Nicole TRAN BA VANG / François BARD « Habiter le trouble »
"Le Monarque", 2024 et "Symbiote #3", 2023 de François BARD / Nicole TRAN BA VANG - Courtesy des artistes et de la Galerie Olivier WALTMAN © Photo Éric Simon
Du 6 novembre au 14 décembre 2024
Une perspective étrange vient ronger l’horizon paisible. Ce n’est pas la rougeur d’un soleil couchant mais un feu qui colore l’arrière-plan d’un paysage qu’on croyait innocent (Palimpseste). Les vivants non-(exclusivement)humains qui s’y trouvent consumés ou qui nous regardent comme s’ils s’avançaient pour nous demander des comptes, montrent un regard étrangement inquiétant, familier mais surgissant d’un corps étranger, à l’image de ce non-(seulement)chien (Humanimal) à l’oeil anthropomorphe. Et pour seuls abris, une construction en bord de route qu’un tsunami va dévorer (Tout au bout)…
"Le pas sage du cerf", 2024 et "Symbiote #4", 2023 de François BARD / Nicole TRAN BA VANG - Courtesy des artistes et de la Galerie Olivier WALTMAN © Photo Éric Simon
Le trouble s’installe, dit-on.
Mais le trouble dont il est question ici, dans les oeuvres en dialogue – ou co-réalisées - de Nicole Tran Ba Vang et François Bard, n’est pas de ceux qui nous gagnent pour ensuite se dissiper, comme un nuage de poussière dont retombent les particules. Car le trouble est désormais le nom du lieu que nous habitons ; il est là où nous devons nous installer. Pas un état passager qui nous affecte, donc, mais un mode d’être qui devient notre concept, autrement dit ce qui nous définit en tant qu’humain.
"Symbiote #1", 2023 et "Mi Amor", 2024 de Nicole TRAN BA VANG / François BARD - Courtesy des artistes et de la Galerie Olivier WALTMAN © Photo Éric Simon
Le travail de Nicole Tran Ba Vang, en relation avec les peintures de François Bard, joue ce jeu du trouble, en tissant et en connectant les éléments hétérogènes d’une réalité monstrueuse et chimérique. Comme le dit encore la philosophe et biologiste américaine Donna Haraway, la régénération du monde passe sans doute par le fait de prêter attention aux « promesses des monstres » qui l’habitent.
Comme les promesses émanant de ces peluches hybrides à visages humains venues d’un jardin d’enfants apocalyptique, photographiées à la manière « Harcourt » (série Symbiotes). Ou celles des traits humains qui imprègnent par endroits le portrait filmé d’un cerf (Portrait). Loin d’un anthropomorphisme rassurant, l’expression de ces êtres crée l’ambiguïté.
Cet étrange cerf est aussi un roi sorti du bois dans une toile de François Bard (Le Monarque), figure de souverain métamorphosé, en attente d’un nouveau royaume, et personnage disponible pour de nouveaux mythes.
"Métamorphose", 2024 et "Symbiote #1", 2023 de François BARD / Nicole TRAN BA VANG - Courtesy des artistes et de la Galerie Olivier WALTMAN © Photo Éric Simon
À l’image également de ce chien fétichisé, figure « puppy play » d’une libido cultivant son animalité et ironisant sur les rapports de domination (Métamorphose). Les métamorphoses inquiètent en déstabilisant les identités, mais elles promettent aussi d’heureuses plasticités, où le corps danse entre les formes de vie, comme chez cet être où l’humanité entre en symbiose avec une fougère et un papillon, lui aussi monarque d’un nouveau genre (Re-Member).
Les promesses de ces figures ne correspondent plus aux lignes droites d’une histoire téléguidée, mais dessinent un enchevêtrement confus de fils.Here comes the sun (« Voici venir le soleil »)… The best is yet to come (« Le meilleur est encore à venir »), Good things are coming (« Les bonnes choses vont arriver»), The endless summer («L’été sans fin»)… la modernité triomphante, qui s’inquiétait déjà de la précarité du progrès dans les années 1970, inscrivait alors ces slogans prometteurs sur les vêtements, comme pour conjurer le doute à propos de l’avenir (Whitsleblowerflowerpower).
