Maja BAJEVIC « Damaged Goods »
"Gap", 2024 de Maja BAJEVIC - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Peter KILCHMANN - Paris © Photo Éric Simon
Du 6 janvier au 2 mars 2024
La galerie Peter Kilchmann est ravie de présenter pour la première fois à Paris et pour la cinquième fois avec la galerie, Damaged Goods, la nouvelle exposition personnelle de Maja Bajević (*1967 à Sarajevo, Bosnie-Herzégovine ; vit et travaille à Paris).
Cette dernière est l’occasion pour l’artiste de poursuivre plusieurs séries célèbres en cours et de les faire dialoguer avec des œuvres inédites. Réunies en un nouvel ensemble, la galerie accueille des sculptures céramiques, des néons, une installation, des broderies, une nouvelle vidéo ainsi qu’un ensemble de peintures.
"J'irai cracher sur vos tombes (d'après Vernon Sullivan)", 2024 de Marcelle Marcel - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Peter KILCHMANN - Paris © Photo Éric Simon
« Qui admire monte. » * L’empathie est au cœur de Damaged Goods : une expression qui évoque tant les biens endommagés que les individus éprouvés. Bajević invite son public à marcher au travers de propositions plastiques hétérogènes qui portent cependant un vœu similaire : animer ce sentiment, ce mouvement vers, chez un spectateur soustrait un instant aux aléas de sa propre existence. Qu’il se laisse imprégner par les histoires de femmes, d’immigrés, d’Autres et qu’il emporte un peu du souvenir de ceux qui contribuent tant au précieux et à la multiplicité des mondes.
Les installations lumineuses brillent intensément qui conduisent le regard de manière presque contre-intuitive à se poser au sol. Ces œuvres sont profondément connectées à l’installation To Be Continued – We (2014), pour laquelle Bajević collecte les slogans de grands soulèvements socio-politiques du 20ème siècle. Le pouvoir évocateur de ces phrases courtes engage évidemment le spectateur dans une lecture qui convoque tant le politique que le poétique.
"Houses we use to live in", 2024 de Marcelle Marcel - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Peter KILCHMANN - Paris © Photo Éric Simon
"An Artist Who Has No Country Is No Artist", 2024 de Maja BAJEVIC - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Peter KILCHMANN - Paris © Photo Éric Simon
An Artist Who Has No Country Is No Artist (52 x 104 x 9,5 cm, verre soufflé et néon, 2024) emprunte son rythme et son prélude à l’oeuvre de Mladen Stilinović An Artist Who Cannot Speak English Is No Artist (1992). Celui-ci, qu’il dût travailler sous l’hégémonie d’une langue (dans le cas de Mladen Stilinović) ou produire en étant rattaché à un territoire ainsi que nos systèmes politiques l’entretiennent (dans le cas de Maja Bajević) voit persévérer les mécanismes d’exclusion. Cette phrase est, de concert, une expression résignée et une protestation. Elle cristallise l’épisode de fracture dans l’existence de Bajević qui intègre, expatriée, les Beaux-Arts de Paris et y devient immigrée.
C’est dire qu’elle quitte son pays dans une chorégraphie heureuse de tous les possibles et reste en France prise dans l’étau de la guerre, endurant l’impossible retour, l’indéniable sentiment de perte. C’est là toute la différence : la vie de l’expatrié s’amuse de l’existence, l’existence joue avec la vie l’immigré. Neo (65 x 17 x 11 cm, verre soufflé et néon, 2024), soulève la question, redondante dans l’œuvre de Bajević, de l’autonomie de l’œuvre et de sa réception. Le regardeur poursuit le préfixe pour activer le sens, le mot franchissant d’abord les lèvres en disant long sur ses préoccupations : néosocialiste, néofasciste, néolibéral, néoromantique…
"Mother", 2024 de Marcelle Marcel - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Peter KILCHMANN - Paris © Photo Éric Simon
"Free Fall", 2024 de Marcelle Marcel - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Peter KILCHMANN - Paris © Photo Éric Simon
L’œuvre Socialists (broderie sur coton, 100 x 148 cm, 2022) qui balance légèrement sous l’effet de l’air, reprend les mots attribués à l'ecclésiastique protestant allemand Martin Niemöller qui sympathisait avec le national-socialisme dans les années 1930 avant de devenir une figure de la résistance. La cadence poétique de ces quelques lignes, comme une ritournelle, raconte certes la culpabilité, le remords, la responsabilité personnelle mais rend surtout évident comme il faut bien souvent faire expérience pour déployer un esprit empathique. « First they came for the socialists, and I did not speak out—because I was not a socialist (…) Then they came for me—and there was no one left to speak for me. »
Les œuvres de la série en cours Art, Craft and Facts sont montrées pour la première fois lors de l’exposition All World’s Futures à la Biennale de Venise (2015). Les graphiques brodés dans des fils chatoyants se déploient sur des tissus de coton imprimés aux motifs floraux. Le facteur temps / labeur investit dans une telle activité contraste intensément avec le rythme effréné de nos sociétés modernes.
"J'irai cracher sur vos tombes (d'après Vernon Sullivan)", 2024 de Marcelle Marcel - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Peter KILCHMANN - Paris © Photo Éric Simon
Ces broderies, réalisées par des femmes en Bosnie Herzégovine (les œuvres sont souvent collaboratives chez Bajević), instruisent sur les statistiques relatives aux écarts drastiques subis par celles-ci comparativement aux hommes, en termes de rémunération, de reconnaissance, plus récemment de sentiments.
