Edvard MUNCH « Un poème de vie, d’amour et de mort »
Du 20 septembre 2022 au 22 janvier 2023
« On ne doit plus peindre d’intérieurs, de gens qui lisent et de femmes qui tricotent. Ce doit être des personnes vivantes qui respirent et s’émeuvent, souffrent et aiment. Je vais peindre une série de tableaux de ce genre – Les gens en comprendront la dimension sacrée et ils enlèveront leur chapeau comme à l’église. » — Carnet de notes, 1889-1890
"Nuit d'été, Inger sur la plage", 1889 de Edvard MUNCH - Courtesy Bergen, KODE Art Museum (Collection Rasmus Meyer) © Photo Théo Simon
"Autoportrait à la cigarette", 1895 de Edvard MUNCH - Courtesy Oslo, Nasjonalmuseet for kunst, arkitektur og design © Photo Théo Simon
Cette exposition a pour ambition de montrer l’ampleur de la production artistique d’Edvard Munch (1863-1944), en explorant son itinéraire – soixante ans de création– dans toute sa durée et sa complexité. La peinture de Munch occupe une place singulière dans la modernité artistique, plongeant ses racines dans le XIXe siècle pour s’inscrire pleinement dans le suivant. Sa production tout entière, des années 1880 à sa mort, reflète une vision du monde marquée par une puissante dimension symbolique.
Le parcours proposé ne suit pas un fil chronologique mais propose une lecture globale de son œuvre mettant en avant sa grande unité. La notion de cycle est en cela essentielle pour la compréhension de sa peinture. Munch exprime en effet fréquemment l’idée que l’humanité et la nature sont unies dans le cycle de la vie, de la mort et de la renaissance. Cette vision intervient dans la construction même de son œuvre où certains motifs reviennent de façon régulière. L’univers de cet artiste est ainsi pleinement cohérent, voire obsessionnel, et en même temps toujours renouvelé.
"Désespoir. Humeur malade au coucher du soleil", 1892 de Edvard MUNCH - Courtesy Stockholm, Thieselska Galleriet © Photo Théo Simon
Le jeune Edvard Munch (1863-1944) n’a pas suivi de formation artistique académique. Il pratique dès l’enfance le dessin et la peinture avec sa tante, Karen Bjølstad, qui l’élève depuis le décès prématuré de sa mère. À l’âge de dix-sept ans, il suit pendant quelques mois les cours du Collège royal de dessin à Oslo, alors appelé Kristiania, et expose pour la première fois deux ans plus tard.
En 1885, une bourse d’études lui permet de séjourner une première fois à Paris. Il s’y confronte aux œuvres des naturalistes, appréciés par les peintres norvégiens. Il s’intéresse aussi aux impressionnistes qui faisaient alors scandale en France. Il leur emprunte leur facture rapide et leur traitement libre des couleurs. Munch se détourne très rapidement de la peinture de paysage pour peindre des portraits sensibles de ses proches, principalement ses sœurs Inger et Laura, ou ses amis de la bohème de Kristiania regroupés autour de l’écrivain Hans Jæger.
La dimension symbolique de ces scènes intimes devient déterminante au tournant des années 1890, apportant à son œuvre toute sa singularité.
Les premières présentations publiques des œuvres de Munch suscitent critique ou étonnement. Le peintre, soucieux de se faire comprendre, invente une nouvelle manière de présenter son art afin d’en souligner la grande cohérence. Il regroupe ainsi ses principaux motifs dans un vaste projet qu’il finit par intituler La Frise de la vie. Initiée au cours des années 1890, cette série de tableaux fait l’objet de plusieurs grandes expositions.
Celle de la Sécession de Berlin en 1902 en constitue un jalon important : pour la première fois, Munch pense l’accrochage de ses œuvres sous la forme d’un véritable discours, insistant sur le cycle perpétuel de la vie et de la mort. Ce projet occupe à ses yeux une place résolument centrale au point qu’il pourrait résumer l’essentiel de sa carrière. Il travaille tout au long de sa vie sur les toiles qui le composent et en explore les possibilités.
Dans les années 1900 et 1910, il se tourne par ailleurs vers des projets liés au théâtre ou au décor architectural dans lesquels il en intègre certains thèmes.
"Près du lit de mort", 1895 de Edvard MUNCH - Courtesy Bergen, KODE Art Museum (Collection Rasmus Meyer) © Photo Théo Simon
"Métabolisme. La vie et la mort", 1898-1899 de Edvard MUNCH - Courtesy Oslo, Munchmuseet © Photo Théo Simon
Parallèlement à ses peintures, Munch décline les motifs de La Frise de la vie dans de nombreux dessins et gravures. Il commence à les exposer au même titre que ses toiles, les intégrant pleinement à son discours, dès 1897 à Kristiania ou en 1902 lors de la Sécession de Berlin. Cette section de l'exposition est organisée autour du lien, sentimental ou spirituel, qui unit les êtres humains entre eux ; Munch le symbolise par la chevelure de la femme, qui relie, attache ou sépare.
Ce motif devient un élément presque incarné, qui matérialise les relations entre les personnages et rend visibles leurs émotions. Dans ses évocations du sentiment amoureux, l’artiste projette une vision complexe et toujours ambivalente de la femme. Les figures empreintes de sensualité sont toujours chez Munch une source de danger ou de souffrance potentielle. Alors qu’il fait de sa Madone une icône, un sujet de dévotion, il l’associe pourtant souvent au macabre.
