Daniel Richter: Voyage, voyage
La galerie Thaddaeus Ropac présente pour la deuxième fois une exposition personnelle de Daniel Richter, une exposition qui est son premier solo-show en France depuis plus de dix ans.
Sous le titre Voyage, Voyage, l’exposition réunit des œuvres qui donnent à voir d’énigmatiques figures, typiques chez Richter, que l’artiste a plongées dans une lumière artificielle sur un fond parcouru ici et là par des lignes évoquant des courbes sismographiques qui s’enchevêtrent en d’étranges interactions et agissent à la manière d’acteurs sur scène.
Le nouveau groupe d’œuvres de Richter se distingue d’une part par un style graphique qui rappelle l’esprit des Sécessions et une application d’un fin glacis de peinture, et de l’autre, par un nouvel intérêt pour l’univers symboliste de la période autour de 1900, le mysticisme d’Odilon Redon et les compositions de Félix Vallotton où dominent les contrastes entre plans noirs et blancs. On y discerne également des emprunts à la bande dessinée, au dessin animé et au graffiti. Dans ses peintures à l’huile, Richter allie l’histoire de l’art aux cultures médiatiques et populaires.
Le titre de l’exposition est un hommage ironique au tube de Desireless de la fin des années quatre-vingt.
Les figures des dernières œuvres du peintre sont souvent debout, isolées dans de vastes paysages où elles semblent vivre un sublime moment contemplatif. Nul ne sait s’il s’agit de musiciens ou de guerriers.
Ils pourraient être des voyageurs en quête d’une destination oubliée depuis longtemps, leur but reste incertain. Sur certains tableaux prédomine un dynamisme qui s’étend non seulement aux figures mais aussi aux champs picturaux ; sur d’autres, de noires silhouettes ressemblant à des tâches d’encre encerclent un décor de montagnes.
« Il n’y a finalement aucune différence entre la peinture abstraite et la peinture figurative — hormis certaines formes de décodage. Mais les problèmes d’organisation des couleurs et des plans restent à vrai dire toujours les mêmes. Dans les deux cas, c’est la même méthode qui s’insinue sous diverses formes », disait Daniel Richter en 2004 pour expliquer son passage de l’abstraction à la figuration — un tournant personnel qu’il opéra au début des années 2000. De 1992 à 1996, Daniel Richter étudie à l’Ecole des Beaux-Arts de Hambourg, auprès de Werner Büttner, en même temps que Martin Kippenberger, l’un des protagonistes de la renaissance de la picturalité expressive des années 80.
Parallèlement, le jeune peintre travaille aussi comme assistant d’Albert Oehlen. Les œuvres du début sont des tableaux abstraits dont l’intensité chromatique rappelle l’univers formel psychédélique et évolue entre graffiti et entrelacs ornementaux ; en cela, il s’inspire autant du surréalisme et de l’underground que des formes étirées et entremêlées du maniérisme italien.
A partir de l’année 2000, des scènes en grands formats peuplées de nombreuses figures voient le jour, souvent inspirées d’illustrations de journaux, magazines et livres d’histoire. Elles montrent combats et menaces, tout en étant contemplatives. Le passage de Richter à la figuration fut à plusieurs reprises célébré comme une renaissance du tableau d’histoire. Pourtant, alors que le tableau d’histoire classique mise sur une narration picturale d’une lisibilité sans équivoque dans le but de légitimer le présent en se référant à l’historique, les œuvres de Richter traitent de l’échec des utopies sociales.
« Ce qui m’a intéressé est de voir comment se référer au monde et à l’image du monde tel que je veux le percevoir et le décrire »
Richter, 2007.
Si l’on considère le style de Richter jusqu’à présent, force est de constater une pratique artistique « où il s’agirait de mener le tableau vers une profusion de couleur et de picturalité » (Roberto Ohrt, 1997), cette caractéristique étant toutefois atténuée, dans ce dernier cycle d’œuvres, pour laisser place à une plus grande tonalité. Dans ce contexte, le peintre symboliste James Ensor et le pionnier de l’expressionnisme qu’était Edvard Munch pourraient être considérés comme les ancêtres de Daniel Richter. Mais en même temps, il est aussi redevable à la peinture d’Albert Oehlen et de Kippenberger pour son rôle démystificateur du tableau peint. Bon nombre d’œuvres de Daniel Richter sont des devinettes, des jeux avec de pathétiques formules historiques que le spectateur nourrit avec sa connaissance et l’idée qu’il se fait de la politique et de la culture pop.
La lumière est un autre aspect majeur de la peinture de Daniel Richter. Des notes de blanc réparties sur toute l’image génèrent des rehauts, créent des éclats lumineux. « Les tableaux de Richter sont une peinture lumière, non pas toutefois au sens d’un clair-obscur évocateur ou d’un plein-airisme, mais en tant qu’expérimentation de formes lumineuses contemporaines » (Christoph Heinrich, 2007). La représentation de la lumière artificielle, du flash, de la lumière chaude et de l’image radiographique évoque l’atmosphère d’artifice, la nervosité. Le thème de la surveillance totale semble être un leitmotiv dans l’œuvre de Richter : L’association aux caméras thermiques à infrarouge utilisées pour la surveillance des frontières s’impose et révèle la présence d’un regard paranoïde.
Les sujets des tableaux de Richter suggèrent la présence d’un contenu politique qui n’est pas précisé dans le détail. Des événements dont on ignore « s’ils ont été transmis par les médias ou par l’observation personnelle semblent plutôt servir d’écran sur lequel Richer projette des images intérieures dont l’origine reste cachée au spectateur » (Fritz W. Kramer, 2002) . Daniel Richter joue avec plaisir avec l’iconographie des gestes politiques radicaux.
La socialisation de Richter dans l’ambiance politique de squats de Hambourg se répercute dans les motifs de son œuvre, tandis que son immense succès institutionnel (la Kunstsammlung Nordrhein- Westfalen de Düsseldorf et la Hamburger Kunsthalle lui ont consacré d’importantes expositions personnelles en 2004 et 2007) et sous les lustres du marché international de l’art contrastent avec ce passé. L’ambivalence du Richter du milieu de l’art où se retrouvent la bourgeoisie et l’establishment et celui de la tradition de gauche, est pour la presse une contradiction intéressante souvent relevée.