12 Feb

BECQUEMIN & SAGOT «ÉLÉGIE»

Publié par Eric SIMON - Catégories : #Expo Peinture Contemporaine

Détail " Moineaux, Chine, Avril 1958", 2024 de BECQUEMIN & SAGOT - Courtesy des artistes et de la H Gallery © Photo Éric SIMON

Du 30 janvier au 1^er mars 2025

« Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, beaucoup d’hommes et de choses, il faut sentir comment volent les oiseaux. »

Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète, 1929

H Gallery est heureuse de présenter la troisième exposition personnelle du duo d’artistes femmes, Becquemin & Sagot.

Après avoir dénoncé l’aberration environnementale des bateaux de croisières du «Capitalocène» dans Road-Movie Cruise Until The End of The World #forever (qui est entré dans les collections des Abattoirs, Musée – Frac Occitanie Toulouse) en 2020 puis évoqué la destruction des écosystèmes des océans et l’appropriation du ciel par de grandes entreprises dans Cosmocène en 2022, Becquemin & Sagot s’attaque à présent, avec Élégie à un phénomène écologique peu connu : les chutes d’oiseaux qui se multiplient à travers le monde. Causées autant par la pollution sonore que par la pollution lumineuse de nos sociétés de consommation, elles sont, autant symboliquement que physiquement, des événements catastrophiques.

"Pigeon biset, modesto, californie États-Unis, 23 janvier 2024", 2024 de BECQUEMIN & SAGOT - Courtesy des artistes et de la H Gallery © Photo Éric SIMON

Vue de l'exposition "Élégie" de BECQUEMIN & SAGOT - Courtesy des artistes et de la H Gallery © Photo Éric SIMON

Toujours avec beaucoup de poésie et des dessins aussi doux que tragiques, elles transforment H Gallery en une volière mélancolique afin de susciter discussions et prises de conscience...

Alors que l’exposition de 2022 du duo Becquemin & Sagot abordait les liens métaphysiques que nous entretenons avec le cosmos, Elégie nous renvoie à nos hécatombes terrestres. Issue du grec ancien elegeia, l’élégie renvoie au chant du deuil. Du cosmos à la terre, un phénomène actuel dont on parle peu se fait le témoin silencieux des modes de vie écocidaires : les pluies d’oiseaux.

Au fil des siècles et des cultures, les oiseaux ont inspiré mythes fondateurs, récits cosmogoniques et interprétations astrologiques.Messagers liminaires entre le monde terrestre et le monde céleste, leurs vols fascinent, leurs chants captivent.

"Élégia", 2024 de BECQUEMIN & SAGOT - Courtesy des artistes et de la H Gallery © Photo Éric SIMON

"Installation Ensemble de 6 appeaux", 2024 de BECQUEMIN & SAGOT - Courtesy des artistes et de la H Gallery © Photo Éric SIMON

"Pétrel gris, Mangere, Nouvelle Zélande, 4 novembre", 2024 de BECQUEMIN & SAGOT - Courtesy des artistes et de la H Gallery © Photo Éric SIMON

Mais les chants disparaissent. Et les vols s’évanouissent. Car les oiseaux chutent, par dizaines, par centaines parfois dans des pluies tragiques et sidérantes. Ces phénomènes, souvent amputables à nos bruyantes pratiques telles que feux d’artifice ou pollutions lumineuses, atmosphériques, se propagent en chute libre. En un instant, leurs corps inertes jonchent le sol et évoquent des images apocalyptiques, surnaturelles tout en se faisant le miroir de notre planète industrieuse et extractiviste.

Il se s’agit plus de prophétiser en regardant le vol des oiseaux. Leur chute est un signal. Rachel Carlson, biologiste marine et essayiste environnementaliste américaine, avait alerté dès 1962 que des printemps silencieux se répandraient sur nos milieux, consécutivement aux pollutions et aux pesticides utilisés par l’agriculture.

"Corbeaux, Forêt de Thuringe, Allemagne, 988 ap. J.C", 2024 de BECQUEMIN & SAGOT - Courtesy des artistes et de la H Gallery © Photo Éric SIMON

"Hirondelles, Fauvettes, Parulines, merles, moineaux, Nouveau Mexique août 2022", 2024 de BECQUEMIN & SAGOT - Courtesy des artistes et de la H Gallery © Photo Éric SIMON

La chercheuse en littérature Marielle Macé souligne, quant à elle, la place de lanceurs d’alerte que représentent ces pluies d’oiseaux. Artistes asphyxiées dans un monde abimé, Becquemin & Sagot recueillent ces chutes en plein vol en les dessinant sur de grands lés de papier verticaux : hirondelles, fauvettes, parulines, merles, moineaux, chauves-souris, étourneaux….

Chaque lé fait référence à une pluie d’oiseaux, depuis les récits mythologiques jusqu’aux méga-feux américains. Les épisodes ne cessent d’ailleurs de se précipiter depuis ces 15 dernières années eu égard aux conditions environnementales de plus en plus toxiques.

Les dessins, comme des cénotaphes, rappelent qu’en silence, l’oiseau vole à travers nous. (Sonnets à Orphée II, 12, Rainer Maria Rilke) Transformant la galerie en une volière tragique, tel un décor de pièce de théâtre antique, les voix des artistes se font l’écho des corps qui tombent : dans une performance, elles chantent une élégie mêlant gazouillements d’oiseaux et poème composé par ChatGPT, considérant, comme Rilke, que sans sentir comment volent les oiseaux, on ne peut plus écrire un seul vers…

"Loriquets, Espérance, Australie Occidentale, 10 janvier 2001", 2024 de BECQUEMIN & SAGOT - Courtesy des artistes et de la H Gallery © Photo Éric SIMON

Emmanuelle Becquemin et Stéphanie Sagot vivent à Montpellier et travaillent ensemble depuis plus de 20 ans. Becquemin & Sagot est un duo de femmes artistes qui réalisent depuis 2004 des performances, vidéos et sculptures. Emmanuelle Becquemin et Stéphanie Sagot sont diplômées en art et toutes les deux docteures en Arts plastiques. Emmanuelle Becquemin enseigne aux Beaux-arts de Saint-Étienne ; Stéphanie Sagot est maîtresse de conférence à l’université de Nîmes.

Leurs œuvres ont récemment été acquises par les Abattoirs FRAC Occitanie Toulouse.

Artistes féministes et engagées, leurs œuvres sont uniques tant esthétiquement que dans la force des concepts : elles rapportent et racontent l’imbrication étroite qui existe entre création et société, éclairent les mutations esthétiques, culturelles ou sociétales en cours. Les artistes sont également les actrices d’un retour à la narration dans le champ des arts plastiques, sous des formes souvent expérimentales et/ou fictionnelles.

Entraînant le visiteur dans leurs fictions, Becquemin & Sagot démonte les rouages bien huilés de notre environnement quotidien fait de réseaux sociaux, d’autopromotion, de communiqués lénifiants ou de produits de consommation inutiles et dénonce avec dérision et intelligence, une période capitalocène, sempiternellement patriarcale et indifférente aux ravages environnementaux. Dans les situations qu’elles créent, « elles jouent les doublures du réel afin d’en faire miroiter les faux-semblants. Elles se servent des modes opératoires de l’art pour voyager, détourner les codes habituels et fabriquer de l’art là où l’on ne croit pas en voir »

(Marie de Brugerolles)

H Gallery

39, rue Chapon

75003 Paris

www.h-gallery.fr

Jours et horaires d’ouverture : du mardi au samedi de 13h à 18h.