Expo Photographie Contemporaine: Henri CARTIER-BRESSON « Rétrospective »
Du 12 février au 9 juin 2014
GALERIE 2 , NIVEAU 6
À travers plus de cinq cents photographies, dessins, peintures, films et documents, le Centre Pompidou con- sacre une rétrospective inédite à l’œuvre d’Henri Cartier-Bresson, la première en Europe depuis la disparition de l’artiste. Il invite le public à parcourir plus de soixante-dix ans d’une œuvre qui impose le photographe com- me l’une des figures majeures de la modernité.
SALLE 1
Préambule
« J’ai toujours eu une passion pour la peinture, écrit Cartier-Bresson. Étant enfant j’en faisais le jeudi et le dimanche, j’y rêvais les autres jours. » Le jeune garçon commence très tôt à dessiner. Il agrémente ses lettres de petits dessins et remplit des carnets de croquis. À la même époque, il commence à photographier, en amateur. Dès le milieu des années 1920, il peint régulièrement auprès de Jacques-Émile Blanche ou de Jean Cottenet avant d’intégrer l’académie d’André Lhote. Ses plus anciennes peintures qui aient été conservées datent de 1924. Elles portent la trace évidente de l’influence de Paul Cézanne. Dans l’atelier d’André Lhote, le jeune homme contracte le virus de la géométrie. Les toiles qu’il peint entre 1926 et 1928 sont très soigneusement composées selon les principes du nombre d’or. Au même moment, Cartier-Bresson commence à fréquenter les surréalistes et à réaliser des collages dans l’esprit de son ami Max Ernst.
SALLE 2
Signes ascendants
L’œuvre photographique d’Henri Cartier-Bresson est le produit d’un ensemble de facteurs combinés : une certaine prédisposition artistique, un apprentissage assidu, un peu d’air du temps, des aspirations person-nelles, beaucoup de rencontres. Elle voit le jour dans les années 1920, sous le double signe de la peinture et de la photographie pratiquées en amateur, puis se développe à travers quelques moments fondateurs comme le voyage en Afrique en 1930-1931. Elle porte la trace de son amour de l’art, des heures passées à lire ou à regarder la peinture dans les musées. Elle a été profondément marquée par l’ensei-gnement d’André Lhote et la fréquentation de ses amis américains : Julien Levy, Caresse et Harry Crosby, Gretchen et Peter Powel. Auprès du premier, il s’initie aux plaisirs de la composition. En compagnie des seconds, il découvre les photographies d’Eugène Atget et celles de la Nouvelle Vision. Le premier Cartier-Bresson est le produit de ces diverses influences : c’est une complexe alchimie.
SALLE 3
L’attraction surréaliste
Par l’intermédiaire de René Crevel, rencontré chez Jacques-Émile Blanche, Cartier-Bresson commence à fréquenter les surréalistes vers 1926. « Trop timide et trop jeune pour prendre la parole », comme il le racontera plus tard, il assiste « en bout de table » à quelques réunions autour d’André Breton dans les cafés de la place Blanche. De ces fréquentations, il retiendra quelques motifs emblématiques de l’imaginaire sur- réaliste : les objets empaquetés, les corps déformés, les rêveurs aux yeux clos, etc. Mais plus encore, c’est l’attitude surréaliste qui le marque : l’esprit subversif, le goût du jeu, la place laissée à l’inconscient, le plaisir de la déambulation urbaine, une certaine prédisposition à accueillir le hasard. Cartier-Bresson sera particu-lièrement sensible aux principes de la beauté convulsive énoncés par Breton et ne cessera de les mettre en œuvre au cours des années 1930. De ce point de vue-là, il est sans doute l’un des photographes les plus authentiquement surréalistes de sa génération.
SALLE 4
L’engagement militant
Comme la plupart de ses amis surréalistes, Cartier-Bresson partageait nombre des positions politiques des communistes : un farouche anticolonialisme, un engagement sans faille auprès des républicains espagnols et une profonde croyance dans la nécessité de « changer la vie ». Après les violentes émeutes organisées en février 1934, à Paris, par les ligues d’extrême-droite, qui sont à l’époque perçues comme un risque d’extension à la France de la montée en puissance du fascisme européen, son engagement devient plus tangible. Il signe alors plusieurs tracts d’« appel à la lutte » et d’« unité d’action » des forces de gauche. Au cours de ses voyages au Mexique et aux États-Unis, en 1934-1935, la plupart des personnes qu’il fréquente sont très engagées dans le combat révolutionnaire. À son retour à Paris en 1936, Cartier-Bresson s’est radicalisé : il participe régulièrement aux activités de l’Association des écrivains et artistes révolutionnaires (AEAR) et commence à travailler pour la presse communiste.