Dans l’œuvre Gap (broderie sur coton, 89 x 130 cm, 2024), les pouvoirs et les succès sont inéquitablement répartis selon le genre et le sont, simultanément dans l’espace public et dans l’espace privé. Why don’t you love me anymore (broderie sur coton, 81 x 115.5 cm, 2024) s’inscrit plus profondément encore dans l’intime. Seulement, she se dessine nettement plus haut que he, la constance de son amour qui ne tarit pas et se meut selon une courbe calme lui garantit enfin l’avantage.
"Why don’t you love me anymore", 2024 de Maja BAJEVIC - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Peter KILCHMANN - Paris © Photo Éric Simon
"L'origine du Monde I", 2024 de Maja BAJEVIC - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Peter KILCHMANN - Paris © Photo Éric Simon
Ces chiffres effarants se creusent aussi dans des céramiques émaillées aux tons chauds. La série intitulée L’Origine du Monde (céramiques, 2024) restitue tout à la fois la stupeur et l’effroi à se pencher sur ces constats, en même temps que le ridicule et la désuétude du type de pensées encourageant et / ou entretenant ces phénomènes. Les attributs féminins ont la taille d’un fruit et tiennent dans la paume de la main. Effrayants certainement d’être ainsi soustraits aux corps entiers, ces sculptures tendent aussi amusées, fesses et lèvres, rondeurs et intimité aux signes absurdes que les sociétés patriarchales veulent y graver.
Deux ventilateurs discutent, deux personnes échangent comme on pourrait le surprendre dans un cabinet de thérapie. Pendant que l’une confie certaines des raisons de son mal-être, l’autre l’invite à poursuivre ses confessions dans une boucle incessante. You Take my Breathe Away (installation, dimensions variables, 2022) commence la première dont la voix est sourde, la respiration comme étouffée. La seconde intervient peu, seulement pour ne pas épuiser le dialogue, elle relance l’échange, le souffle, qui apparaissent comme nécessaires à la résolution de ces maux. Ces secrets, ces pensées en écho pourraient tout à fait être ceux et celles des nombreuses figures qui ont traversé et traversent encore l’œuvre de Bajević.
Comme les photographies d’identité judiciaires, le visage de Bajević se livre de face et de profil en trois panneaux dont les voix se superposent pour se confondre. Le texte, toujours le même, est récité par chacun de ces visages, en français, en anglais, en allemand. Je suis désolée (single channel video, sound, color, version complète 23 min.) voit l’artiste confier / confesser certains des regrets et des angoisses de son parcours. Le ton est solennel et cependant que les portraits changent de situation, il apparaît que ces excuses ne sont pas uniquement destinées au spectateur mais sont également à l’intention de ces alter egos qui parlent une autre langue. Si leur pays n’existe plus, il leur reste néanmoins d’être vues ou entendues pour exister. Fatalement, comme il va d’un bruit répétitif, d’une image omniprésente, que l’on intègre à notre paysage et qui deviennent insignifiants à force d’être familiers, les silhouettes se dérobent et disparaissent dans une lumière blanche aveuglante.
Marcelle Marcel, alter egos, habitent le monde bien différemment. Expatriés, ils vont vers la destinée qu’ils se créent avec la fougue et toute la liberté de la jeunesse. Ils sont dans un potentiel de mouvement perpétuel, ils ne connaissent pas de frontières, qu’elles soient matérielles ou conceptuelles. Le champ des perspectives à explorer est infini, leur liberté d’action inépuisable. Nulle protestation explicite chez les étudiants aux Beaux-Arts, ils peignent et s’emparent, décomplexés, de tous les outils qui leur chantent, de tous les sujets qui les attirent.
Les couleurs de leur voisin, les tampons de Maja Bajević, le papier peint de la chambre qui les accueillent, les couvertures de quotidiens du pays où ils ont posé un moment leurs valises. Si leur pratique, la peinture, s’exerce dans l’intimité, dans une sorte de monde intérieur, ce monde pour autant leur appartient tout entier.
Les surfaces sont peuplées de visages et de silhouettes, un échantillon des existences qui croisent leurs routes. Ils ne critiquent pas les réalités politiques, ils observent et convoquent ses signes, pour les distribuer sur la toile, dans un mouvement de liesse généreuse (2024). Marcelle Marcel se déplacent de l’autre côté du miroir, rendant tangible la rupture générationnelle qui les distinguent de Maja Bajević.
- Victor Hugo, Utilité du beau, 1863
Les œuvres de Maja Bajević sont exposées dans le monde entier depuis le début des années 2000. Elle participait aux biennales suivantes : Busan biennale (2018), Sao Paolo biennale (2015), Biennale de Venise (2015), Thesaloniki biennale (2013), Documenta (2007), Biennale de Séville (2004), Biennale de Venise (2003), Biennale d’Istanbul (2001), Manifesta (2000) ainsi qu’à des expositions collectives dans des institutions renommées : Judd Foundation, New-York (2023), PAC Milano, (2022), MAXXI, Rome (2021), elles au Centre Pompidou (2009) pour n'en nommer que quelques unes.
En 2025, la Moderna Galerija, Lubljana en Slovénie lui consacrera une exposition personnelle et cette année 2024 le Kunsthaus de Graz présentera une oeuvre monumentale en façade.
Galerie Peter KILCHMANN
11-13, rue des Arquebusiers
75003 Paris
https://www.peterkilchmann.com
Jours et horaires d’ouverture du mardi au samedi de 11h à 19h.