Wallen MAPONDERA « CHIKOKOKO (Little Pleasures that Counts) »
Détail "Zvanza Moyo", 2022 de Wallen MAPONDERA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Mitterrand © Photo Éric Simon
Du 14 avril au 29 mai 2022
En grandissant, avec mes frères et sœurs nous avons eu le privilège de connaître à la fois la vie en ville et à la campagne. En ville, peu de gens possédaient un poste de télévision. Nous n’avions pas le droit de rester tard chez nos voisins, avec les autres enfants de notre âge, pour regarder Ezomgidho, notre émission musicale préférée.
Puis, à l’époque où presque tous les foyers ont pu s’offrir une télévision, nous ne nous intéressions plus qu’aux programmes du soir car après l’école et le week-end, jouer nous suffisait. Dans les zones rurales, nous jouions en gardant le bétail. La connaissance est transmise selon des modalités diverses aux différentes étapes de la vie. L’une d’elle est le jeu. Avant que la technologie ne domine les jeux ont toujours été un moyen d’enseigner aux enfants des compétences cognitives et physiques variées telles que le leadership, la vigilance et l’endurance corporelle.
Je suis fasciné par les jeux traditionnels du Zimbabwe, qui sont similaires à ceux pratiqués dans la plupart des régions d’Afrique.
"Mibhoga", 2021 de Wallen MAPONDERA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Mitterrand © Photo Éric Simon
Parmi les jeux auxquels nous jouions lorsque nous étions enfants, citons le nhodo, le raka-raka , le hwishu et le tsoro. Si les jeux sont amusants, ils sont également chargés d’émotions. Le gagnant sera toujours heureux et le perdant triste, mais finalement, les joueurs resteront amis.
La façon dont l’échec et le succès sont gérés dans ces jeux est une morale précieuse qui sera également pertinente plus tard dans la vie. Les gens n’obtiennent pas toujours ce qu’ils veulent, parfois on perd et parfois on gagne.
Détail "Some People Have Means and Ways", 2022 de Wallen MAPONDERA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Mitterrand © Photo Éric Simon
L’exposition Chikokoko (Petits plaisirs qui comptent) tire son nom d’un jeu appelé Pada. Un ensemble de huit rectangles et carrés est dessiné sur le sol, à la main sur du sable ou à la craie sur une dalle. Le joueur lance une petite pierre plate (mubhoga) dans la case la plus proche de lui. Il saute ensuite à cloche-pied sur chacune des cases du jeu, revient, récupère le mubhoga et le lance dans la case attenante.
S’il ne parvient pas à l’atteindre c’est au tour du joueur suivant. Lorsqu’un joueur a effectué tout le parcours, il peut alors lancer le mubhoga les yeux bandés. Si le mubhoga atterrit dans l’une des cases, celle-ci prend le nom de chikokoko et devient la propriété du joueur, ses adversaires ne seront pas autorisés à y poser le pied.
Tant qu’il réussit le joueur continue à lancer le mubhoga, en visant la case la plus proche, pour obtenir plus de zvikoko (pluriel de chikoko). Lorsqu’il joue, le joueur est autorisé à se tenir sur deux jambes ou même à s’asseoir s’il le souhaite.
Détail "Loophole", 2022 de Wallen MAPONDERA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Mitterrand © Photo Éric Simon
Le chikokoko devient la fierté des joueurs qui chantent des mots assommants quand ils s’y tiennent. Ces chants, pour certains seront un encouragement à jouer avec plus d’ardeur, pour d’autres, ils seront décourageants. C’est un mélange de travail acharné et de précision qui permet d’avoir un chikokoko.
Le joueur qui aura le plus de chikokoko sera le vainqueur, puisqu’il deviendra de plus en plus difficile pour ses adversaires d’avoir des cases où poser le pied.
"Loophole", 2022 de Wallen MAPONDERA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Mitterrand © Photo Éric Simon
Personnellement, j’assimile le sentiment d’accomplissement que l’on ressent lorsqu’on obtient un chikoko à celui des plaisirs simples, ceux qui comptent, mais auxquels, souvent, nous ne prêtons pas attention, que nous ne savons pas reconnaître et dont nous ne profitons pas. Une personne appréciera d’être capable de faire des choses simples comme respirer, parler, uriner lorsqu’elle est malade et qu’elle rencontre des difficultés pour les faire.
La plupart du temps, les plaisirs simples sont éclipsés par la recherche constante d’occasions providentielles, l’argent et de tout ce qui va avec (maison, voiture, voyages), alors que boire un verre d’eau après une longue marche peut, pour un moment, nous combler. Un poème de William Martin reflète l’idée du chikokoko :
« Ne demandez pas à vos enfants de s’évertuer à mener une vie extraordinaire.
