poète anglaise, qui deviendra sa compagne.
"Art de la fugue", 1983 de Judit REIGL - Courtesy du Fonds de dotation Judit Reigl et de la galerie Kamel Mennour © Photo Éric Simon
"Déroulement", 1977 de Judit REIGL - Courtesy du Fonds de dotation Judit Reigl et de la galerie Kamel Mennour © Photo Éric Simon
À son retour en octobre 1948, la Hongrie est alors sous la coupe d’un régime communiste autoritaire. Judit Reigl décide alors de fuir et passe le rideau de fer le 10 mars 1950, après huit tentatives infructueuses. Il lui faut trois mois d’aventures terribles pour gagner Paris. Accueillie par la communauté hongroise (Simon Hantaï, sa femme et Antal Biro), elle s’installe dans un atelier de la Ruche.
« Toute mon œuvre constitue une seule série, depuis l’âge de trois ans jusqu’à ce jour. [...] En réalité, durant toute ma vie, je n’ai rien fait d’autre que peindre, ou essayer de peindre dès que j’en avais la possibilité 2 ».
En 1954, André Breton découvre le tableau de Judit Reigl, Ils ont soif insatiable de l’infini. Il lui écrit « Je vous crois en mesure d’accomplir des choses immenses 3 » et lui offre d’exposer à la galerie À l’Étoile scellée. Cette rencontre est décisive pour l’artiste.
"Écriture en masse - Comment faire danser le carré", 1965 de Judit REIGL - Courtesy du Fonds de dotation Judit Reigl et de la galerie Kamel Mennour © Photo Éric Simon
"Homme", 1964 de Judit REIGL - Courtesy du Fonds de dotation Judit Reigl et de la galerie Kamel Mennour © Photo Éric Simon
Si Judit Reigl n’a jamais fait partie du groupe surréaliste, elle va cependant partager un certain nombre de leurs préoccupations et pratiquer un automatisme « total à la fois psychique et physique 4 ». La Littérature, surtout la poésie et la musique ont accompagné l’artiste durant toute sa carrière. Travaillant par série, l’artiste a cessé d’utiliser le pinceau à partir de 1951, fabriquant ses propres outils elle-même, telle la tringle à rideau avec laquelle elle « écrivait » ses tableaux.
Éclatement, Centre de dominance, Guano, Écriture en masse, Expérience d’apesanteur, Homme, Drap, décodage, Déroulement, Art de la fugue, Volutes, Un corps au pluriel, Entrée-Sortie, Un corps sans prix, tels sont les titres des séries qui se succèdent, se chevauchent parfois, entre 1956 et 2008. Si la figure surgit à l’improviste, l’artiste l’accepte et initie une nouvelle série, passant ainsi de l’abstraction à une figuration anthropomorphe, puis revient à l’abstraction.
C’est ainsi que Judit Reigl déconcerte le monde de l’art qui n’arrive pas à la classer mais doit essayer de la retrouver à travers des œuvres où son énergie et sa puissance se retrouvent : « Tout mon corps participe au travail, à la mesure des bras grands ouverts. C’est avec des gestes que j’écris dans l’espace donné du rythme, des pulsations, des pulsions 5 ».
"Corps au pluriel", 1991 de Judit REIGL - Courtesy du Fonds de dotation Judit Reigl et de la galerie Kamel Mennour © Photo Éric Simon
« La série Dominance (1958-59) est mue par la force centrifuge et Écriture en masse (1959-65) par la force centripète. Les séries se suivent par vagues comme si j’expirais puis inspirais de l’air [...] La série Écriture en masse (1959-65) est peut-être une réminiscence de la première fois où j’ai vu le soleil surgir de la masse de la mer avec trois immenses rochers pourpres au premier plan 6. [...] ».
En 1966, alors que Judit Reigl travaille sur une œuvre de la série Écriture en masse, un torse monumental apparait qui va s’imposer et ouvrir une nouvelle série, Homme, qui va surprendre critiques et professionnels. Elle peint plus d’une centaine de ces figures anthropomorphes, parfois violemment colorées, qui ne seront que très rarement exposées.
