Dagoberto RODRIGUEZ « Solar Storm »
"NIDEC CSC10", 2023 de Dagoberto RODRIGUEZ - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Peter Kilchmann - Paris © Photo Éric Simon
Du 18 février au 15 avril 2023
La galerie Peter Kilchmann est ravie de présenter dans son nouvel espace parisien, pour une deuxième exposition personnelle et pour la première fois en France, l’artiste cubain Dagoberto Rodriguez (*1969 , la Havane ; vit et travaille à Madrid ; ancien membre du collectif Los Carpinteros). Sous le titre Solar Storm, l’exposition de Dagoberto Rodriguez le voit poursuivre certains thèmes approchés plus tôt en même temps que tisser la toile qui les réunit tous.
Dagoberto révèle en quatre chapitres une sorte de panorama de situations politiques par le monde : le triste constat d’une énième guerre à nos portes, les migrations que de tels conflits engagent, ce désir de fuir un monde hostile pour se réfugier pourquoi-pas sur Mars, ce que cette quête sublime porte en termes d’utopie.
Vidéo d'animation "Solar Storm", 2022 de Dagoberto RODRIGUEZ - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Peter Kilchmann - Paris © Photo Éric Simon
Réunies en un ensemble inédit, ses œuvres nouvelles se déploient en vidéo, sculptures, peintures à l’huile et à l’aquarelle.
La pratique artistique de Dagoberto Rodriguez s’est toujours déployée dans la brèche entre l’art et le quotidien. S’il observe ces moments iconiques, que de nos colonisations passées à nos désirs d’expansions contemporains et à nos rêves d’invasions futures, l’histoire se déroule et se répète.
S’il souligne comme les outils / les moyens changent certes, que les frontières sont sans cesse repoussées (sur terre et dans notre système solaire), mais qu’à l’identique, déraisonnablement, la nature humaine ambitionne d’explorer pour mieux envahir et coloniser ; l’artiste toujours déploie ce même regard amusé dans un langage visuel de la contradiction et de la transformation. L’histoire n’est pas pour lui un concept linéaire figé : le présent, le passé, le futur peuvent / doivent interagir.
"NIDEC CSC10", 2023 de Dagoberto RODRIGUEZ - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Peter Kilchmann - Paris © Photo Éric Simon
Un casque accueille le spectateur en vitrine, qui appartient à un ensemble de 7 autres identiques (NIDEC CSC10, dimensions variables) présentés sur une étagère dans l’une des salles. Ces casques, accessoires des cultures guerrières, sont aussi l’apanage des forces de police. Ici moulés dans un aluminium étincelant, alignés dans un ordre presque rigide, ils contrastent étrangement avec l’anarchie, le conglomérat confus d’objets déchargés sur le tank russe et sur lesquels celui-ci roule (Tanque ruso,
150 x 150 cm).
En une manière simultanément hyperréaliste et quasi abstraite, Dagoberto se livre à un exercice de style, alternance de couleurs sourdes et de touches vives, de brillances lisses et d’autres en épaisseur. Un autre char, sur papier cette fois-ci (Tanque Ruso IV, 130 x 200 cm), selon ce motif du lego, n’est pas sans nous faire penser aux robots qui auscultent les planètes.
Le pressentiment éclot alors que ces véhicules-machines seraient dans le même temps outils de colonisation et/ou armes de destruction.
"Tanque Ruso", 2022 de Dagoberto RODRIGUEZ - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Peter Kilchmann - Paris © Photo Éric Simon
Parmi les conséquences funestes de la guerre, il y a bien entendu ces camps de réfugiés qui essaiment. Dagoberto se consacre ici à plusieurs tragédies contemporaines. La plupart des réfugiés arrivant d’Afrique pour tenter de passer en Europe arrivent au camp de Moria, sur l’île de Lesbos, en Grèce (Moria Refugee Camp, 100 x 130 cm).
A la Havane, s’il ne s’agit pas strictement d’un camp de réfugiés, les locaux qui se réunissent dans la vieille ville du port en nourrissant l’espoir de parvenir à quitter l’île pour fuir la crise politique, sociale et économique qui ravage Cuba, se sentent tout aussi
prisonniers (Havana Refugee Camp I, 100 x 130 cm).
