Robert Devriendt: A Voyeur's Devotion
Du 07 décembre 2012 au 26 janvier 2013
Robert Devriendt est né en 1955. Il vit et travaille à Bruges, Belgique.
Devriendt réalise de petites toiles, qui servent à raconter un récit intime au spectateur.
Une histoire incomplète
Une Porsche Panamera s’extrait des entrelacs de l’autoroute, passe sous le viaduc et s’engage dans le paysage embrumé. Plusieurs stations de radio défilent jusqu’à ce que retentissent les pulsations d’une musique arabe.
Le bétail d’agrément est très décoratif derrière les clôtures. Des daims figés, comme empaillés, tournent la tête vers le bruit de moteur qui approche. Quelques chevaux, à la robe couleur de goudron se mettent au galop au moment même où une buse rase le toit de la voiture. Sous leurs hangars, des machines monstrueuses attendent le printemps pour arroser une nouvelle fois les champs de poison. Dehors, il n’y a que le bourdonnement sonore du moteur et le vent qui s’accroche au rétroviseur.
La Panamera noir mat se glisse dans un tunnel d’arbres mutilés et de hautes broussailles et aussitôt la lumière diffuse recouvre tout d’une cellophane verte. L’intérieur sombre de la voiture contraste avec le cou pâle d’une jeune femme aux cheveux blonds, dont l’implantation évoque la touche précise d’un primitif flamand. L’encolure arrondie de son veston gris anthracite souligne encore la grâce de son cou. Les cheveux sont rassemblés en une natte nonchalante qui descend sur le décolleté discret, tel un colifichet tyrolien. Suspendue à une mince chaînette, une petite croix en or, froide et minimale, se colle sur sa peau. Ses mains reposent sur le volant, les doigts allongés, pourvus de faux ongles manucurés. Comme il se doit.
Le costume sombre, l’intérieur noir... tout paraît être l’oeuvre du même designer ou du moins de gens fréquentant de manière obsessionnelle les mêmes villes, les mêmes bars. Tous les codes du design ont été respectés, encore plus rigoureusement que dans les arrogantes années soixante-dix avec leurs pelouses impeccables et leurs hommes en complet noir aux jambes blanches comme du papier.
Lorsque des scies mécaniques se mettent en marche à plusieurs endroits de la forêt, la vitre de la voiture vient se fermer en silence et avec précision. Les ombres portées à l’intérieur tachent sa robe. Le paysage est comme un écran vidéo incrusté dans le pare-brise. Un portable sonne. Le portail en fer forgé est surmonté d’une élégante inscription en arc de cercle : Domaine d’illusion. La porte s’ouvre dans un glissement léger de métal sur métal. C’est comme un rideau de théâtre qui dévoile progressivement le décor.
Apparaît alors une allée sans fin, bordée de hêtres, de chênes et d’une riche frondaison. Partout on voit voleter des oiseaux. Deux rouges-gorges s’engagent dans un combat mortel quand une femelle survient, portée par le vent. Mais la Panamera s’engage dans l’allée avec une lenteur altière, sans égards pour tout cela. Perpendiculairement à l’allée, un petit avion aérodynamique entaille profondément le bleu du ciel. C’est le genre de bleu qui va bien avec les roses qui fleurissent sur les cartes postales anciennes.
C’est ici. Le moteur se tait. Les rhododendrons hauts de plusieurs mètres sont en fleurs. Leur pigmentation violette dessine un saignement continu d’une plante à l’autre et colore jusqu’aux ombres les plus profondes. Vu d’en haut, le véhicule sombre apparaît à la fois menaçant et fragile au milieu de la clairière. Derrière la voiture, formes et couleurs se confondent dans la chaleur du pot d’échappement. Une main saisit un petit sac argenté, elle serre une paire de Louboutin sous son bras. Du sac dépasse le manche d’un couteau.
Le personnage entre dans la forêt. Les jambes en nylon et les talons brillants contrastent fortement avec les feuilles en décomposition. Ses mouvements relèguent immédiatement tout ce qui l’entoure à l’arrière-plan. Seul un expert chevronné en criminalistique saurait déduire des quelques tiges cassées et des petits trous laissés par les talons aiguilles, qu’ici, quelqu’un a pénétré dans la forêt.
