Yves BELORGEY « Cités-jardins »
"Maison dans la cité Jardin de Falkenberg - Architecte Bruno TAUT- Construction 1913", Novembre 2022 de Yves BELORGEY - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Xippas Paris © Photo Éric Simon
Du 7 janvier au 18 février 2023
La nouvelle exposition personnelle d’Yves Bélorgey Cités-jardins présente pour la première fois à Paris ses tableaux pigmentaires et ses étonnants dessins à l’encre de Chine, et entame une “enquête” sur une utopie architecturale fleurissante pendant les années 20 et 30, mais aujourd’hui abandonnée. Une idée, voire une vision qui, s’imaginant une “ville de demain”, s’opposait à la cacophonie mécanique de l’âge industriel et cherchait une alternative.
Un modèle d’ensemble d’habitations qui serait plus “proche de la terre” et aurait un espace à cultiver, à partager. Intégrant un ‘jardin’ dans une ‘cité’, il permettrait aux habitants de s’évader, d’échapper autant à l’étouffement qu’à l’aliénation...
"Onkel Toms Hütte - Architecte Bruno TAUT - Berlin", Décembre 2021 de Yves BELORGEY - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Xippas Paris © Photo Éric Simon
Depuis plusieurs années déjà, la pratique d’Yves Bélorgey est ponctuée par de véritables petites “révolutions” qu’il cherche à pousser de plus en plus loin. En effet, bien qu’il reste fidèle au sujet qui le préoccupe depuis les années 90 – l’architecture des habitats collectifs qu’il continue à documenter en suivant un programme initié par une “commande publique fictive” – l’ordre méthodique de sa démarche se trouve perturbé à plusieurs reprises.
"La Muette - Achitectes Beaudouin et Lods Construction année 1930 - Drancy", Mai 2022 de Yves BELORGEY - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Xippas Paris © Photo Éric Simon
A partir de 2018, Yves Bélorgey s’invente une nouvelle technique et commence à peindre en appliquant le pigment sec directement sur la toile. Cette technique hybride, qui rapproche la peinture du dessin, engendre des conséquences visuelles fortes. Les tableaux semblent, pénétrés par la lumière. Le pigment sec recouvre la toile d’un velours et laisse la couleur ressortir avec plus de vivacité. Ce n’est pas surprenant que cette dernière, devenue si lumineuse, joue en véritable protagoniste et influence le sujet représenté.
En effet, les réalisations de Bruno Taut comme Onkel Toms Hütte ou la cité-jardin de Falkenberg où la couleur et le monde végétal prennent une place essentielle, semblent le sujet idéal pourdes tableaux pigmentaires qui, avant tout, sont des compositions de couleur.
Plus encore, pour Taut la couleur avait un rôle précis et social : casser l’organisation régulière de la ville, y ramener un peu du chaos, de mixité et de vie. Suivant les traces de l’architecte allemand, Yves Bélorgey transforme son exposition en un manifeste puissant et lumineux et l’articule autour des trois couleurs primaires : rouge, jaune, bleu.
"L'Abreuvoir - Bobigny", Juillet-Août 2022 de Yves BELORGEY - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Xippas Paris © Photo Éric Simon
L’autre “révolution”, initiée déjà dans les années 2015, laisse apparaître des intérieurs, au milieu des façades au rythme répétitif, modernistes ou pas. Ces espaces privés sont longtemps restés implicites et hors-champ, obscurcis par une logique de représentation photographique (qui, pour Bélorgey, a toujours été une étape nécessaire du travail : un collage composé de plusieurs prises de vue précède systématiquement chaque opus pictural).
Les contraintes de celle-là font que les deux termes – l’intérieur et l’extérieur – s’excluent mutuellement et imposent un choix. Ainsi, ce moment où l’espace public cède la place à l’intimité envoûtante de l’espace privé et nous laisse entrer ‘chez quelqu’un’ en toute confiance, marque un véritable glissement conceptuel. Certes, les deux sont liés car pour l’artiste, habiter n’est pas qu’une activité privée, mais aussi sociale.
"Jardin ouvrier à la Butte Rouge - Architectes Paul SIRVIN et André JIOUSSE - Construction 1932 à 1939 - Chatenay Malabry", Octobre-Décembre 2021 de Yves BELORGEY - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Xippas Paris © Photo Éric Simon
Ainsi, l’extérieur et l’intérieur se reflètent l’un dans l’autre, ce qui est d’autant plus éloquent dans le tableau Maison à Berlin Dahlewitz : on se retrouve ici dans un espace coloré qui nous fait penser à l’abstraction géométrique et qui préserve précieusement le même esprit moderniste qui sculpte ses extérieurs. Pourtant, on ne peut pas ne pas ressentir un changement de tonalité : les intérieurs d’Yves Bélorgey nous parlent dans une langue plus douce, plus sentimentale, celle du journal intime plutôt que des archives publiques.
