Hajime SORAYAMA « CYBER LADIES’ WORLD »
Détail "Untitled", 2021 de Hajime SORAYAMA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Almine RECH Paris © Photo Éric Simon
Du 29 avril au 28 mai 2022
Hajime Sorayama – entretien avec Jérôme Sans
Janvier 2022
Jérôme Sans : Vous avez commencé votre carrière dans la publicité, puis avez travaillé dans l’illustration, l’art, la mode, le design... et même le hi-tech, à travers une collaboration avec Sony sur un robot-animal de compagnie. Quel est selon vous votre principale activité ?
Hajime Sorayama : Je travaille dans le divertissement. Je ne me suis jamais considéré comme un artiste, je ne comprends même pas le sens du mot "art".
JS : Quand avez-vous commencé à travailler sur les ‘cyborgs féminins’ et ‘robots sexy’ ? C’est un sujet très présent dans notre société de plus en plus technologique.
HS : J’ai peint mon premier robot pin-up en 1980. C’était une commande pour Suntory, la marque de whisky japonais.
"Untitled", 2021 de Hajime SORAYAMA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Almine RECH Paris © Photo Éric Simon
JS : Les robots sont généralement considérés comme des machines conçues pour la consommation humaine. Vous, vous leur conférez des qualités profondément humaines à travers l’érotisation. D’où vient cette idée ?
HS : Depuis l’enfance, j’ai toujours aimé les machines et le métal. Je suis accro à l’éclat du métal. Pour moi, né homme, le corps féminin a des qualités esthétiques dont je ne me lasse pas. Ce doit être une émotion naturelle ou primitive, transmise par mes ancêtres d’il y a 200 000 ans.
JS : Il y a une proximité particulière entre les Japonais et la technologie, une véritable symbiose qui fait que la technologie s’est insinuée dans les moindres recoins de la société. Diriez-vous que votre travail est influencé par cette culture numérique omniprésente au Japon, et en Asie plus
généralement ?
HS : Je ne sais pas trop quoi vous répondre ; en tout cas, quand j’ai collaboré avec Kim Jones pour Dior, on m’a dit que mon travail incarnait la culture japonaise... c’est plutôt ironique quand on sait que ma famille a honte de mon travail.
JS : Quel est votre rapport à l’érotisme ? Il semble être au cœur de votre œuvre depuis le début des années 80, avec ses filles nues, ses pin-up, ses actrices Hollywoodiennes mythiques comme Marylin Monroe. Depuis quand fait-il partie de votre iconographie ?
HS : Les États-Unis ont gagné la seconde guerre mondiale. Dans les années 60-70, ils ont inondé le Japon avec leur culture, y compris toute une iconographie pornographique remplie de femmes blondes. Cela a eu une influence bien plus forte que toutes les armes sur ma génération, adolescents dans les années 70.
JS : Comment votre travail est-il perçu au Japon, société puritaine où la nudité et l’érotisme sont largement censurés ?
HS : L’histoire de l’art japonaise - et asiatique - est très riche en œuvres évoquant des sujets érotiques. Je ne comprends vraiment pas pourquoi il faudrait avoir honte face à la nudité, au sexe ou à l’érotisme : après tout, on sait tous comment on a été conçus.
"Untitled", 2021 de Hajime SORAYAMA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Almine RECH Paris © Photo Éric Simon
JS : Vous êtes mondialement considéré comme le père fondateur de l’hyperréalisme par votre emploi de l’aérographe. Quand avez-vous développé cette technique ?
HS : J’ai appris à manier l’aérographe auprès de ma marraine, l’artiste Harumi Yamaguchi. J’en avais besoin pour représenter l’aspect et l’éclat du métal dans ma peinture.
JS : Acceptez-vous l’étiquette hyperréaliste que certains collent sur votre travail ? Vous sentez-vous proche des hyperréalistes européens ou américains qui ont travaillé en parallèle ?
HS : Je me moque de la façon dont on me qualifie, mais ça m’embête d’être associé à des gens que je ne connais pas.
JS : Votre travail mêle érotisme, robotique, mythologie et fantastique. Vous avez participé au changement de notre regard sur l’érotisme, en explorant notamment l’iconographie de la technologie et de la sexualité. Votre art « cyber-érotique » est-il toujours provocateur ?
HS : Si c’est votre avis, je le prends comme un compliment. La technologie extrême est souvent hyper-sexy.
JS : Vous avez commencé à travailler pour des publications et magazines qui reprennent des portfolios de vos dessins. Quels sont vos rapports avec les magazines, les médias ?
HS : Pour moi, c’est un travail à la fois artistique et publicitaire.
JS : Votre œuvre semble faire appel à une stratégie paradoxale : il y a un côté rétro, avec vos représentations d’icônes culturelles des années 60, comme Marilyn Monroe, et en même temps, un côté futuriste avec la figure du cyborg. Vous vous sentez inscrit dans une démarche rétro-futuriste ?
HS : Oh... c’est gênant, vous me rappelez mon âge ! Je travaille simplement sur ce que j’aime. ‘Rétro’ ou ‘futuriste’, ça n’a pas d’importance : je cherche juste à vivre éternellement à travers mon œuvre.
