Abigail LANE « Doing Time »
Détail "Doing Time (Blackbird)", 2020 de Abigail LANE - Courtesy de l'artiste et de la Galerie SEMIOSE © Photo Éric Simon
Du 13 janvier au 9 mars 2024
La série exposée dans la project room chez Semiose, Doing Time, consiste en des broderies d’oiseaux insérées dans des boîtes fermées par des barreaux. Précédemment, toutes sortes d’animaux — chats, chiens, insectes, pandas, escargots… — ont été mis en scène dans vos œuvres, tour à tour moulés, filmés, photographiés, insérés dans des photomontages, singés avec des costumes ou encore momifiés. Quelle place accordez-vous à l’animal dans votre œuvre ?
Nous sommes également des animaux — le primate le plus répandu parmi toutes les autres espèces — mais nous nous arrogeons la supériorité sur les autres en employant, cultivant, manipulant et ordonnant leurs territoires. Nous avons toujours dépeint les animaux avec émerveillement, admiration et gratitude, mais aussi comme nos sujets, d’une certaine manière. Les animaux sont pris entre deux forces : leurs instincts comportementaux naturels et la volonté d’Homo sapiens de les dominer et de les contrôler. La domestication est un accord fascinant et complexe.
Presque tous les animaux représentés dans mes œuvres sont piégés d’une manière ou d’une autre : par la servitude d’un harnais, par le poids d’une couverture, par les limites d’un écran ou d’un cadre. Ils sont pris dans la lumière et le filet de leurs structures.
Je pense que nous sommes également tiraillés entre nos propres instincts et les cadres, les accords — l’armure que nous développons pour naviguer dans des relations et des sociétés viables. C’est compliqué et les niveaux de pensées semblent s’emmêler en chacun de nous. Mais peut-être avons-nous une vue oblique de nous-mêmes lorsque nous considérons les autres animaux ; si l’on observe leur état plus pur et plus innocent que le nôtre, les animaux nous tendent une sorte de miroir dans lequel leur apparence, leurs comportements et leurs contextes peuvent offrir un point de vue sur nos propres nuances physiologiques, nos dilemmes et nos situations.
"Doing Time (Great Tit)", 2020 de Abigail LANE - Courtesy de l'artiste et de la Galerie SEMIOSE © Photo Éric Simon
Ces oiseaux brodés sont représentés sans yeux, avec des fils pendants. La grande profusion de détails dans leur plumage leur donne une précision naturaliste. Il est évident que vous êtes perfectionniste, quel sens donnez-vous à tous ces détails ?
Les oiseaux de ma série Doing Time ont été principalement brodés pendant notre confinement [N. d. T. : Doing Time peut se traduire par « purger une peine » ou « faire de la taule »] — ironiquement provoqué par la pandémie que beaucoup estiment avoir été engendrée par les marchés aux animaux où l’horrible captivité et la maltraitance d’animaux sauvages se déroulent sous la dictée de l’homme.
Nous avons remarqué, et nous nous sommes réjouis, de la prolifération de la faune et des cris des oiseaux en ce printemps chaud, leur chant étant amplifié dans le silence de notre activité suspendue. Au même moment, nous avons appris que des personnes chantaient depuis les balcons de leurs maisons à Rome, et ailleurs. Puis des gens applaudissaient et frappaient perchés sur leurs perrons à travers le monde pour soutenir leurs travailleurs essentiels (qui étaient plus en danger mais moins confinés). Plus encore, ce nouveau comportement rituel a révélé que les gens ont besoin d’être entendus s’ils ne peuvent pas voir le monde comme la vie normale le permettrait.
"Doin g Time (Nightingale)", 2020 de Abigail LANE - Courtesy de l'artiste et de la Galerie SEMIOSE © Photo Éric Simon
Mes oiseaux n’ont pas d’yeux (ni de pattes) et ont été encadrés dans des structures qui sont à la fois des cages et des fenêtres, selon la position que l’on souhaite adopter. Les oiseaux peuvent être à la fois « eux » et « nous ». J’aime montrer les boîtes nichées dans des murs tapissés de sous-moquette en laine feutrée, fabriquée à partir de fragments recyclés de nos déchets matériels. Mon intention est de faire en sorte que l’espace de la galerie devienne une sorte de nid ou de cellule capitonnée, ce qui crée une confusion supplémentaire quant à notre propre position.
