My-Lan HOANG-THUY « NOTES »
"Autoportrait" de My-Lan HOANG-THUY - Courtesy de l'artiste et de la Galerie MITTERRAND © Photo Éric Simon
Du 23 mai au 27 juillet 2024
L’Auto-fiction de My-Lan
My-Lan Hoang-Thuy signe sa deuxième exposition personnelle à la galerie Mitterrand. Agée de 34 ans, l’artiste a transformé l’espace pour le rendre fiévreux : des peintures et des dessins en grand nombre recouvrent la quasi-totalité des murs de la galerie dans une juxtaposition exaltante, suintante et pourtant ciselée. Ici, une impression numérique de grand format sur support acrylique est disposée nue, à même le mur. Là, une déclinaison de dessins de têtes sur des pages volantes de carnet de croquis court rigoureusement sur une ligne de crête imaginée.
Plus loin, un collage se voit doté d’un cadre, rompant avec la dynamique d’un accrochage compulsif que laisse transparaître le reste de l’exposition.
"Sans titre" de My-Lan HOANG-THUY - Courtesy de l'artiste et de la Galerie MITTERRAND © Photo Éric Simon
La grande majorité de ses œuvres datent de 2023, une année marquée par sa résidence à Montmartre et deux expositions majeures, où l’on a pu découvrir l’artiste « et les garçons » ainsi que son usage hybride de la photographie. Et c’est sans doute en réponse ou en réaction à ces trois évènements qu’il convient de voir la genèse d’une telle proposition, aujourd’hui accueillie avec audace par la galerie.
My-Lan Hoang-Thuy et les garçons. Ou plutôt : My-Lan et le Boys Band. Ce titre décomplexé marque l’inscription de la jeune artiste au sein du panthéon des plus grands noms de l’art moderne et contemporain. Lors de cette exposition chez Christies de 8 au 21 septembre 2023, on y rencontrait les œuvres de My-Lan dans un subtile dialogue avec celles de ces « pères/pairs » : Lee Ufan, Victor Hugo, Pierre Bonnard, Kai Althoff mais aussi l’atelier de Wiliam Morris.
Dans une salle isolée, à l’abri des regards, l’artiste avait disposé des reproductions de ses dessins d’adolescence dont la teneur ne peut qu’attendrir. De timides et joyeux dessins des Spice Girls, encadrés pour l’occasion, arboraient le statut de confession.
Vue de l'exposition de "Sans titre" de My-Lan HOANG-THUY - Courtesy de l'artiste et de la Galerie MITTERRAND © Photo Éric Simon
À cet endroit précis, en septembre 2023, My-Lan livrait déjà une autre partie d’elle-même. Elle se racontait par son entourage fantasmé (le Boys Band) et par un geste adolescent qui se caractérise par une relecture des affects et des mythes propres à l’âge tendre et ingrat.
Sa nouvelle exposition à la galerie Mitterrand en est le délicieux prolongement. Les Spice Girls, autrefois plongées dans le noir d’une salle capitonnée, sont sorties de leur feuille de papier. Elles sont réunies sous chaque facette de My-Lan Hoang-Thuy qui tire parti de son impertinence pour proposer un accrochage d’une immense vi-ta-li-té. Disons-le clairement, l’âge est une affaire d’humeur et la galerie s’apparente aux murs d’une chambre d’adolescente. Mais ici, My-Lan ne joue pas les jeunes filles. Elle expose au contraire sa grande érudition dont le vocable s’attarde sur l’art de la composition murale qui renoue avec l’esprit fiévreux des accrochages fan-art et celui des collectionneurs de reproduction du XIXème siècle. Mieux encore, l’érudition se tourne vers l’artiste elle-même qui ne s’encombre plus de figures tutélaires. La star, c’est elle. Le cadre serré sur son visage relevé, elle nous regarde fièrement dans l’un de ses sur acrylique.
Avec cette œuvre, My-Lan délaisse partiellement la représentation de son propre corps pour se concentrer sur son visage et la corporéalité de sa peinture qui fait cas de l’image venant « tatouer » la matière. L’artiste habite pleinement sa peinture, tout comme elle habite et module sa lumière, à commencer par celle de son atelier à Montmartre qui l’inonda en 2023.
"Sans titre", 2023"Sans titre" de My-Lan HOANG-THUY - Courtesy de l'artiste et de la Galerie MITTERRAND © Photo Éric Simon
Vue de l'exposition de "Sans titre" de My-Lan HOANG-THUY - Courtesy de l'artiste et de la Galerie MITTERRAND © Photo Éric Simon
Deux peintures « d’atelier » sont exposées au-dessus du visage de My-Lan en gloire – Autoportrait (1). Respectivement Montmartre 6 et Montmatre 3, elles représentent des morceaux de lueur, émanant d’une porte ou d’une fenêtre, que l’artiste a photographié depuis son ancien studio « encerclé de verdure ». Ce passage à l’atelier d’Art Explora aurait-il fait coïncider davantage sa peinture de la photographie (medium de la lumière) avec celle de la peinture au point où cette dernière absorberait l’image ? Il faut croire que oui. Les nouvelles peintures ici proposées sont gorgée de lumières qui émane de la matière picturale : lumière septentrionale, lumière métallique, lumière ectoplasmique et lumière iridescente.
À la différence de Montmartre 6 et Montmatre (3), les oeuvres Steppu et Trousseau Crème transfigurent la vibration lumineuse qui n’est plus l’affaire d’une représentation. Elles entretiennent en cela une affinité involontaire avec le scintillement les toiles d’Anna Eva Bergman, et plus particulièrement ses murs de roches, exécutées au retour de son voyage dans la nature Norvégienne à la fin des années 60.
