Du 22 mai au 29 septembre 2012
Avec la présentation, pour la première fois à Paris, de la rétrospective de l'œuvre d’Eva Besnyö, Marta Gili, directrice du Jeu de Paume, poursuit sa série sur la place tenue par les femmes dans l'histoire de la photographie. Elle va même plus loin en soulignant que, « si le rôle des femmes dans l’histoire de la photographie s’est révélé avec davantage de force et d’intensité au cours des trente dernière années, il n’en est pas moins vrai que, pendant cette même période, on a assisté à la remise en question du récit canonique de l’histoire de la représentation. Et ce n’est pas un hasard si les deux phénomènes sont en étroite relation ».
Selon Marion Beckers et Elisabeth Moortgat, commissaires de l'exposition, Eva Besnyö a édifié son œuvre entre engagement et recherche formelle. Sa photographie « bifurque, en effet, entre les replis de la Nouvelle Vision, de la Nouvelle Objectivité et du documentarisme social, à la croisée de la poésie et de l’activisme politique. Et c’est pour cette raison que la réponse à la question “qui est derrière l’appareil” pourrait être dans son cas : une femme, Eva Besnyö, convaincue que la photographie est capable non seulement de créer des fictions poétiques mais aussi, et dans le même temps, de rendre compte de la réalité, une réalité qui est en soi multiple, fuyante et sensible ».
Cette première rétrospective, organisée par le Das Verborgene Museum de Berlin avec la collaboration de la Berlinische Galerie et du Jeu de Paume, réunit plus de cent vingt tirages originaux accompagnés de nombreux documents. Elle présente également Eva Bresnyö de Keurcollectie, un documentaire de 51 minutes réalisé en 2002 par Leo Erken.
Comme Molohy-Nagy, Kepes, Munkacsi, Capa…et quelques autres, Eva Besnyö fait partie de cette cohorte de photographes hongrois d'avant-garde qui ont fui leur patrie pour forger ailleurs leur célébrité. Eva Bresnyö (1910-2003) arrive à Berlin à l'âge de vingt ans, après avoir appris le métier à Budapest, dans le studio du célèbre publicitaire Jozsef Pésci.
Dans un entretien réalisé le 2 novembre 1991 à Amsterdam avec Marion Beckers et Elisabeth Moorgat,
intitulé « Ce que je préfère, c'est raconter par la photographie », elle explique son choix pour le métier de photographe. « Mon oncle, qui était excellent musicien, a dit qu’il me trouvait
du talent pour la photographie. J’avais un tout petit appareil, pas terrible, un Brownie Kodak, et effectivement j’avais fait de belles photos. Il m’a demandé si j’aurais envie d’apprendre la
photographie. J’ai dit oui, que ça me tentait. Mais en même temps je ne savais pas trop ce que ça voulait dire. Alors évidemment mes parents m’ont trouvé la meilleure adresse possible et
c’était chez József Pécsi. »
À Berlin, elle travaille rapidement pour le photographe de presse Peter Weller. Un travail de reportages
quotidiens sur des chantiers de construction, près du lac Wannsee, au zoo ou dans les stades. Des photographies publiées sous le nom du studio, comme celle du petit gitan qui porte un
violoncelle sur le dos, célèbre aujourd'hui dans le monde entier.
Son vécu de la Hongrie fasciste et son sens politique la poussent à quitter Berlin à l’automne 1932 pour
gagner Amsterdam. Elle y trouve des soutiens auprès des cercles qui gravitent autour de Charley Toorop, du cinéaste Joris Ivens et du designer Gerrit Rietveld, L'exposition de 1933 dans la
galerie Van Liert, lui assure une reconnaissance, consolidée quelques années plus tard par ses photographies d’architecture, qui « traduisent en une “Nouvelle Vision” l’idée du “Nouveau
Bâtiment” fonctionnaliste ».
Dans la seconde moitié des années 1930, elle s’engage activement dans la politique, notamment en participant, en 1936, à l’exposition anti-olympiades D-O-O-D (De Olympiade onder Diktatur). Et, l’année suivante, en tant que commissaire de l’exposition internationale foto ’37 au Stedelijk Museum à Amsterdam. L’invasion allemande de mai 1940, l’oblige, en tant que juive, à vivre dans la clandestinité.
Après la guerre, elle est séduite par une vision du monde façonnée par l’humanisme « par exemple, en 1947, je fais un reportage sur l'hôpital pour enfants "Emma" ou des images pour une coopérative de consommateurs dont je visite les différents sites de production… »
Son expérience de mère de famille et de photographe l'amène également à témoigner sur cette situation. « J'ai commencé comme photographe, comme chroniqueuse du mouvement "Dolle Mina" mais , tout doucement, je me suis laissée entraîner au point de devenir une vraie "Dolle Mina" moi-même, de mettre la main à tout et parfois de ne plus faire les photos moi-même, car je préférais participer aux discussions ».
Ces implications eurent une influence sur sa pratique photographique, comme elle le résume elle-même, toujours dans ce fameux entretien de 1991. « À mes débuts, la forme m’importait plus que le thème. Et ça s’est lentement inversé, jusqu’au mouvement féministe. Brusquement, le thème est devenu beaucoup plus important que la forme. Ensuite, la forme a repris le dessus. La forme est essentielle pour moi. La composition est très importante et je me renierais si je n’en tenais plus compte, comme je l’ai fait un moment. J’espère aujourd’hui avoir trouvé un bon équilibre entre forme et contenu ».
Exposition
Eva Besnyö 1910-2003: l'image sensible
22 mai-23 septembre 2012
Le Jeu de Paume
1 place de la Concorde
75008 Paris
+33 (0)1 47 03 12 50
Mardi (nocturne) : 11 - 21h
Mercredi à Dimanche 11- 19h