17 Feb

David SALLE « Tree of Life, This Time with Feeling »

Publié par Eric SIMON - Catégories : #Expo Peinture Contemporaine

Détail "Telephone for You", 2022 de David SALLE - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Thaddaeus ROPAC - Marais © Photo Éric Simon

Du 21 janvier au 4 mars 2023

« This Time with Feeling » est une exposition des nouvelles peintures de l’artiste américain, David Salle, célébrant l’aboutissement de sa série Tree of Life (Arbre de vie).

Peuplées de personnages tirés des illustrations réalisées au milieu du siècle dernier par le fameux dessinateur Peter Arno pour le magazine New Yorker, les toiles de Salle mettent en scène une intrigante comédie humaine comme trame de fond d’une réflexion sur la peinture et l’histoire de l’art.

"Tree of Life, Yellow Tree", 2022 de David SALLE - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Thaddaeus ROPAC - Marais © Photo Éric Simon

"Tree of Life, Heavenly" , 2022 de David SALLE - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Thaddaeus ROPAC - Marais © Photo Éric Simon

Au sein des grandes compositions bipartites qui constituent l’exposition, des arbres aux couleurs vives semblent émerger de mondes picturaux souterrains dans lesquels s’articule un langage visuel évoquant le cubisme, le surréalisme et l’expressionnisme abstrait. Ces panneaux inférieurs offrent à Salle un espace distinct dans lequel il expérimente une forme de marquage plus instinctif, qui alimente les racines de l’arbre et anime le reste du tableau.

« La partie art, » comme l’appelle Salle dans une interview récente, « semble avoir débloqué des énergies, des forces de réminiscence culturelle qui ont déclenché en moi toute une série de réponses. » Dans chacune de ces parties inférieures, l’artiste verse, éclabousse, tamponne tour à tour de la peinture aux couleurs vives, avant d’y superposer des croquis anatomiques ou encore des formes en feutrine découpées à la manière de Matisse.

Ceci laisse place à une expérimentation libre sans précédent de la part de l’artiste, contrastant avec le récit schématique des sections supérieures du tableau. Les prédelles de Salle, invoquant les retables médiévaux et de la Renaissance, représentent le passé, à la fois dans un sens culturel, personnel et artistique.

" The Kiss", 2022 de David SALLE - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Thaddaeus ROPAC - Marais © Photo Éric Simon

"The Old Crowd", 2022 de David SALLE - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Thaddaeus ROPAC - Marais © Photo Éric Simon

Contrairement aux œuvres précédentes de Tree of Life, les arbres dans This Time With Feeling sont pour la plupart dénudés, comme pour indiquer que la série touche à sa fin. Puissants motifs visuels, ils résonnent à travers toute l’histoire de l’art, invoquant les arbres du jardin d’Éden, tels que représentés par Lucas Cranach l’Ancien en 1528, ou les dessins du XIXe siècle de l’artiste Shaker Hannah Cohoon. L’arbre a souvent été utilisé pour représenter une supposée filiation entre la peinture française et l’art moderne américain.

Toutes ces références convergent dans les nouvelles toiles de Salle, associant l’arbre à une forme d’expérience collective, une lignée dont nous faisons tous partie. L’arbre conditionne également les interactions des personnages de part et d’autre du tronc, encadrés par la structure ramifiée.

Les spectateurs sont encouragés à s’identifier aux figures stylisées d’hommes et de femmes en noir et blanc qui semblent jouer une comédie humaine muette. Ces personnages sont tirés des couvertures du New Yorker réalisées au milieu du XXe siècle par Peter Arno, admiré par Salle pour sa « capacité à vendre un geste ou une situation avec très peu de coups de pinceau. » Ces caricatures ont campé la haute société new-yorkaise dès la première année de publication du magazine, en 1925, jusqu’à la mort d’Arno en 1968. Comme l’a dit F. Scott Fitzgerald à l’époque : « Il se peut que Peter Arno et ses collaborateurs aient dit tout ce qu’il y avait à dire sur l’effervescence de New York qui ne pouvait pas être dit par un groupe de jazz. »

"The Ladies", 2022 de David SALLE - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Thaddaeus ROPAC - Marais © Photo Éric Simon

Salle remet en scène les personnages d’Arno dans ses tableaux, supprimant toute légende ou dialogue pour permettre à l’ambiguïté et aux malentendus de naître des regards et des gestes qu’ils échangent. Les hommes, parfois coiffés d’un chapeau à la mode de l’époque, et les dames de la société aux robes cintrées semblent incarner la dynamique des sexes qui sous-tend la société occidentale depuis le mythe de la création.

Celle-ci est reflétée dans les parties du corps fragmentées, semblables à des poupées, que l’on retrouve dans certaines des sections inférieures, jouant avec les représentations stéréotypées du genre. En termes connexes d’histoire de l’art, les scènes semblent parodier le mythe de la créativité comme étant le résultat d’une rencontre entre un artiste masculin et sa muse féminine.

"Tree of Life, Bathing", 2022 de David SALLE - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Thaddaeus ROPAC - Marais © Photo Éric Simon

Comme un rappel au théâtre, les trois grands tableaux carrés au centre de l’exposition réunissent l’ensemble des acteurs de la série Tree of Life. Les groupes de personnages sont regardés avec perplexité par une assemblée d’animaux rappelant la célèbre représentation d’Adam et Ève de Cranach.

« Tree of Life de David Salle est une invitation à investiguer tout à la fois l’ignorance et la connaissance, le bien et le mal, fort de l’humour nécessaire, » écrit Bernard Blistène dans le catalogue de l’exposition. Avec des marques de plus en plus gestuelles dans les parties inférieures, les peintures de This Time with Feeling témoignent de la cacophonie de la vie moderne, ou, comme poursuit Bernard Blistène, « quelque chose comme ce que le monde était à son commencement et ce qu’il serait indéfectiblement devenu. »

"Tree of Life, The Violinist", 2022 de David SALLE - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Thaddaeus ROPAC - Marais © Photo Éric Simon

Mais les compositions fracturées de Salle échappent toujours à toute interprétation linéaire. Les hommes et femmes types représentés dans la série Tree of Life permettent aux spectateurs de projeter leur propre expérience sur la scène, et de former leur propre idée des interactions dramatiques entre les personnages. De la même manière, la multiplicité des références visuelles à travers les différents composants du tableau génère ce que l’artiste appelle la « malléabilité du sens » qui est au cœur de son œuvre.

Les peintures sont ainsi engageantes sans être descriptives. « D’une certaine façon, elles sont comme de la musique, » déclare Salle, « car pouvoir identifier les notes ne vous dit pas grand-chose sur ce que vous ressentirez en écoutant la musique. »

L’exposition est accompagnée d’un catalogue avec un texte de Bernard Blistène, directeur honoraire du Musée national d’art moderne-Centre Pompidou.

Galerie Thaddaeus ROPAC - Marais

7 rue Debelleyme

FR-75003 PARIS

https://ropac.net

Jours et horaires d’ouverture ; du mardi au samedi de 10h à 19h.

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