SALLE 5
Le cinéma et la guerre
Cartier-Bresson disait du cinéma qu’il lui avait « appris à voir ». C’est au cours de son voyage au Mexique, en 1934, qu’apparaissent les premiers indices de son désir de réaliser lui-même des films. Le cinéma l’intéresse dans le contexte de son propre engagement militant. Car il s’adresse à une plus large audience que la photographie et permet, par sa structure narrative, de mieux faire passer le message. En 1935, aux États-Unis, il apprend les rudiments de la caméra auprès d’une coopérative de documentaristes très inspirés par les idées politiques autant qu’esthétiques des Soviétiques et réunis autour de Paul Strand sous l’appellation de « Nykino », la contraction des initiales de « New York » et du mot « cinéma » en russe. Avec eux, il réalise un premier court métrage. À son retour à Paris, en 1936, après avoir essayé sans succès de se faire engager comme assistant par Georg Wilhelm Pabst, puis par Luis Buñuel, il inaugure une collaboration avec Jean Renoir qui durera jusqu’à la guerre.
SALLE 6
Le choix du photoreportage
En février 1947, Cartier-Bresson inaugure sa première grande rétrospective institutionnelle au Museum of Modern Art (MoMA) de New York. Quelques mois plus tard, avec Robert Capa, David Seymour, George Rodger et William Vandivert, il fonde l’agence Magnum qui deviendra rapidement l’une des références mondiales en matière de photoreportage de qualité. Après son exposition au MoMA, Cartier-Bresson aurait pu choisir de n’être qu’artiste. Mais il décide de devenir pleinement reporter en s’engageant dans l’aventure Magnum. À partir de 1947, et jusqu’au début des années 1970, il multiplie les voyages et les reportages aux quatre coins du monde, travaillant pour à peu près tous les grands magazines illustrés internationaux. Malgré les contraintes de la presse, les délais très réduits du système médiatique et les contingences de la commande, Cartier-Bresson parviendra néanmoins, pendant ces décennies de reportage, à maintenir sa production photographique à un très haut niveau d’excellence.
SALLE 7
Anthropologie visuelle
Parallèlement à ses reportages, Cartier-Bresson a également photographié certains sujets de manière récurrente, dans tous les pays où il est allé et sur plusieurs années. Réalisées en marge des reportages, ou de manière totalement autonome, ces séries d’images qui s’interrogent sur quelques-unes des grandes questions de société de la seconde moitié du XXe siècle ont valeur de véritables enquêtes. Elles ne répondent pas à une commande, n’ont pas été faites dans l’urgence imposée par la presse et sont beaucoup plus ambitieuses que nombre de reportages. Ces enquêtes thématiques et transversales que Cartier-Bresson décrit lui-même comme une « combinaison de reportage, de philosophie et d’analyse (sociale, psychologique et autre) » s’apparentent à l’anthropologie visuelle, cette forme de connaissance de l’humain dans laquelle les outils d’enregistrement analogique jouent un rôle essentiel. « Je suis visuel, disait d’ailleurs Cartier-Bresson [...]. J’observe, j’observe, j’observe. C’est par les yeux que je comprends. »
SALLE 8
Après la photographie
À partir des années 1970, Cartier-Bresson, qui a désormais dépassé les soixante ans, cesse progressivement de répondre aux commandes de reportages, c’est-à-dire de photographier dans un cadre contraint. Considérant que Magnum s’éloigne chaque jour un peu plus de l’esprit qui avait été à l’origine de sa création, il se retire des affaires de l’agence. Sa renommée internationale n’a cessé de croître : il est devenu une légende vivante. En France, il incarne, presque à lui seul, la reconnaissance institutionnelle de la photographie. Ce qui n’est évidemment pas pour lui plaire. Il passe beaucoup de temps à superviser l’organisation de ses archives, la vente de ses tirages et la réalisation de livres ou d’expositions. S’il a officiellement arrêté de photographier, il garde cependant toujours son Leica à portée de main et réalise occasionnellement des images plus contemplatives. Mais surtout, il va beaucoup dans les musées ou les expositions et passe le plus clair de son temps à dessiner.