"Rohinyia Refugee Camp", 2023 de Dagoberto RODRIGUEZ - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Peter Kilchmann - Paris © Photo Éric Simon
Au Bangladesh, plusieurs centaines de milliers de Rohingyas, essentiellement musulmans, ont fui une offensive de l’armée birmane depuis 2017 et s’entassent dans des conditions sanitaires désastreuses (Rohinyia Refugee Camp, 200 x 200 cm). La dimension esthétique et presque ludique des larges plans vus du ciel engage le spectateur dans des voies paradoxales.
Ce motif du lego tient d’une part le sujet à distance et soustrait d’autre part le regardeur à une compréhension immédiate de l’objet. Le voici ainsi tiraillé entre plusieurs perspectives d’actions : jouer, réordonner, démolir, construire... En même temps qu’il y a retournement de l’image se dessine la possibilité d’un retournement du sens.
"Bagnold Dune", 2023 de Dagoberto RODRIGUEZ - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Peter Kilchmann - Paris © Photo Éric Simon
Ailleurs, trois paysages de dunes s’étendent dans une palette de terre d’argile. Des éléments mécaniques viennent perturber le calme apparent de ces plages de sable et de roches. Les dunes grises de Bagnold (Bagnold Dune, 135 x 200 cm) sont sondées par un robot géologue de la NASA afin d’y chercher des traces d’eau. Plus loin, une machine similaire inspecte le cratère Jezero sur la planète Mars (Jezero Crater, 135 x 200 cm).
Le rover Perseverance confirme en 2021 que ce cratère abritait bien un lac, il y a quelques 3,6 milliard d’années (Perseverance, 130 x 200 cm). L’être humain, avec constance, guette toute trace de vies potentielles passées, présage de celles qu’il pourrait investir sur ces territoires extra-terrestres.
Ces trois peintures, sur toile et sur papier, empruntent leur iconographie au jeu de lego, un motif cher à l’artiste qui lui évoque tout à la fois la médiatisation, la digitalisation, la technologisation et la pixellisation de nos univers. Les réalités sont comme altérées, les fictions morcelées, faisant ainsi écho aux couches multiples des langages et aux interprétations plurielles des images. Ces briques de plastique portent aussi en elles l’éventualité d’un effondrement, d’une décadence.
"Perseverance", 2023 de Dagoberto RODRIGUEZ - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Peter Kilchmann - Paris © Photo Éric Simon
D’ailleurs, la planète Mars emprunte son nom au dieu du panthéon romain. Les perturbations que nous occasionnons dans nos fantasmes de prospérité sur tous ces territoires suggèrent que toute communauté animée par un désir de colonisation serait finalement en forme d’incarnation de la figure tutélaire du seigneur de la guerre.
Ainsi, dans la dernière salle, une animation digitale est projetée (Tormento Solar, 2 :06 min.). Cette vision futuriste vient en quelque sorte résoudre poétiquement ces schémas de conquêtes. Dans cette mythologie spatiale, un mouvement nous rapproche de plus en plus de l’explosion d’une chaleur qui ,pulse comme un cœur.
Les briques artificielles crépitent. Le soleil se défend-il d’être ainsi sollicité ?
Nous brûlons-nous les ailes à être attirés malgré nous par la lumière qu’il dégage ?
Bien entendu, Dagoberto convoque ici le sujet de l’impact des technologies sur l’environnement et l’humanité mais il ne s’agit guère pour lui de dénoncer ces choses, plutôt d’offrir un miroir romantique où confronter le reflet des structures de nos pulsions. Ces conditionnements en héritage qui nous animent et qui rendraient contagieuses nos destinées modernes.
"Jezero Crater", 2023 de Dagoberto RODRIGUEZ - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Peter Kilchmann - Paris © Photo Éric Simon
Dagoberto Rodriguez est connu comme co-fondateur du collectif d'artistes Los Carpinteros, une collaboration qui a duré de 1992 à 2018. Leurs œuvres sont présentes dans de prestigieuses collections et institutions internationales comme le Centre Pompidou, Paris ; le Musée Hirshhorn, Washington ; le Musée du comté de Los Angeles des Arts (LACMA) ; le Musée d'art contemporain (MAC) de Montréal ; le Musée d'art moderne (MoMA), New York ; le Musée national des beaux-arts, La Havane ; le Musée Centro de Arte Reina Sofia, Madrid ; le Musée des beaux-arts du Canada, Ottawa…
Galerie Peter Kilchmann
11-13, rue des Arquebusiers
75003 Paris
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Jours et horaires d’ouverture du mardi au samedi de 11h à 19h.