Lucie PICANDET « Charnières »
Détail "Charnières", 2024 de Lucie PICANDET - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Georges Philippe et Nathalie VALLOIS © Photo Éric Simon
Du 6 mai au 1er juin 2024
« La médiocrité de notre univers ne dépend-elle pas essentiellement de notre pouvoir d’énonciation ? »
s’interrogeait André Breton Dans son Introduction au discours sur le peu de réalité, un essai poétique publié chez Gallimard en 1927.
C’est depuis cette identité postulée par Kant entre le langage et la faculté de connaître, également défendue par le philosophe du langage Ludwig Wittgenstein, que Lucie Picandet fonde un vaste projet de déconstruction esthétique qui en fait le procès. Travaillée par ce qu’il est possible d’exprimer, ou de faire voir, sa cosmologie picturale n’a rien d’une fantasmagorie hors sol.
Lucie Picandet fait au contraire le choix de s’enraciner dans l’organicité du corps qui nous relie à l’ensemble du vivant. Cette organicité échappe à toute saisie langagière, mais certainement pas aux effets de la parole, comme la psychanalyse nous l’enseigne.
"Parole de machiniste", 2023 de Lucie PICANDET - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Georges Philippe et Nathalie VALLOIS © Photo Éric Simon
"Du temps où le poète ne faisait que passer", 2023 de Lucie PICANDET - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Georges Philippe et Nathalie VALLOIS © Photo Éric Simon
Détail "Du temps où le poète ne faisait que passer", 2023 de Lucie PICANDET - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Georges Philippe et Nathalie VALLOIS © Photo Éric Simon
Détail "Du temps où le poète ne faisait que passer", 2023 de Lucie PICANDET - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Georges Philippe et Nathalie VALLOIS © Photo Éric Simon
Comment rétablir le déficit de réalité filtré par le langage, la logique, la raison discursive ?
En donnant symboliquement la parole à des entités fictives et non-humaines, comme par exemple le parasite, le radiolaire ou la chauve-souris, le gorille ou le poulpe, Lucie Picandet convoque un espace relativiste qui pourrait accueillir la multiplicité des mondes.
Ses compositions picturales baroques, toutes en circonvolutions et plis, ou fragmentées, faites d’emboîtements et de ruptures d’échelles se traduisant par des effets de loupe qui agrandissent les parties d’un tableau, ouvrent leur perspective sur l’infini (…). Cet ambitieux projet de connexion à une « perception corporelle», Lucie Picandet le déploie avec humour, tendresse et fantaisie.
"Ceux qui brûlent - Série des Incarnatrices (3",) 2024 de Lucie PICANDET - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Georges Philippe et Nathalie VALLOIS © Photo Éric Simon
"Mandragores", 2024 de Lucie PICANDET - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Georges Philippe et Nathalie VALLOIS © Photo Éric Simon
"Charnières", 2024 de Lucie PICANDET - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Georges Philippe et Nathalie VALLOIS © Photo Éric Simon
Elle le fait depuis l’écriture, en 2006, d’un poème au titre évocateur, « Le Grand Tanneur » et le déploie en tableaux dont les agencements de formes organiques se réfèrent au registre paysager et nous font circuler à l’intérieur d’un grand corps imaginaire. Mis à plat par une série de coupes inspirées des formes de planches anatomiques, ces corps ouverts comme des manteaux hébergent de multiples mondes dont les effets de capillarité se produisent toujours en lisière de paysage, à la limite entre l’extérieur et l’intérieur.
Dans ces « paysages intérieurs », Lucie Picandet décline en effet des analogies topographiques qui empruntent à l’écologie, à la notion de terre et d’humus, ainsi qu’à la médecine, à travers les notions de cosmétique et de symptôme, de surface et de profondeur, de guérison et de réparation.
"Générateur - Comment la lumière se fraie un chemin à travers les mondes obscurs durant la digestion d'un parasite cosmique à basse fréquence", 2021 de Lucie PICANDET - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Georges Philippe et Nathalie VALLOIS © Photo Éric Simon
"Le monde vu par des chauve-souris", 2022 de Lucie PICANDET - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Georges Philippe et Nathalie VALLOIS © Photo Éric Simon
Dans la « cité mythique souterraine » d’Agartha, peinture réalisée en 2022, et dont la grotte peinte cette année est peut-être le prolongement, « les gouttes de sueur de notre monde malade tombent pour y trouver une place de choix, elles sont serties à la manière de pierres précieuses ».
L’œuvre de Lucie Picandet semble ainsi toute entière travaillée par la notion platonicienne de « Pharmakon », réactivée par le philosophe Jacques Derrida afin de penser la dynamique paradoxale de l’expression écrite. Elle serait à la fois le lieu des maux et des guérisons, un poison et un remède, un exutoire addictif autant que libérateur.
"Sculpture Chirurgicale II", 2022 de Lucie PICANDET - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Georges Philippe et Nathalie VALLOIS © Photo Éric Simon
"Les Incarnatrices (2)", 2023 de Lucie PICANDET - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Georges Philippe et Nathalie VALLOIS © Photo Éric Simon
Ainsi, a-t-elle imaginé, au sein de cet univer pharmakologique imaginaire, animé par des réseaux de solidarité inter-espèces, Les Incarnatrices. « A l’inverse des plantes carnivores », elles permettent à des esprits, ou des idées, de transiter à travers leurs longues tiges nourricières pour se former, prendre corps, éclore en des fleurs à l’éclatante beauté. « Ce sont des machines de vie, à mi-chemin entre le totem (ou le sceptre) et l’alien. Elles expriment (…) le mystère de la phusis grecque : ce par quoi la vie croît ».
Si l’on veut bien se mettre sur le nez les lunettes multidimensionnelles, et multidirectionnelles, que nous tend Lucie Picandet, on verra comment l’extraordinaire minutie de ses peintures est une incitation poétique à suspendre les multiples constructions technologiques qui nous éloignent du monde sensible pour entrer de plain-pied dans une nature qui est aussi profondément la nôtre, y frayer son devenir avec la force de l’émerveillement renouvelé, et sans craindre ses désirs.
- Marguerite Pilven
Galerie Georges Philippe et Nathalie VALLOIS
33/36, rue de Seine
75006 Paris
www.galerie-vallois.com
Jours et Horaires d’ouverture : Tous les jours sauf le dimanche de 10h30 à 13h et de 14h à 19h.
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