Nikki MALOOF « Around the Clock »
Détail "The First Supper", 2024 de Nikki MALOOF - Courtesy de l'artiste et de la galerie PERROTIN - Paris © Photo Éric Simon
Du 23 novembre 2024 au 25 janvier 2025
« Et avec quel corps reviennent-ils ? »
— Ainsi c'est qu'ils reviennent
— Réjouis-toi ! Quelle porte — quelle heure — cours — cours
— mon âme ! Illumine la maison !
Emily Dickinson
Vivre avec la peinture, à travers elle. Pour Nikki Maloof, c’est une façon d’organiser le temps, de l’habiter et d’occuper des espaces, ceux d’une maison, d’un jardin, d’un atelier. Quand les sphères privées et publiques s’enchevêtrent en une tension et une inquiétude persistantes, peindre lui permet de capter l’essence même des choses et des êtres pour avouer le trouble humain.
"Dinner Discussion", 2024 de Nikki MALOOF - Courtesy de l'artiste et de la galerie PERROTIN - Paris © Photo Éric Simon
Détail "Dinner Discussion", 2024 de Nikki MALOOF - Courtesy de l'artiste et de la galerie PERROTIN - Paris © Photo Éric Simon
Avec son exposition Around the clock, Nikki Maloof explore la diversité et la complexité de la vie matérielle et sensible. Chacune des scènes domestiques représentées montre la profondeur du quotidien pour partager une intimité, celle de ses joies, espoirs ou de ses peurs.
Offrant une lecture originale de la nature morte pour réfléchir à l’état de notre monde (1), sa peinture audacieuse, mélange de beauté, de malice et de noirceur, remet en perspective notre relation avec l’instabilité de la vie. Alors qu’une chose en contient tant d’autres, tout ce qui reconditionne notre lien au temps (re)productif (le travail, la parentalité,…) participe à la densité émotionnelle de ses œuvres.
"Midnight Romance", 2024 de Nikki MALOOF - Courtesy de l'artiste et de la galerie PERROTIN - Paris © Photo Éric Simon
Détail "Midnight Romance", 2024 de Nikki MALOOF - Courtesy de l'artiste et de la galerie PERROTIN - Paris © Photo Éric Simon
Déjà, au 19ème siècle dans l’austérité puritaine de la Nouvelle Angleterre, Emily Dickinson, solitaire et recluse dans la maison familiale, avait décrit, avec une modernité bouleversante, le tumulte de la vie intérieure, sentimentale, parfois mystique. Sa poésie, son écriture concise, elliptique, « explosive et spasmodique » selon ses termes, lui permit de se faire homme, femme, animal, objet.
Quittant la grande ville américaine par choix, Nikki Maloof vit désormais à la campagne à l’ouest du Massachusetts. Dans ses récentes peintures, elle se focalise sur certaines étapes vitales, comme celles de se nourrir, se laver, discuter, dormir. Des moments récurrents qui participent au processus de construction de notre identité. « Dans la sphère privée, à l’abri des regards, au plus près des désirs, des faiblesses, des rapports de forces intimes »(2), l’art d’habiter s’affranchit du regard social en dessinant une géographie tant personnelle que relationnelle.
Si la maison est un monde en soi (3) , une chambre à coucher, une salle de bain, une salle à manger, un jardin ou une cuisine deviennent l’expression spatiale de notre conscience.
"The Cut", 2024 de Nikki MALOOF - Courtesy de l'artiste et de la galerie PERROTIN - Paris © Photo Éric Simon
Ce sont ces paysages intérieurs et extérieurs dans lesquels des actes, des actions simples quotidiennes se déroulent (The Cut, Dinner Discussion).
Les mains y jouent un rôle primordial, à la fois agissantes, affectueuses parfois menaçantes. Dans Cosleep at Dawn, mère- artiste et enfant se retrouvent enlacés dans le lit dans un moment de douceur partagée. Alors que la chambre, lieu symbolique et charnel, dit l’histoire du corps et son rapport aux choses (4) , cette peinture, aux couleurs rosées et rougeoyantes, invoque notamment l’oeuvre Couple in Bed (1977) de Philipp Guston avec son style proche de la bande dessinée.