"Untitled", 2021 de Hajime SORAYAMA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Almine RECH Paris © Photo Éric Simon
JS : Vos robots féminins ultra-réalistes se caractérisent par une sensualité et une souplesse qui contrastent fortement avec le métal froid et inanimé des corps robotiques. Pourquoi confronter froideur et chaleur corporelle pour créer vos êtres mi- métalliques, mi- humains ?
HS : Je ne fais que donner une peau métallique à tous mes robots. Ensuite, elles acquièrent leur personnalité propre : ce sont toutes mes filles.
JS : Pourquoi votre travail s’intéresse-t-il surtout à la représentation féminine ?
HS : Je suis un homme, je respecte donc les femmes ; je ne peux m’empêcher de les dessiner depuis l’âge de 11-12 ans...
JS : Votre travail tourne autour d’une quête permanente de la beauté du corps humain et des machines. Il vous permet de modifier les corps indépendamment des contraintes anatomiques tout en reprenant les canons de la beauté occidentale. Dans la publicité, les normes et la sensualité des corps fusionnent dans la froideur du métal : que pensez-vous de la remise en cause actuelle des canons classiques, de ces appels à plus de diversité ?
HS : Je peins simplement en fonction de mes propres goûts esthétiques.
JS : Aujourd’hui, on ne sait plus trop ce qui relève de la nature et ce qui n’en relève pas. Les cyborgs sont à mi-chemin entre nature et manufacture, entre organisme et machine : ils dépassent la logique de la reproduction organique. Les notions de Nature, Humain et Machine sont des catégories mouvantes. Comment envisagez-vous la redéfinition des catégories entre Nature, Humain et Machine ?
HS : J’aime l’idée qu’une personne ou une chose ait la possibilité de revêtir une peau exogène, de modifier son corps ou la matière qui le compose.
JS : Dans son Manifeste Cyborg, l’écrivaine féministe Donna Haraway propose le cyborg comme méthode politique féministe, fiction capable de changer le monde en permettant d’explorer d’autres modalités de relations et de sociabilité. Êtes-vous d’accord avec elle ?
HS : Si nous le voulons, il en sera ainsi.
"Untitled", 2021 de Hajime SORAYAMA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Almine RECH Paris © Photo Éric Simon
JS : Votre travail a inspiré de nombreux artistes : George Lucas et sa saga Star Wars, le Iron Man de Marvel, ou plus récemment le Ex Machina d’Alex Garland. Êtes-vous en contact avec ces cinéastes ? Avez-vous développé des relations avec eux à travers vos personnages, votre esthétique ?
HS : Je n’ai jamais rencontré George Lucas, mais je comprends sa façon de penser. Je pense que c’est suffisant, pour lui comme pour moi.
JS : Quel est votre rapport à la science-fiction ? Est-elle importante pour vous ?
HS : Ma réflexion passe toujours par le prisme de la fiction. C’est pour moi l’étape la plus créative, avant la peinture.
JS : Quels sont pour vous les réalisateurs les plus influents dans ce domaine ?
HS : Walt Disney.
JS : Avez-vous déjà songé à écrire votre propre film de science-fiction pour donner vie à vos personnages ?
HS : Peut-être bien.
JS : Aimeriez-vous créer votre propre univers dans le Métavers, faire vivre tous vos personnages dans ces mondes numériques, interagir avec votre public ?
HS : Je suis bien trop vieux pour penser à de telles choses.
JS : Que pensez-vous des NFT ?
HS : Je comprends le principe. Peut-être que cela m’aidera à vivre éternellement.
"Untitled", 2021 de Hajime SORAYAMA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Almine RECH Paris © Photo Éric Simon
JS : La science, et les bouleversements biologiques, géologiques et climatiques auxquels nous assistons vont nous obliger à recomposer un monde humain et non-humain. Comment la création contemporaine pourrait-elle contribuer à construire un regard différent et plus inclusif sur le monde ?
HS : C’est très simple : si nous nous révélons incapables de nous gérer correctement, nous disparaîtrons.
JS : Que pensez-vous de l’obsolescence technologique dans notre anticipation du futur ?
HS : C’est peut-être une option.
JS : Que pensez-vous que l’essor de l’intelligence artificielle apportera ?
HS : Ce sera encore plus difficile pour les êtres humains de prouver qu’ils sont uniques.
JS : À l’ère des avatars et alors que nous passons de plus en plus de temps en ligne, pensez-vous que notre processus de construction identitaire est façonné par les réseaux sociaux et les mondes virtuels ?
HS : Non, même si je suis content de passer du temps seul dans mon atelier pour me consacrer à mon travail. Ce que j’ai compris, c’est que nous allons perdre notre capacité de socialisation, ce qui va détruire notre unité et mener au chaos. Pour moi ce n’est pas si grave, je suis un vieil homme, mais il faut penser aux jeunes générations.
JS : Comment envisagez-vous l’avenir ?
HS : Je n’en sais rien. On verra bien si je vis plus de 300 ans.
"Vue de l'exposition de Hajime SORAYAMA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Almine RECH Paris © Photo Éric Simon
Galerie Almine RECH
64 rue de Turenne
75003 Paris
Jours et Horaires d’ouverture : du mardi au samedi du 11h à 19h.