"Humanimal", 2023 - "Symbiote #2", 2023 et "Tout au bout", 2023 "Symbiote #1", 2023 et "Mi Amor", 2024 de Nicole TRAN BA VANG / François BARD - Courtesy des artistes et de la Galerie Olivier WALTMAN © Photo Éric Simon
Ces messages d’apparence innocente, prennent dans les formats choisis par l’artiste une allure revendicative. Comment si le changement de lumière de l’époque leur conférait une dimension politique. Nicole Tran Ba Vang déploie l’effet d’annonce contrefactuel de ces slogans, tout en prenant soin de l’espoir prêt à porter qui, malgré tout, les fait encore tenir. Jusqu’à quand ?
L’artiste révèle le doute qui mine leur insouciance en retravaillant ce langage textile à partir de fils photosensibles. Tricotés en monochromes, leurs messages se font « lanceurs d’alerte » quand, frappés par les UV du soleil, ils deviennent lisibles : The End,That’s all Folks!… (série Whitsleblower).
Il y a des mots parfois également sur les toiles de François Bard, comme des symboles sur des cartes non encore jouées, comme le titre d’une histoire non encore écrite, ou d’un film dont n’existerait pour l’instant que l’affiche.
"Got out", 2024 - "Symbiote #6", 2023 et "Oural", 2024 "Symbiose #1", 2023 et "Mi Amor", 2024 de Nicole TRAN BA VANG / François BARD - Courtesy des artistes et de la Galerie Olivier WALTMAN © Photo Éric Simon
C’est alors la vivacité du geste pictural qui donne corps au devenir des habitants du trouble qui nous font signe, depuis les zones d’ombre qu’il nous faut traverser pour les rencontrer. Les contours parfois inquiétants du visible ne sont pas tenus ici par la chair d’une pâte colorée où la « touche » du peintre confèrerait à l’image une réalité tactile.
Les formes visuelles se tiennent plutôt ici en couches fines, diluées au bord de la coulure, comme si ce qui nous apparaissait naissait d’un jet saisi dans le flux de l’imaginaire, courant océanique où tout est liquéfié pour préparer les apparitions. Reliant des mondes et des histoires plurielles pour faire émerger des temps autres, des lieux autres, le dialogue des deux artistes explore, à travers des langages différents, des lieux du possible, nécessairement hybrides. Here comes the Trouble.
- David Zerbib : Philosophe et critique d’art
Paris, juin 2024
"L'homme à la pie", 2023 et "Symbiote #7", 2023 de François BARD / Nicole TRAN BA VANG - Courtesy des artistes et de la Galerie Olivier WALTMAN © Photo Éric Simon
Serie "Whistleblowerpowerflower", 2024 de Nicole TRAN BA VANG - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Olivier WALTMAN © Photo Éric Simon
François BARD est né en 1959 à Lille, diplômé des Beaux-Arts de Paris et ancien pensionnaire de la Casa Velasquez de Madrid, François Bard puise son inspiration dans une proximité quotidienne. Influencé par la grande tradition de la peinture classique comme par le cinéma contemporain, il combine un sens appuyé des jeux d’ombres profonds et un goût pour les cadrages serrés.
Avec des formats imposants, sa peinture figurative sacralise l’ordinaire et joue avec la richesse des matières. François Bard n’a cessé de légitimer l’acte de peindre et de le rendre crédible. Il peint son entourage en confrontant le classique et le contemporain, le figuratif et l’abstrait.
Nicole TRAN BA VANG Artiste plasticienne d’origine vietnamienne, est née en 1963 à Villeneuve sur Lot, vit et travaille à Paris) s’est d’abord fait connaître avec des images paradoxales dans lesquelles elle pare ses modèles d’étranges «habits de nudité» interrogeant ainsi le culte de l’apparence et ce qu’il dévoile de nos préoccupations identitaires. S’inspirant des stéréotypes et des préjugés des médias de masse, elle explore les fantasmes consuméristes d’une société de l’image et sonde son influence sur nos goûts, nos valeurs, nos corps et nos esprits.
Galerie Olivier WALTMAN
16, rue du Perche
75003 Paris, France
Jours et horaires d’ouverture : du mardi au samedi de 11h à 19h.