Avec les séries Déroulement (1973-85), liée à Mozart, et Art de la fugue (1980-82), liée à Bach, Judit Reigl propose une promenade dans la couleur et la musique. C’est en marchant et en écoutant ses musiciens préférés qu’elle réalise ces toiles, accrochées au mur, avec un batônnet entouré de laine de verre imprégnée de peinture. Marcelin Pleynet souligne l’esthétique et la beauté de ces œuvres qui vont trouver une réception internationale.
"Face à…", 1988 de Judit REIGL - Courtesy du Fonds de dotation Judit Reigl et de la galerie Kamel Mennour © Photo Éric Simon
"L'Égyptien" de Judit REIGL - Courtesy du Fonds de dotation Judit Reigl et de la galerie Kamel Mennour © Photo Éric Simon
À partir de 1988, la figure humaine revient dans l’œuvre de Judit Reigl : avec Face à... et Corps au pluriel, des silhouettes empruntent un passage, ou flottent dans l’espace. Leur identité est souvent neutre et semble être en suspens, hors de la violence qui secoue le monde : « Corps : le plus parfait instrument et le plus tragique obstacle. Depuis plus de 15 milliards d’années. Agglomération, fusion, séparation, attirance, repoussement, croissance, diminution, transformation, mutation, explosion, implosion, dissolution. Désir, souffrance, mort, recommencement 7 ».
Après avoir été exposée par la Galerie Drouin en 1956, avec Georges Mathieu, Simon Hantaï et Jean Degottex, Judit Reigl est soutenue par Jean Fournier de la Galerie Kléber entre 1956 et 1962. De 1972 à 1976, elle expose à la Galerie Rencontres, tenue par sa compagne, Betty Anderson. C’est la Galerie Yvon Lambert jusqu’en 1982, puis Catherine Thieck de la Galerie de France qui soutiennent le travail de Judit Reigl.
Après sa disparition le 6 août 2020, c’est le Fonds de dotation Judit Reigl qui est chargé d’établir le catalogue raisonné ainsi que la promotion de l’œuvre de l’artiste, désormais représentée par kamel mennour.
— Blandine Chavanne
1. Judit Reigl, Entretien avec Janos Gat, Paris, Manuella Éditions, 2021, p.19
2. idem
3. Extrait d’une lettre du 5 juillet 1954
4. Cité dans l’entretien avec Jean-Paul Ameline, in catalogue Judit Reigl – Le déroulement de la peinture, Nantes, Ed. Fage, 2010
5. Entretien avec Julia Cserba, 1999
6. Judit Reigl, Entretien avec Janos Gat, Paris, Manuella Éditions, 2021, p.36 et 69
7. Judit Reigl, Cahiers de psychologie de l’art et de la culture, n°11, ENSBA, Paris, 7 avril 1985
Portrait de Judit REIGL - Courtesy du Fonds de dotation Judit Reigl et de la galerie Kamel Mennour © Photo Éric Simon
Née en 1923 à Kapuvár (Hongrie), JUDIT REIGL s’est installée à Paris en 1950 puis à Marcoussis en 1963 où elle est décédée en 2020.
Son travail a été présenté dans de nombreuses expositions personnelles dans des musées et institutions tels que le Musée d’Art Moderne de Paris (2018), les Abattoirs, Musée - Frac Occitanie Toulouse (2016-2017), le Allen Memorial Art Museum (Oberlin, USA, 2016), le Ludwig Museum of Contemporary (Budapest, 2014), le Musée des Beaux-Arts de Nantes (2010), le Centre for Modern and Contemporary Art (Debrecen, Hongrie, 2010) et le Centre Pompidou (1994).
Lauréate du Prix Kossuth 2011 et du Prix d’honneur AWARE 2017, Judit Reigl a été nommée Commandeur de l’ordre des Arts et des Lettres en 2016 et Chevalier de l’ordre national du Mérite en 2018.
Galerie kamel MENNOUR
5, rue du Pont de Lodi
75006 Paris
Horaires d'ouverture: du Mardi au Samedi de 11h00 à 19h00.