Stephen FELTON « Cinder Block Garden »
"Day and night", 2021 de Stephen FELTON - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Philippe VALENTIN © Photo Éric Simon
Du 26 novembre au 14 janvier 2023
La peinture doit-elle encore avoir un sujet ?
Dans ses expositions précédentes à la galerie Valentin ou au Mamco à Genève, les œuvres de Stephen Felton faisaient référence à ses lectures de Moby Dick (It’s a Whale, en 2014) ou de Scènes de la vie d’un faune d’Arno Schmidt (The Wind, Love and other Disappointments, en 2015).
Pour cette nouvelle exposition, l’artiste semble piocher dans son vocabulaire des éléments de langage qu’il associe librement pour composer les tableaux, un peu à la manière de Picasso et Braque dans la période dite « synthétique » du cubisme.
Un système binaire se met en place : le jour et la nuit, le soleil et la lune, la maison et le jardin, le plein et le vide... Mais cette fois les éléments contradictoires tentent de cohabiter à l’intérieur du rectangle, par symétrie ou dissymétrie, et le poisson se retrouve à voler au milieu des montagnes, comme dans les peintures de paysage à l’encre « Shanshui » de l’art classique chinois.
"Sun and Snake", 2022 de Stephen FELTON - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Philippe VALENTIN © Photo Éric Simon
La peinture de paysage Shanshui (montagne-eau) n’est pas un art sur le motif et n’a vraiment rien à voir avec l’impressionnisme. Il s’agit plutôt d’un maniérisme qui évoque picturalement la nature comme analogie d’un état intérieur, régi par des principes de composition rigides et utilisant des techniques de représentation bien rodées. Le but de ce genre de peinture était de paraître le plus spontané possible, même si l’œuvre finale avait nécessité de nombreux travaux préparatoires. Mais au fond, quelle différence y a-t-il entre la spontanéité et l’imitation de la spontanéité ?
Dans l’art d’aujourd’hui, les phénomènes de rapprochements picturaux semblent de plus en plus présent. Sur Instagram, la peinture a parfois l’air d’avoir été générée par une intelligence artificielle, un peu à la manière du phénomène collectif, tant artistique que commercial, qui a vu se multiplier les expositions cubistes au début du siècle dernier.
"Mountain side", 2022 de Stephen FELTON - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Philippe VALENTIN © Photo Éric Simon
On pourrait presque parler de random-abstraction (ou de random-figuration), tant certaines œuvres semblent interchangeables. Pourtant, il me semble qu’il en a toujours été ainsi. De la Renaissance aux différents mouvements d’avant-garde, l’art est une production collective.
Si des individus ont cherché à se démarquer, ils ont la plupart du temps produit autour d’eux des avatars ou des successeurs qui ont de toute façon banalisé et collectivisé ce qu’il pouvait y avoir de singulier chez eux. Isidore Ducasse a écrit que « la poésie doit être faite par tous », et il semblerait que le nivellement des productions actuelles réalise en partie ce programme anti-romantique, exposé à la fin du 19ème siècle.
"Istanbul", 2022 de Stephen FELTON - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Philippe VALENTIN © Photo Éric Simon
Dans son essai Loin de moi, le philosophe Clément Rosset proposait de réviser notre conception de l’identité en suggérant qu’elle serait en réalité constituée d’un collage d’inspirations extérieures, reniant ainsi le dualisme couramment admis de la personne sociale s’opposant au moi profond.
Les tableaux de Stephen Felton ont l’air spontané parce qu’ils utilisent des couleurs franches et une forme de dessin à la ligne presque maladroite, enfantine. Pourtant, la conscience que ce vocabulaire possède de sa propre efficacité le place d’emblée dans un langage adulte, fait de références complexes à des idées simples.
"Gone fishing", 2022 de Stephen FELTON - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Philippe VALENTIN © Photo Éric Simon
Si la peinture de Felton est effectivement un langage, on ne sait pas exactement quel en est le sens ni l’usage. Elle se situe dans cette hésitation entre dire et ne pas dire, représenter quelque chose ou présenter l’action de peindre. Mais surtout, il ne s’agit pas d’une démarche purement subjective, comme son apparente spontanéité pourrait le laisser penser.
Sa peinture se réfère à des archétypes collectifs et les agence comme des rébus sans solution, des rêves à interpréter ou des poèmes visuels. Elle ne s’adresse pas, comme les peintures de paysage Shanshui, à des lettrés contemporains, mais à tout le monde et à n’importe qui. Elle est, par son intermédiaire, « faite par tous ».
Hugo Pernet - Juillet 2022
Galerie Philippe VALENTIN
9, rue Saint-Gilles
75003 Paris
https://www.galeriechezvalentin.com/
Jours et Horaires d‘ouverture : du mercredi au samedi de 11h à 13h et de 14h à 19h.