Il n’y a plus maintenant que le bruit qui s’éloigne, celui de pas qui semblent habilement éviter la végétation et les endroits humides de la forêt.
Un homme quitte une pergola envahie de glycines bleues, et tel un chasseur fatigué, descend le sentier qui mène à la forêt. Sous ses yeux bruns, sa peau est marquée de fines craquelures. Des feuilles s’envolent en bruissant à chacun de ses pas. Son manteau en cuir râpé offre un camouflage parfait. Dans le bassin, la lenticule fait une tache de clarté. L’homme disparaît, puis réapparaît par intermittences entre les châtaigniers, ses mouvements sont difficiles à suivre. Il s’arrête un instant pour caresser la peau de serpent d’une charmille. À chaque respiration, le cuir lui moule le dos.
Ils s’étaient donné rendez-vous dans la cabane. C’est là qu’il devait l’attendre. Il déplace quelques accessoires, ouvre le fusil de chasse et examine les cartouches rouge sang. D’un geste instinctif, il renifle le canon de l’arme puis la pose à côté d’une dague française rouillée avec un manche en cuivre, une kalachnikov sans chargeur et la réplique d’un Beretta 9mm. Un des murs est couvert de coulures de bougie de toutes les couleurs, mêlées au suif noir des flammes qui l’ont léché.
S’il avait d’abord limité ses recherches criminalistiques aux environs de la cabane, par la suite il avait parcouru toute la forêt jusqu’à l’aire de pique-nique d’où on apercevait les premières maisons. Il soumettait chaque centimètre carré à un examen approfondi comme si tout le domaine n’était qu’une immense scène de crime. Il remuait la terre molle de la forêt à mains nues, pour ne trouver parfois que des pierres ou des éclats de verre. Alors, il suçait la plaie pour la nettoyer, et sentait le goût métallique de son sang dans sa bouche. À chaque trouvaille, son coeur se mettait à battre et il lui fallait un moment pour parvenir à contrôler son pouls.
Il lui semblait à chaque fois qu’on l’électrocutait, de sorte qu’il n’était pas inconcevable qu’il succombe un jour à la sensation d’un simple ruban de t-shirt ou d’un quelconque autre objet en apparence insignifiant. Cloportes, scarabées, limaces... tels étaient les êtres vivants dont il lui fallait généralement se contenter dans ses expéditions.
Il s’était mis à trier plus ou moins les objets qu’il trouvait lors de ces sorties. Plusieurs t-shirts se trouvaient ainsi rassemblés, tout ce qui relevait de la lingerie, des chaussures, les perles de colliers cassés, des portables et un unique smartphone rouge fluo avec sa housse argentée. Suspendus aux murs, il y avait des mèches de cheveux, classées du blond au noir corbeau, des strings aux coutures déchirées couvert d’empreintes de doigts, des collants et même un manteau de fourrure russe, intact, avec le certificat d’authenticité cousu sur la doublure. Devant la petite fenêtre, il avait entassé des éclats de flacons de parfum brisés, qui contrastaient violemment avec le terne des murs cimentés.
Pendant qu’il range la tronçonneuse vert vif qu’il est récemment parvenu à voler dans la camionnette d’une entreprise d’élagage, l’huile s’écoule librement sur le carrelage en béton. Il s’immobilise un instant quand il croise accidentellement son propre regard dans le miroir d’un kit de maquillage et balbutie quelques paroles... weapons and female stuff. Il ouvre son ordinateur portable, aussitôt une lueur bleue éclaire la pièce sombre. Il prend quelques comprimés, rejette sa tête en arrière, les yeux fermés, et remet soigneusement les comprimés restants dans leur bout de papier journal déchiré. Il semble pris de vertiges, ses yeux se révulsent un instant, et pendant quelques secondes il doit s’appuyer sur la table en bois brut.
Il est prêt. Qu’elle vienne.
Robert Devriendt.
Traduction : Kim Andringa.
Galerie Loevenbruck
6, rue Jacques Callot
75006 Paris
Horaires d'ouverture : du mardi au samedi, de 11h à 19h.