Munch, comme beaucoup d’artistes de son temps, pratique l’art de la reprise. Il décline aussi bien les motifs que la composition générale de ses œuvres, au point que l’on peut considérer de nombreuses toiles ou gravures comme des variations de productions antérieures. Loin de se limiter à une simple question formelle, cette pratique est pour lui pleinement intégrée à la nature cyclique de son œuvre. Les éléments communs d’une composition à une autre sont un véritable vecteur de continuité entre ses œuvres, quelle que soit leur date de création ou la technique utilisée.
Par ailleurs, cet art de la variation lui permet d’approcher à chaque fois un peu plus l’émotion qu’il cherche à provoquer. Grâce aux multiples versions de ses œuvres, il peut en outre garder près de lui un souvenir de sa production, creuset de réalisations futures. Afin de diffuser toujours plus largement son art, Munch s’initie à la gravure au milieu des années 1890. Il trouve dans ce médium un vaste terrain d’exploration dont il s’approprie rapidement les techniques traditionnelles pour produire des œuvres à l’expressivité toujours plus poussée.
Munch se confronte régulièrement au théâtre de ses contemporains, qu’il l’envisage comme source d’inspiration littéraire ou qu’il s’intéresse à la mise en scène moderne et son nouveau rapport à l’espace dramaturgique. Ses premières expériences avec le monde du théâtre datent de sa rencontre en 1894 avec Aurélien Lugné-Poe, directeur du nouveau Théâtre de l’Œuvre. À l’occasion d’un séjour en France, il réalise en 1896 puis en 1897 les programmes illustrés de deux pièces du dramaturge norvégien Henrik Ibsen, Peer Gynt et John Gabriel Borkman.
Dix ans plus tard, Munch s’investit dans la production d’une pièce, entamant ainsi sa première véritable collaboration avec un metteur en scène. L’Allemand Max Reinhardt, fondateur des Kammerspiele, une salle de théâtre berlinoise qui renouvelle le rapport entre la scène et le public, fait appel à lui pour réaliser les éléments de décor d’une autre pièce d’Ibsen, Les Revenants. Cette collaboration se poursuivra pour le drame Hedda Gabler.
Ces expériences ont une incidence immédiate dans l’œuvre de Munch ; son approche de la construction de l’espace s’en trouve indéniablement transformée, notamment dans la série resserrée de toiles de 1907, La Chambre verte.
"Danse sur la plage Frise Linde", 1904 de Edvard MUNCH - Courtesy Oslo, Munchmuseet © Photo Théo Simon
Certains thèmes du théâtre d’Henrik Ibsen mais aussi du dramaturge suédois August Strindberg, comme la solitude ou l’impossibilité du couple, font directement écho à l’univers pictural de Munch. Celui-ci va jusqu’à emprunter des scènes précises de leurs pièces dans la mise en scène de certains autoportraits. Il se représente ainsi à plusieurs reprises dans l’attitude de John Gabriel Borkman, un personnage issu du répertoire d’Ibsen, cloîtré dans sa chambre pendant de longues années et prisonnier de ses pensées obsédantes.
Cette identification trouve d’autant plus de sens que l’artiste vit dans un certain isolement à partir de 1916, date de son installation à Ekely, au sud d’Oslo. La pratique de l’autoportrait chez Munch ne se limite pas à son dialogue avec le genre dramatique. Au-delà de l’exercice proprement introspectif, s’y exprime un certain rapport de l’artiste aux autres et au monde, oscillant entre implication dans le monde extérieur et retrait intérieur. Souvent augmentés d’une dimension allégorique, les portraits de Munch expriment également une conscience aiguë de la souffrance de la vie, de la difficulté à créer, et du caractère inéluctable de la mort.
"Autoportrait. Le Promeneur nocturne", 1923-1924 de Edvard MUNCH - Courtesy Oslo, Munchmuseet © Photo Théo Simon
Dans les premières années du XXe siècle, Munch participe à plusieurs grands projets décoratifs et se confronte à la question de la peinture monumentale. Les programmes iconographiques qu’il élabore s’intègrent pleinement à ses réflexions en reprenant des thèmes et des motifs déjà présents dans ses œuvres.
En 1904, pour répondre à une commande de son mécène Max Linde, il réalise une série de peintures pour décorer la chambre de ses enfants. Il y reprend certains sujets constitutifs de La Frise de la vie et ajoute des évocations plus directes de la nature. Les œuvres lui sont finalement restituées par le commanditaire qui les juge, à regret, inappropriées.
Entre 1909 et 1916, Munch répond à un concours national organisé à l’occasion du centenaire de l’indépendance de la Norvège, et réalise son grand œuvre en matière de décoration architecturale: un décor pour la salle d’honneur de l’université de Kristiania. Munch joue dans ce projet à dimension politique une grande part de sa renommée internationale. Il lui faudra de nombreuses années pour convaincre le jury et réaliser plusieurs essais avant d’arriver au résultat final, toujours en place de nos jours.
L’exposition présentera une centaine d’œuvres, peintures, mais aussi dessins, estampes ou encore blocs gravés, rendant compte de la diversité de sa pratique. Cette présentation d’ampleur, à la dimension rétrospective, embrassera l’ensemble de la carrière de l’artiste. Elle invitera le visiteur à revoir dans sa globalité l’œuvre du peintre norvégien en suivant le fil d’une pensée picturale toujours inventive : une œuvre à la fois foncièrement cohérente, voire obsessionnelle, et en même temps constamment renouvelée.
Commissariat: Claire Bernardi, directrice du musée de l'Orangerie, avec la collaboration d’Estelle Bégué, chargée d’études documentaires au musée d’Orsay.
1, rue de la Légion d’Honneur
75007 Paris
Horaires d'ouverture: Tous les jours sauf le lundi de 9h30 à 18h et Nocturne les jeudis jusqu’à 21h30.