Si cette référence n’est pas recherchée par la jeune artiste, elle apporte néanmoins une notion importante autour de la peinture comme espace vibratoire et support de l’indicible. C’est d’ailleurs une particularité partagée par Lee Ufan au sujet de son propre travail : faire l’expérience de la peinture c’est aussi ressentir sa vibration qui remplit l’espace et reconnaître sa résonnance. Solo Rose, la plus petites des œuvres de l’exposition, opère comme gardienne de cette vibration : des traces de pastel gras jonche une parcelle d’aquarelle sur papier adhésif. La surface scintille et ouvre vers l’au-delà du visible, vers l’au-delà du dicible, voire vers le transitoire. My-Lan Hoang-Thuy, comme Lee Ufan, se placerait du côté de ces choses destinées à être effacées.
Vue de l'exposition de "Sans titre" de My-Lan HOANG-THUY - Courtesy de l'artiste et de la Galerie MITTERRAND © Photo Éric Simon
Vue de l'exposition de "Sans titre" de My-Lan HOANG-THUY - Courtesy de l'artiste et de la Galerie MITTERRAND © Photo Éric Simon
My-Lan récupère et transforme ce qui tombe dans l’oubli. Mais peut-on recycler un souvenir comme on régénère une chaussette ? Gratin Gratiné (2022) porte cette étrange promesse. Un morceau de tissus d’une ancienne chaussette de son compagnon sert de support à une impression numérique où l’on croit reconnaître la silhouette étrange d’une femme. Le tissu n’est pas une simple coïncidence ou une anecdote matérielle. Il est la preuve même que My Lan s’emploie à réveiller le délaissé en lui attribuant une parure. D’autres œuvres de l’exposition attestent de son art sage du réemploi : Qui Aime L’Hiver (2019) et 24 candidats (2022). Le premier signale dans la légende l’utilisation de carton d’emballage et de rouleau de papier toilette. Le second n’indique rien de très bavard sur les matériaux du quotidien employés (Encre de Chine, aquarelle et peinture acrylique sur papier). Pourtant il résulte d’une même technique de collecte et de mise en attente.
Les trois parties (le dessin, le fond délavé et le morceau de rouge) ont été confectionnées à différents moments de la vie de l’artiste, puis préservées individuellement dans des boites. Après quelques mois de maturation, l’artiste les utilise, juxtaposant ces différentes parcelles visuelles dans un geste qui s’apparente à un « surgissement de l’auto-fiction ». Ce terme définit non seulement les conditions de naissance de l’œuvre mais aussi l’aptitude de My-Lan à se raconter elle-même au travers de matériaux hétéroclites. Appliquée à l’échelle de l’exposition, ce terme définirait même l’ensemble de son geste curatorial : combinaison de matériaux éparses dans une optique autobiographique où My-Lan prend le contrôle de sa narration.
Vue de l'exposition de "Sans titre" de My-Lan HOANG-THUY - Courtesy de l'artiste et de la Galerie MITTERRAND © Photo Éric Simon
"Sans titre", 2022 de My-Lan HOANG-THUY - Courtesy de l'artiste et de la Galerie MITTERRAND © Photo Éric Simon
Lors de nos derniers échanges, My-Lan m’exposait son problème d’une peinture d’après modèle en carence de « fond de tripes ». Cette remarque se portait sur l’une de ses œuvres (Pull Marvin, 2023) qui représentait au départ le portrait de son compagnon dont il ne reste désormais qu’un morceau de pull dans le coin en haut à droite. Ce propos dépasse la description d’une seule œuvre puisqu’elle s’adapte à l’ensemble de son nouveau travail dans lequel elle cesse de « jouer les modèles ».
L’artiste est effectivement connue pour générer des autoportraits photographiques dénudés : des poses d’elles-mêmes pour elle-même qu’elle développe aux côtés d’une pratique récurrente de modèle. Mais l’exercice de la nudité se fait de plus en plus rare (son exposition à la Maison Européenne de la Photographie marquait déjà ce premier pas de côté). Le dessin l’aurait substitué car il participe, selon l’artiste, d’une véritable mise à nu. Au cœur de cette exposition, il est ici triomphant dans une nudité qui n’ose dire son nom.
Ces têtes dessinées par dizaines cohabitent avec une peinture qui semble avoir franchi résolument le pas d’une matière comme thème : c’est elle qui dessine le motif, relevant des niveaux de profondeurs et de lumière. À ce titre, My-Lan agit comme sa peinture. Elles empruntent des chemins de vie parallèle : elles tirent un trait sur l’espace de la représentation pour habiter pleinement le corps de la peinture qui se dicte à elle-même. Ce que nous voyons en cascade sur l’ensemble de ces murs porte alors le nom de roman.
- Julia Marchand
Galerie MITTERRAND
79, rue du Temple
75003 Paris
Jours et horaires d’ouverture: du mardi au samedi de 11h à 19h.
My-Lan HOANG-THUY "Belle Orchidée, Pissenlit Passable" - ACTUART by Eric SIMON
"Insert (notes)", 2021 de My-Lan HOANG-THUY - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Mitterrand Paris © Photo Éric Simon Du 10 février au 10 avril 2022 Dans la langue vietnamienne, le prénom de...
http://www.actuart.org/2022/03/my-lan-hoang-thuy-belle-orchidee-pissenlit-passable.html