Jose DÀVILA « Half Empty, Half Full »
"Don't think twice I et II", 2024 de Jose DÀVILA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Almine RECH - Paris © Photo Éric SIMON
Du 15 mars au 19 avril 2025
Almine Rech Paris, Turenne a le plaisir de présenter « Half Empty, Half Full », la première exposition personnelle de Jose Dávila à la galerie.
« Mon corps est le pivot du monde ». Ainsi formulait Maurice Merleau-Ponty la dimension relative de la pensée et son indissociabilité de notre expérience. De cette zone d’ombre propre à la subjectivité jaillissent toutefois d’innombrables possibles : ceux que recèlent les objets lorsqu’ils se font le miroir de notre perception.
C’est précisément là l’enjeu de toute l’œuvre de Jose Dávila, dont les sculptures, peintures et environnements cherchent moins à être regardés qu’à aiguiser le regard, en révélant la dimension contextuelle des éléments qui les composent.
"The fact of constantly returning to the same point or situation", 2024 de Jose DÀVILA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Almine RECH - Paris © Photo Éric SIMON
Énigmatiques – parfois teintés d’humour – les titres empruntés par l’artiste soulèvent à eux seuls la polysémie propre au réel et les contradictions qui lui sont inhérentes. Il est, dans cette exposition intitulée Half Empty, Half Full, question de mesure, de verre à moitié vide ou à moitié plein – une thèse insoluble permettant de faire cohabiter deux contraires.
L’ambigüité infuse en effet l’ensemble du corpus de l’artiste, tout entier habité de tensions et de déséquilibres, son œuvre étant axée autour de la question de la gravité. Dans ses totems rocheux ou ses robustes structures industrielles aux jonctions vacillantes, l’œil se porte naturellement sur les espaces creusés en négatif par les matériaux, dans lesquels se joue mentalement l’idée de la chute et de l’effondrement. Une opposition dialectique des forces dont naît un dépassement, que le plasticien décrit comme un « élargissement du registre des possibilités ».
"A secret wish", 2023 de Jose DÀVILA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Almine RECH - Paris © Photo Éric SIMON
De la friction naît le mouvement : Jose Dávila le rappelle sans cesse à travers son alliance de forces et de matériaux en apparence antinomiques – le naturel et l’industriel, le vide et le plein – dont le dialogue incessant agit, dans ses termes, comme « un déclencheur d’émotions » se dérobant à tout signifiant fixe. Architecte de formation, l’artiste a visité durant sa jeunesse de nombreux chantiers afin d’observer attentivement les processus qui s’y déployaient.
« Les lieux de construction sont le meilleur endroit pour apprécier la sculpture », affirme-t-il, fasciné par la constante quête d’équilibre qui s’y met enscène. Nul hasard, donc, que son œuvre fasse appel à pléthore d’éléments issus de l’univers de la construction (poutres métalliques, panneaux de verre, béton) dont l’austérité est mariée à l’organicité de matériaux naturels (principalement la pierre).
"The fact of constantly returning to the same point or situation", 2024 de Jose DÀVILA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Almine RECH - Paris © Photo Éric SIMON
La mémoire est pleinement convoquée dans ce travail de récupération, qu’il s’agisse de celle véhiculée par la petite ou par la grande histoire. Lecteur avide de mémoires d'artistes, Jose Dávila insère dans ses œuvres des allusions plus ou moins explicites à l’histoire de l’art, donnant parfois lieu à une vertigineuse mise en abîme de références. Évocatrice tout d’abord des compositions d’Hilma Af Klint, sa série de peintures hypnotiques figurant des cercles délimités en pans de couleurs lisses, suggère également l’éternel retour nietzschéen à travers son titre (The fact of constantly returning to the same point or situation). Un motif fécond dont il revient à chacun d’éplucher les différentes strates, en fonction de ses sensibilités.
