Sam DURANT
Détail "Tranparency", 2020 de Sam DURANT - Courtesy de l'artiste et de la Galerie PRAZ DELAVALLADE - Paris © Photo Éric Simon
Du 16 septembre au 10 novembre 2023
« Légèreté » n’est pas un terme qu’on associerait habituellement à la pratique artistique de Sam Durant. Cela fait longtemps que le travail de l’artiste multimédia américain questionne, souligne et reformule des questions d’ordre sociétal et civique liées à certains des aspects les plus complexes de l’Histoire : le colonialisme, la peine de mort, la surveillance et l’esclavage, entre autres.
Pourtant, dans cette exposition personnelle, une certaine légèreté, un sens du jeu, se glissent avec douceur dans des sujets autrement graves et pesants. Une nouvelle série de douze œuvres réexamine, et réinterprète en partie, des images collectées par l’artiste au cours de ses faramineuses recherches sur les manifestations et révolutions au fil de l’Histoire.
"Ears And Noses", 2020 de Sam DURANT - Courtesy de l'artiste et de la Galerie PRAZ DELAVALLADE - Paris © Photo Éric Simon
"Another Wold is Possible", 2022 de Sam DURANT - Courtesy de l'artiste et de la Galerie PRAZ DELAVALLADE - Paris © Photo Éric Simon
Dans les périodes de fracture et de bouleversement politique, il est fréquent que les manifestant·e·s renversent les symboles et monuments rattachés aux structures de pouvoir en place afin de les remplacer par les leurs (la récente série de Sam Durant titrée Iconoclasm donne à voir des images de ce genre de manifestations via des dessins au graphite ; certains travaux précédents de l’artiste montrent de nouvelles façons d’ériger des monuments et « de faire monument », pour ainsi dire).
Lors du processus de fabrication de ces œuvres, Durant a analysé ce matériau source et, au lieu de dessiner des manifestations, il a démonté, découpé, puis réarrangé des fragments de ces images – majoritairement en noir et blanc – de monuments renversés. Si le terme anglais « Iconoclasm » renvoie au morcellement des images, ici c’est comme si l’artiste morcelait non seulement les images mais les déchirait aussi pour ne plus en tenir entre les mains que de tout petits fragments, comme l’on pourrait limiter un mot à ses simples lettres.
En cela, il semble se demander si le fait de réduire les symboles et les représentations du pouvoir à leurs composantes élémentaires peut résulter en une sorte de poésie visuelle minimale.
"Heads", 2020 et "Statues", 2020 de Sam DURANT - Courtesy de l'artiste et de la Galerie PRAZ DELAVALLADE - Paris © Photo Éric Simon
"Untitled (Communism)", 2020 de Sam DURANT - Courtesy de l'artiste et de la Galerie PRAZ DELAVALLADE - Paris © Photo Éric Simon
De la poésie ou, dans certains de ces petits formats, d’astucieuses punchlines. Dans Heads (œuvres sur papier de 2020), des rangées de têtes de statues – petites et grandes, anciennes ou actuelles, à l’endroit ou à l’envers – donnent l’impression d’un running gag (ou d’un assemblage taxinomique ; on pense à Mnemosyne Atlas d’Aby Warburg). Les bras et jambes branlants de Legs and Arms ressemblent, eux, à des lettres tirées d’une langue non-occidentale. De son côté, Ears and Noses comporte une rangée vaguement bizarre de nez ainsi qu’une oreille seule.
Dans Fall of Communism, une autre oreille solitaire, issue d’une statue de Vladimir Lénine, flotte seule dans le plan pictural et l’image d’une foule renversant une statue en Albanie (Lénine l’entend-t-il ?) se répète le long du bord inférieur du tableau. Les choses deviennent plus denses, tant sur le sujet évoqué que sur e plan visuel, dans Ambivalence, Transparency et Certainty ; chacune de ces œuvres comportent des superpositions de couches d’images transparentes représentant des fragments de monuments – au fil de l’évolution des révolutions, les fantômes des révolutions passées continuent de nous hanter.
"Love is Louder", 2023 de Sam DURANT - Courtesy de l'artiste et de la Galerie PRAZ DELAVALLADE - Paris © Photo Éric Simon
"Open your eyes", 2022 de Sam DURANT - Courtesy de l'artiste et de la Galerie PRAZ DELAVALLADE - Paris © Photo Éric Simon
Plus d’un siècle après les collages sarcastiques et joueurs des Dadaïstes autour d’images et de textes socio-politiques, Sam Durant s’auto-alimente d’une manière similaire, en improvisant sur des thèmes et en repoussant les limites de la réduction, de l’abstraction sur une échelle certes petite mais percutante.
Réalisées avec l’aide d’une équipe lors d’un atelier au Singapore Tyler Print Institute pendant le pic de la pandémie de Covid-19, les œuvres sont aussi le fruit d’une collaboration, tout comme leur structure et les techniques d’impression utilisées sont le résultat d’expériences avec différents matériaux. Une partie du papier fait main contient de petites quantités de béton et certaines images apparaissent en un subtil relief.
"Tranparency", 2020 de Sam DURANT - Courtesy de l'artiste et de la Galerie PRAZ DELAVALLADE - Paris © Photo Éric Simon
"Certainty", 2020 de Sam DURANT - Courtesy de l'artiste et de la Galerie PRAZ DELAVALLADE - Paris © Photo Éric Simon
L’exposition propose également des dessins narratifs de manifestant·e·s réalisés au graphite par Sam Durant – ces œuvres sont percutées par des tirs de bombes de couleurs, semblables à des tirs de paintball – ainsi que deux des caissons lumineux sur lesquelles l’artiste travaille depuis des années dans une série on progress qui s’intéresse aux slogans que les manifestant·e·s écrivent à la main sur les pancartes qu’ils et elles arborent en marchant.
Leurs messages, Open Your Eyes (2022) et Love is Louder (2023), sont en effet puissants, clairs et essentiels dans le climat géopolitique tendu et clivant dont nous faisons l’expérience collective. Dans nos tentatives de création d’un autre monde, d’une société meilleure, il ne faut toutefois pas oublier de prendre du plaisir.
Kimberly Bradley
Galerie PRAZ DELAVALLADE
5 rue Haudriettes
75003 Paris
https://www.praz-delavallade.com/
Jours et horaires d’ouverture du mardi au samedi de 10h à 18h.