Le troisième changement s’introduit à travers les figures humaines des habitant-e-s (ou pas) qui apparaissent de plus en plus souvent dans les paysages urbains d’Yves Bélorgey. Elles ajoutent du mouvement et contrarient le caractère statique, voire immuable, des immeubles.
"Les maisons jumelles de la cité Jardin Hellerau - Architecte Heinrich Tessenow Construction 1909 - Dresde, Allemagne", Décembre 2022 de Yves BELORGEY - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Xippas Paris © Photo Éric Simon
De même, dans La Muette, une cinquantaine d’oiseaux envahit l’avant-scène de l’immeuble de la cité-jardin de la Muette à Drancy et y apporte de l’effervescence et de la poésie. Enfin, la révolution la plus récente, même si on peut en apercevoir les traces dans quelques œuvres plus anciennes, concerne la représentation elle-même, son aspect méta-discursif.
Yves Bélorgey introduit un élément abstrait dans la composition, faisant passer la figuration à travers une trame. Celle-là agit sur plusieurs niveaux et rend la dimension réflexive de sa peinture plus apparente. Tout d’abord, la trame crée un effet optique fascinant : la surface des tableaux se décompose et se recompose en fonction des déplacements du spectateur.
En même temps, la présence d’une trame renforce le lien de sa peinture avec le médium photographique, car c’est précisément en photographie qu’une trame devient une nécessité, une condition matérielle de l’existence de l’image reproduite. L’incorporer ici sera donc un hommage, mais aussi un geste réflexif sur la peinture, une manière de revenir sur ses propres pas et prémisses.
"Maison de Tessenow à Berlin Zehlendorf - Architecte Heinrich TESSENOW - Construction 1930", Séptembre 2022 de Yves BELORGEY - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Xippas Paris © Photo Éric Simon
En explorant des zones entre les trames, des zones ‘grises’ et des interstices, la peinture d’Yves Bélorgey problématise notre rapport à la peinture, comme elle le fait déjà avec notre rapport au monde. Et, peut-être, le fait-elle ici avec plus de force encore, en nous montrant ce projet des cités-jardins abandonné qu’elle cherche à ressusciter dans ces formes différentes : des jardins-potagers, des jardins-ouvriers.
Il est en effet impossible de ne pas se demander pourquoi ce projet fut suspendu, ce qui nous mènerait alors dans les méandres des questions sociales, politiques, écologiques, etc... Nous confrontant à ces réalités pas toujours ‘confortables’, les œuvres d’Yves Bélorgey se confrontent, elles aussi, à des questionnements d’ordre formel et pictural, en découvrant au cœur de la peinture une dimension critique.
"Entrée de la maison de la famille G. - Berlin Britz - Architecte Bruno TAUT", Septembre-Octobre 2021 de Yves BELORGEY - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Xippas Paris © Photo Éric Simon
Yves Bélorgey (né en 1960) vit et travaille à Montreuil. Son travail a été présenté lors d’expositions personnelles dans de nombreuses institutions telles que Le Printemps de Septembre, CIAM - La Fabrique, Toulouse, France (2021) ; Kunstverein Heilbronn, Allemagne (2019), Centre d’art Le!9, Montbéliard, France (2017), Musée Régional d’Art Contemporain Languedoc-Roussillon, Sérignan (2012), Kunstlerhaus d’Ulm en Allemagne (2012), Musée National d’Art Contemporain, Bucarest, Roumanie (2011).
En 2012, le Mamco de Genève a organisé une première exposition rétrospective incluant près d’une centaine d’oeuvres. Collections publiques (sélection) : Mamco, Genève, Suisse ; CNAP, Paris, France, FRAC Bretagne, FRAC Franche-Comté, FRAC Limousin, FRAC Pays de la Loire, FRAC Provence-Alpes-Côte d’Azur, FRAC Rhône-Alpes ; Société Générale, Ville de Lyon.
Galerie Xippas Paris
108 rue Vieille-du-Temple
75003 Paris, France
Jours et horaires d’ouverture : du mardi au samedi de 10h à 19h.