Entre plaisir et douleur, alors que peindre sinon l’énigme?
s’interrogeait-il pour évoquer les aspects les plus sombres de l’être.
"Cosleep at Dawn", 2024 de Nikki MALOOF - Courtesy de l'artiste et de la galerie PERROTIN - Paris © Photo Éric Simon
C’est donc en se peignant au lit avec sa femme à la manière du baiser de Brancusi que Guston représenta un instant de grande tendresse empli de noirceur afin de souligner la part absurde de la condition humaine. Dans cette même perspective, les oeuvres de Nikki Maloof se chargent d’un pouvoir psychologique en combinant le personnel et le politique, l’humour et le tragique.
Sa peinture s’affirme par ce dialogue constant avec d’autres artistes et repousse les limites du temps en charriant tant et tant de références artistiques anciennes et actuelles.
"The First Supper", 2024 de Nikki MALOOF - Courtesy de l'artiste et de la galerie PERROTIN - Paris © Photo Éric Simon
"Girlhood", 2024 de Nikki MALOOF - Courtesy de l'artiste et de la galerie PERROTIN - Paris © Photo Éric Simon
L’omniprésence des plantes, des fleurs, des insectes ainsi que les agencements d’intérieurs conversent avec la peinture de la Renaissance flamande et italienne tout en se libérant de certains codes (The First Supper, Other, Girlhood) ou encore avec l’impermanence de la vanité, représentations allégoriques de la fugacité de nos existences.
Apportant un regard actuel sur la domesticité, Nikki Maloof s’éloigne d’une vision strictement androcentrée et anthropocentrée. Alors que les frontières entre les espèces et les règnes sont brouillées par un régime d’égalité entre les choses ordinaires et les êtres, elle construit une œuvre de l’attachement et du détachement.
- Marianne Derrien, critique d’art et commissaire d’exposition indépendante
1. Laurence Bertrand Dorléac, Les Choses, Une histoire de la nature morte, Musée du Louvre, Ed. Lineart, 2022
2. Mona Chollet, Chez soi, Une odyssée de l’espace domestique, Éditions La Découverte, 2015
3. Ibid., p. 66
4. Michelle Perrot, Chambre in Les Choses, Une histoire de la nature morte, Musée du Louvre, Ed. Lineart, 2022, p. 309
"Weeping Woman 2", 2024 de Nikki MALOOF - Courtesy de l'artiste et de la galerie PERROTIN - Paris © Photo Éric Simon
"Climbing Rose", 2024 de Nikki MALOOF - Courtesy de l'artiste et de la galerie PERROTIN - Paris © Photo Éric Simon
Nikki MALOOF est née à Peoria, Illinois. Elle vit et travaille à South Hadley, Massachusetts, USA.
Les toiles de Nikki Maloof représentent le monde qui se cache au sein de l’esprit. Des intérieurs et animaux imaginaires deviennent des intermédiaires de l’expérience humaine. Ses sujets expriment une solitude existentielle, mais l’humour, une gestion capricieuse de la peinture et l’utilisation d’une palette saturée viennent la contrebalancer.
Un gribouillis représentant de la viande hachée, un miaulement de chat pris à tort pour un hurlement, ou bien un poisson à l’air blasé comique dont on lève les filets sous nos yeux : tout cela attire l’attention du spectateur sur la dimension mélancolique et parfois brutale de l’univers visuel proposé. Parallèlement, l’application de la peinture et les couleurs tentent de fortement minimiser le caractère sombre de ces images. Ce mélodrame auto-résolu souligne une vision ambivalente de l’existence, le besoin de rire et de pleurer, en même temps s’il le faut.
Galerie PERROTIN
76 rue de Turenne
75003 Paris
France
Jours et horaires d’ouverture : du mardi au samedi de 11h à 19h.