De même, sa sculpture A secret wish, fine plaque métallique rehaussée de plusieurs châssis de fauteuils Acapulco, télescope des récits centrés autour de la notion d’originalité – la pièce de mobilier phare ayant fait l’objet de longs débats autour de sa paternité, faute de brevet. Autant de références dont l’artiste s’empare subtilement afin de brouiller les repères entre les différents plans de réalité – ici son œuvre et celle des autres – et en revendiquer ainsi l’appartenance collective.
"Silent balance", 2024 de Jose DÀVILA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Almine RECH - Paris © Photo Éric SIMON
La dimension relationnelle prime en effet chez Jose Dávila, qui évoque, sous mille et un prismes, la trame invisible du réel et les liens ténus qu’elle entretient à sa manifestation matérielle. Et ce jusqu’à dans les matériaux bruts de ses sculptures, dont la simple conjonction leur confère une nouvelle modalité d’existence.
Car l’artiste apprécie la capacité de ces éléments sculpturaux à se réabsorber dans le quotidien et à n’exister en tant qu’œuvre qu’à travers un faisceau de relations : « J’interviens pour cela de manière minimale sur les matériaux que je prélève », confie-t-il. Se dévoile par là-même l’intime interconnexion entre les processus de dégénérescence et de régénérescence qui structurent le monde, tels que résumés par la célèbre maxime héraclitéenne « Tout s’écoule ».
"Joint Effort", 2024 de Jose DÀVILA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Almine RECH - Paris © Photo Éric SIMON
De tels termes résonnent avec une intensité particulière dans un monde globalisé et en perpétuel flux, dont l’artiste cristallise ainsi les systèmes de relation imperceptibles et les dynamiques silencieuses. Il s'y emploie quelques fois de manière plus allusive, par exemple dans sa pièce Joint Effort, où différents objets posés sur un socle sont reliés par une courroie noire.
Sous quel prétexte ces éléments sont-ils interdépendants ?
Est-il question d'entraide ?
De collaboration ?
De pouvoir du collectif ?
Face aux interrogations tendues par l’artiste, les réponses ne sont ni univoques ni définitives. C’est en effet la dimension polyphonique et interprétative du réel qui intéresse Jose Dávila, dont l’œuvre se situe volontairement dans un entre-deux, basculant entre robustesse et légèreté, dedans et dehors, épure et organicité.
L’artiste se réclame à ce titre héritier de la pensée de Josef Albers, dont la théorie des couleurs accorde au regardeur un rôle central, en le plaçant au cœur de l’expérience esthétique. « Toute perception de la couleur est une illusion : nous ne voyons pas les couleurs telles qu'elles sont réellement », soutenait le peintre allemand, réaffirmant ainsi l’œuvre comme un outil d’éveil de la conscience. Se pose alors une question cruciale : comment regarde-t-on ?
"The fact of constantly returning to the same point or situation", 2024 de Jose DÀVILA - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Almine RECH - Paris © Photo Éric SIMON
Cette interrogation, Jose Dávila la formule également sur le plan de la couleur et de la composition, mais surtout de l’espace. La seule présence de ses sculptures réévalue notre rapport à la matière et au vide en en dévoilant les forces insaisissables. Nos corps mêmes en prennent acte, retranchés dans une forme de raidissement face à cette béance dans laquelle est contenue l’hypothèse de l’écroulement.
S'estompe ainsi l'écart entre l'œuvre et le spectateur, ici entièrement convoqué par l’expérience de sa propre subjectivité. Une invitation méditative à habiter pleinement son regard et à appréhender l’espace, la couleur et la forme, non plus en tant que fenêtres sur le monde, mais en tant que catalyseurs d’expériences profondément révélatrices de notre humanité.
- Alison Moss, Rédactrice en chef du Quotidien de l'Art
Galerie Almine RECH
64 rue de Turenne
75003 Paris
Jours et horaires d’ouverture : du mardi au samedi de 11h à 19h.