Expo Peinture: LA RENAISSANCE ET LE RÊVE "Bosch, Véronèse, El Greco...
Du 9 octobre 2013 au 26 janvier 2014
Issue elle-même d’un rêve de vie nouvelle, la Renaissance a conféré aux songes, à leur interprétation, à leur représentation, une extraordinaire importance: dans la vie politique et sociale, avec le renouveau des pratiques divinatoires; dans la littérature, tant en prose qu’en poésie (Francesco Colonna et Rabelais, l’Arioste et le Tasse, la Pléiade et d’Aubigné...); dans les débats médicaux et théologiques, notamment lors de la terrible chasseaux sorcières qui du XVe au XVIIe siècle a sévi en Europe.
Battista Dossi 1544
Le Greco
Sculpteur anonyme, Allegorie de la nuit 1558
Alors a fleuri ce que l’on pourrait appeler l’«ancien régime» du rêve, fondé sur l’idée que le sommeil et les songes nous mettent en relation avec les puissances de l’Au-delà : en rêvant, l’homme s’évade-t-il des contraintes de son propre corps pour entrer en contact avec le divin? Ou bien se trouve-t-il livré à des «démons» étrangers? Quel crédit accorder à l’oniromancie? Est-il possible d'établir un lexique du rêve, comme dans les «clés des songes»?
Andrea Sansovino, 1491
Memento mori,1580
Ces problèmes, les peintres et graveurs de la Renaissance les ont affrontés à leur manière: artistique et non théologique, philosophique ou médicale. Les questions qu’ils posent, et qui leur sont propres, vont bien au-delà des débats de l’époque et demeurent fascinantes: d’une part, entre les images de l’art et les images oniriques, existe-til une profonde affinité?
D’autre part, comment s’acquitter de l’impossible tâche de représenter ce que rêve un rêveur? Aux XVe et XVIe siècles, si certains explorent le rêve en tant que révélation d’un autre monde, saint ou infernal, et si d’autres l’utilisent pour transfigurer le vécu quotidien ou montrer sa dimension érotique, chez les plus exigeants il est perçu comme une métaphore de l’art lui-même. Alors la vie devient un songe et l’artiste un rêveur.
Leonard Limosin, 1534
Girolamo Mocetto, 1500
À une célèbre exception près celle de Dürer, évoquée à la fin de l’exposition —, les artistes de la Renaissance ne peignent pas leurs propres rêves. Ils peignent ceux des autres, ou ceux qu’ils pourraient avoir; ils repré-sentent tantôt des récits de rêve, tirés de la mythologie et de l’histoire sainte, tantôt des visions reconstruites qui se font parfois cauchemardesques. Mais tous se heurtent à la même difficulté: peindre le rêve, c’est-à-dire non l’apparence mais l’apparition, c’est vouloir objectiver l’inobjectivable. Le songe échappe à la saisie.
Agostino Veneziano, 1524
Sano di Pietro, 1444
Sandro Botticelli, 1488
Bernardo Luini, 1516
Or l’impossibilité même de le représenter a suscité, chez les artistes les plus soucieux de pousser leur art à ses limites, le désir de relever un défi; de montrer leur habileté à représenter un irreprésentable, plus spectaculaire encore que les tempêtes; et de conférer ainsi à leurs œuvres une puissance accrue, en frappant l’imagination et les yeux par une représentation particulièrement vive. Tenter de peindre l’onirique, comme l’avaient déjà fait des artistes médiévaux (mais dans un contexte différent), c’est donc, à bien des égards,transgresser les frontières de l’art; c’est en élargir considérablement le domaine et en affirmer les nouveaux pouvoirs.
Albrecht Dürer, 1498
Adam Eisheimer, 1600
Selon le sujet, les périodes et les régions, suivant aussi leur talent particulier, les artistes ont apporté à ce défi des réponses fort différentes: l’écart est grand entre un Songe du Quattrocento et un Songe du siècle suivant, de même qu’entre une œuvre du Nord et une œuvre méridionale, comme le montre la variété des artistes convoqués –illustres comme Bosch, Dürer ou Michel-Ange, ou moins connus comme Mocetto ou Naldini. Logiquement et chronologiquement, leparcours conduit de la nuit à l’endormissement, de l’aurore où pourles renaissants se manifestent les vrais rêves au réveil final, l’essentiel étant consacré aux rêves et visions.
Hieronymus Bsch, 1510
Jan Mandijn, 1550
Jerome Bosch, 1490
Ainsi le visiteur verra-t-il successivement des figurations de la nuit (comme celles de Michel-Ange et Battista Dossi) et de belles endormies dont l’âme est «en vacance» (comme celle de Pâris Bordon), avant que ne soit franchie l’étape décisive: celle où l’artiste représente non seulement le corps du dormeur rêveur, mais le phénomène onirique lui-même. Tantôt pour montrer des «songes vrais», tirés de la Bible (Jacopo Ligozzi) ou des vies de saints (Garofalo, Véronèse...), tantôt au contraire pour offrir des visions infernales (Jan Brueghel, Jérôme Bosch...). Certains juxtaposent en un même lieu le rêveur et le rêve (comme l’a fait Giotto), d’autres imaginent des médiations (Le Greco), tandis que les artistes du Nord nous font entrer de plain-pied dans le cauchemar. Dans la nuit aussi, on voit des choses; loin d’éteindre le visible, l’obscurité fait surgir d’autres espaces, de jeu, de liberté ou d’inquiétude.
Battista Franco, 1537
Détail
Jacopo Zucchi, 1589
Le propos de l’exposition, qui appelle aussi l’attention sur quelques œuvres énigmatiques (Le Songe de Raphaëldu graveur Raimondi, Le Songe du docteurde Dürer), n’est pas seulement historique.Sans doute importe-t-il de rappeler l’intérêt de l’ «ancien régime» du rêve, largement effacé de nos mémoires par les révolutions successives et antagonistes de la psychanalyse et des neurosciences; mais il importe plus encore, en offrant pour la première fois au public un tel ensemble d’œuvres de la Renaissance, de l’inviter à rêver lui-même. À laisser libres et ouvertes les voies de son imagination.
La Renaissance et le Rêve : la bande annonce par Rmn-Grand_Palais
Musée du Luxembourg
19 rue de Vaugirard
75006 Paris
Horaires d’ouverture: tous les jours de 10h à 19h30 (nocturne les lundis et vendredis jusqu’à 22h)
fermeture du musée le 25 décembre