Solène RIGOU « Habiter l’ordinaire »
Détail "Anouk", 2023 de Solène RIGOU - Courtesy de l'artiste et de la Galerie C - Paris © Photo Éric Simon
Du 9 mars au 15 avril 2023
« Ce qu’il s’agit d’interroger, c’est la brique, le béton, le verre, nos manières de table, nos ustensiles, nos outils, nos emplois du temps, nos rythmes. Interroger ce qui semble avoir cessé à jamais de nous étonner ».
- Georges Perec
Nonchalamment posée sur une cuisse drapée dans une robe à carreaux, une main aux ongles discrètement vernis est doublement baguée sur le majeur. Les replis tortueux de la tunique froissée accompagnent notre regard en quête de signification : ce fragment de corps, à qui appartient-il ? L’arrière-plan, où des bribes d’indices sont distillés, donne à notre œil interrogateur une première sensation de satiété.
"Anouk et les pommes", 2023 de Solène RIGOU - Courtesy de l'artiste et de la Galerie C - Paris © Photo Éric Simon
La scène se déroule dans une brasserie : un pied de table et un tabouret typique de café nous permettent de l’affirmer.
Et après ?
C’est une fois l’irrésolution de l’énigme et nos piètres qualités de détective constatées que tout s’éclaire. Au-delà des scènes qu’elle dessine, Solène Rigou agit comme une chercheuse. Une chercheuse du quotidien.
A l’instar de Georges Perec, elle « interroge l’habituel » et parle, crayons de couleur à la main, des « choses communes » de la vie. La première gorgée de bière en terrasse de café, les fruits que l’on soupèse avant d’en intégrer les morceaux à une salade, la fanfare croisée au détour d’une promenade sont autant de sujets qu’elle place au cœur de sa pratique minutieuse.
"Sofian", 2023 de Solène RIGOU - Courtesy de l'artiste et de la Galerie C - Paris © Photo Éric Simon
"Chalisée", 2023 de Solène RIGOU - Courtesy de l'artiste et de la Galerie C - Paris © Photo Éric Simon
Car son entourage ne le soupçonne pas toujours, mais Solène Rigou scrute tout et vole secrètement ces instants de vie en les photographiant. Profondément nostalgique, elle peut passer de longues heures à poncer ses souvenirs recadrés. A restituer, couche par couche, les mains de celles et ceux qui partagent son quotidien, les détails de ces moments volatiles, ceux que l’on ignore, sur lesquels on n’a pas l’habitude de placer la focale.
« On ne voit que ce qu’on regarde », assurait Maurice Merleau-Ponty dans l’Œil et l’Esprit. Et de fait, Solène Rigou nous force la main, emprisonne notre œil au cœur d’une scène banale et fait glisser la vie ordinaire vers l’art.
"Anouk en ton sur ton (Donut)", 2023 de Solène RIGOU - Courtesy de l'artiste et de la Galerie C - Paris © Photo Éric Simon
« Elle a un œil dans la vie, l’autre dans le rêve », nous dit-on au détour d’une conversation. Touché.
Dans les tableaux de la jeune artiste, le quotidien se pare d’onirisme : si Solène Rigou travaille à partir de photographies, ces scènes délicatement crayonnées sont-elles fidèles à la réalité ?
L’imaginaire se loge-t-il dans un coin du tableau, là où s’émancipe un parterre de fleurs roses ?
La poésie s’amarre-t-elle dans l’éparpillement de coquilles de noix vidées de leur fruit ?
Les souvenirs de Solène Rigou sont-ils aussi nets que leur retranscription sur ces planches de bois ?
C’est certainement là, dans les interrogations que l’observation de ses œuvres soulèvent, que réside toute la force du travail de Solène Rigou.
"Sans titre", 2023 de Solène RIGOU - Courtesy de l'artiste et de la Galerie C - Paris © Photo Éric Simon
Nous y sommes baladés, de certitudes en incertitudes et finalement, se demande-t-on, ces bribes de souvenirs sur bois, ne sont-ils pas un peu les nôtres aussi ?
« Les souvenirs sont cors de chasse dont meurt le bruit parmi le vent ». Guillaume Apollinaire savait : les souvenirs sont des mouvements perpétuels, des deuils à l’infini.
Et Solène Rigou, elle, s’essaie à fixer la mémoire de ce qui lui arrive. Elle s’échine à transposer l’éphémère afin de soigner sa nostalgie du révolu et passe des journées entières à produire ses dessins, comme une consolation. Le format de ses tableaux, souvent petit, nous permet de prendre ces moments du quotidien au creux de nos mains.
En plus de scènes de vie, ils deviennent des amulettes qui nous aussi, nous soignent et nous consolent.
Texte par : Marine Vazzoler
"Le cruchon jaune", 2023 de Solène RIGOU - Courtesy de l'artiste et de la Galerie C - Paris © Photo Éric Simon
Née en 1996, Solène Rigou vit et travaille à Paris. Elle a étudié les arts plastiques à l’École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris dans les ateliers de Jean-Michel Alberola (2015-2018) et Stéphane Calais (2018-2020).
En 2019, elle a été lauréate du Prix du Dessin Contemporain des Beaux-Arts de Paris et remporte, en 2022, le 2ème Prix de dessin Pierre-David Weill.
Galerie C
6 rue Chapon
75003 Paris
Jours et horaires d’ouverture : du mardi au samedi de 11h à 19h.