J’ai pris autant de soin que possible à maîtriser les fils avec lesquels les oiseaux ont été brodés et incrustés sur de petits morceaux de tissu — des fragments de vieilles taies d’oreiller ou de pyjamas. En revanche, j’ai laissé les fils de coton s’échapper, comme pour donner vie, mouvement, voix, potentiel et liberté à certains d’entre eux qui s’égarent entre les barreaux. Une fois installés dans leur monde en boîte, j’ai eu l’impression que ces fils imprévisibles devenaient des nids d’oiseaux, qui s’enroulaient et s’emmêlaient de leur propre chef.
"Doing Time (Song Trush)", 2020 de Abigail LANE - Courtesy de l'artiste et de la Galerie SEMIOSE © Photo Éric Simon
Vous avez toujours pratiqué une quantité considérable de techniques — parfois en collaboration avec d’autres — regroupées en installation, un art dans lequel vous excellez. La broderie est un geste apparu plus récemment dans votre pratique, comment s’insère-t-il dans le reste de votre corpus ?
À vrai dire, la broderie est née de raisons pratiques. C’est un processus qui nécessite très peu de matériel ou d’espace, il peut être réalisé n’importe où et à n’importe quel moment — les œuvres sont conservées suspendues à un rail ou peuvent être pliées. Enfin, ce processus ne nécessite pas d’attendre quoi que ce soit ou qui que ce soit d’autre. J’aime travailler avec d’autres personnes qui ont de l’expertise — et je le ferai toujours — mais la broderie se fait à mon propre rythme ; cela demande beaucoup de travail manuel, mais j’ai toujours un projet en cours. J’aime être autonome, c’est plutôt agréable. Je n’ai pas de formation en couture, ni d’aptitudes particulières, mais j’ai trouvé ma propre voie. Depuis l’école d’art, j’ai souvent utilisé du tissu d’une manière ou d’une autre.
"Doing Time (Blackbird)", 2020 de Abigail LANE - Courtesy de l'artiste et de la Galerie SEMIOSE © Photo Éric Simon
Vous l’avez remarqué, j’ai travaillé avec un grand nombre de matériaux différents et je ne donne pas plus de valeur à l’un ou à l’autre. C’est parfois le hasard et, en fin de compte, le processus de réflexion qui compte. J’utilise ce à quoi j’ai accès et qui m’entoure. Si c’est de la poussière d’aspirateur, un vieux pyjama et les poils de ma brosse, alors très bien, j’attends l’occasion de faire construire ou de mouler quelque chose par quelqu’un de plus compétent dans ce domaine.
Les similitudes se présentent même si vous pensez avoir ouvert une porte avec de nouveaux matériaux. La beauté d’être un artiste qui adopte des médias différents est que le travail répond en canalisant l’exploration dans de nouveaux domaines qui sont des spécialisations pour d’autres. Un processus de référence croisée commence lorsque quelque chose de nouveau est apporté au bercail, ce qui déclenche des liens entre les choses, de sorte que vous continuez à construire un entrelacs avec les pensées particulières qui vous définissent.
J’essaie de créer des œuvres qui ont quelque chose à offrir en elles-mêmes, mais au fur et à mesure qu’elles se développent, j’ai généralement à l’esprit des relations possibles avec d’autres œuvres, voire de multiples scénarios. Je pars toujours du principe qu’elles feront partie de ce qui les entoure et que tout doit être pris en considération. C’est le plaisir de construire des installations qui sont en elles-mêmes des expositions. Les œuvres individuelles, même quand elles sont les meilleurs des ingrédients, doivent encore être cuisinées pour faire un bon souper !
Galerie SEMIOSE
44, rue Quincampoix
75004 Paris
Jours et Horaires d’ouverture : Du mardi au samedi de 11h à 19h