Une telle ambition peut sembler admirable, mais c’est la voie de la folie.
Aidez-les plutôt à trouver l’étonnement et l’émerveillement de la vie ordinaire.
Montrez-leur la joie de goûter des tomates, des pommes et des poires.
Montrez-leur comment pleurer la mort des animaux de compagnie et des personnes.
Montrez-leur le plaisir infini que procure le contact d’une main.
Et faites en sorte que l’ordinaire prenne vie pour eux.
L’extraordinaire suivra. »
"Ndokumbirawo Imba", 2021 de Wallen MAPONDERA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Mitterrand © Photo Éric Simon
Dans certaines œuvres de la série Chikokoko, j’ai utilisé différents types de tissus pour l’arrière-plan afin de montrer comment les vêtements ajoutent ou enlèvent de la valeur à une personne. Les gens se sentent confiants et satisfaits lorsqu’ils sont bien habillés. J’ai récupéré auprès de tailleurs locaux des chutes de tissus.
Les vêtements définissent et catégorisent les gens ; par exemple, on peut rapidement juger qu’une personne est bénie lorsqu’elle porte un habit ecclésiastique. Les vêtements ont une importance capitale, c’est pourquoi j’ai utilisé des chutes de tissu comme arrière-plan. Pour chaque œuvre, ce qui est lié au chikokoko se dégage différemment du fond, comme quelque chose qui ouvre des possibilités de plaisirs nouveaux et simples. J’ai collé une couche de papier journal sur le tissu puis j’ai utilisé une lime pour le détacher.
Le papier n’est pas complètement décollé, dans certaines parties il laisse voir le tissu, dans d’autres, il le floute. L’arrière-plan devient moins prépondérant, laissant en évidence ce que je considère comme central et suggérant en effet le besoin de nouveaux plaisirs simples.
"Godo 2", 2021 de Wallen MAPONDERA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Mitterrand © Photo Éric Simon
Il est intéressant de noter que lorsque des gens décident de jouer au pada, chaque joueur choisit soigneusement un mubhoga capable d’atterrir avec stabilité dans la case où il est lancé, sans rouler dans une autre. Le joueur fait confiance au mubhoga choisi pour obtenir le résultat voulu. Je compare le processus consistant à choisir le mubhoga et à lui faire confiance pour que le joueur gagne à de nombreuses situations quotidiennes. Décider des plats à préparer pour le dîner, des vêtements à porter pour un rendez-vous, ou de l’endroit parfait pour regarder le coucher de soleil sont des exemples de mubhoga, car ils sont destinés à impressionner. Mon projet initial pour cette œuvre était d’identifier, de commenter, et d’encourager les choses simples qui apportent du plaisir dans la vie.
Au fur et à mesure du travail, j’ai dépassé la surface et l’ordinaire. J’ai réalisé que le chikokoko pouvait être à la fois simple et extraordinaire. Comme William Martin l’affirmait « l’extraordinaire viendra », je crois que la valeur accordée aux choses ordinaires les rend extraordinaires. Passer du temps en famille peut être simple et ordinaire parce que nous voyons les gens souvent, mais, selon la valeur que nous leur accordons, ces moments peuvent être inestimables. C’est lorsqu’une personne disparaît que la plupart d’entre nous chérira les moments passés avec elle.
"Godo 1", 2021 de Wallen MAPONDERA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Mitterrand © Photo Éric Simon
Wallen Mapondera est né en 1985 à Harare, Zimbabwe. Vit et travaille à Grahamstown en Afrique du Sud. Wallen Mapondera est un artiste multidisciplinaire qui crée des œuvres à travers plusieurs médium dont la peinture, le dessin, la sculpture et l’installation, il est principalement connu pour ses sculptures murales en carton et textile.
Ses œuvres défient la linéarité du temps et de l’histoire en transformant des matériaux ordinaires en énigmes visuelles texturées. L’artiste peint également des paysages surréalistes qui évoquent des thèmes sociaux et politiques comme le pouvoir, la domination, la hiérarchie ou la corruption.
En 2022, Wallen Mapondera représente le Zimbabwe à l’occasion de la 59 ème Biennale de Venise. Le pavillon du Zimbabwe, inauguré le 22 avril prochain, propose une exposition collective intitulée I did not leave a sign?. L’exposition réunit quatre artistes : Kresiah Mukwazhi, Wallen Mapondera, Terrence Musekiwa et Ronald Muchatuta, elle est organisée par Fadzai Veronica Muchemwa. Le commissaire du pavillon est Raphael Chikukwa.
Galerie Mitterrand
79, rue du Temple
75003 Paris
Jours et horaires d’ouverture: du mardi au samedi de 11h à 19h.