Lucien MURAT «Arrêtez de tondre vos putains de pelouses !»
Détail "Derelict Time II", 2024 de Lucien MURAT - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Suzanne TARASIEVE - Paris© Photo Éric SIMON
Du 22 mars au 10 mai 2025
« Arrêtez de tondre vos putains de pelouses ! » n’est ni un ordre, ni une injonction, encore moins une complainte mais bien un impératif catégorique, une action, ou une non-action individuelle qui pourrait être élevée au rang de maxime universelle. Le réveil d’une voix douce, forte de savoirs scientifiques, qui, s’élevant au-dessus du brouhaha des opinions, nous guiderait vers une nouvelle relation au vivant, bénéfique et empathique, loin de tous les rapports de domination qui sont encore la norme d’aujourd’hui.
Tondre, voilà un geste qui peut sembler anodin, une norme sociale profondément ancrée dans nos mœurs ; il est souvent notre premier rapport avec une nature aménagée. « S’il te plaît peux-tu tondre la pelouse ? » me demandait-on souvent lorsque j’étais jeune. Heureux de rendre service et de conduire ce joli tracteur vert, je décrivais alors de manière concentrique de grands rectangles jusqu’à ce que la surface verte rencontre les critères esthétiques stricts de la maison.
"Le temps qui passe XI", 2025 de Lucien MURAT - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Suzanne TARASIEVE - Paris© Photo Éric SIMON
Mais cette action, loin d’être bénigne, pose les jalons du conditionnement culturel qui régit notre rapport à une nature pliée à nos désirs et sur laquelle nous venons plaquer des concepts rigides. Tondre c’est projeter une surface plane et figée sur une forme vivante, en mouvement par essence.
Tondre c’est aussi et peut-être avant tout l’idée qu’un jardin propre ne révèle toute sa beauté qu'une fois ordonnée et rangée. Une vision hygiéniste du monde qui ne tolère ni le sale ni le négligé, et qui pour ce faire a classé, ordonné et hiérarchisé le vivant, plaçant d’un côté les « mauvaises herbes » et de l’autre les « bonnes », nous autorisant à arracher et éliminer tout ce qui gâcherait le tableau d’une nature immaculée. En niant le fonctionnement même des écosystèmes, où chaque élément prend part à l'équilibre fragile qui orchestre le génie naturel, nous en venons à nier la vie elle-même, mettant en péril l’humanité toute entière.
"Le temps qui passe IV", 2025 de Lucien MURAT - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Suzanne TARASIEVE - Paris© Photo Éric SIMON
"Derelict Time II", 2024 de Lucien MURAT - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Suzanne TARASIEVE - Paris© Photo Éric SIMON
Quelle est donc cette étrange époque, où les scientifiques s’égosillent à cor et à cri pour nous prévenir du cataclysme à venir, ce point de bascule où la Terre ne sera plus viable. Qui semble écouter ces cassandres malheureux dont les modèles prévisionnels, en réalité trop optimistes, ont sous-estimé la rapidité et la brutalité du réchauffement climatique ?
Alors que nous faisons face aux limites physiques des écosystèmes, l’esprit humain semble pour sa part incapable de se figurer dans toutes leurs complexités les conséquences mortifères de la dégradation du vivant.
Pour échapper à cette « mécanique des limites », Victor Rambaud, chercheur en intelligence artificielle, m’a aidé à développer un outil génératif pour créer un ensemble de paysages qui visent à représenter l’irreprésentable du désastre climatique. Pour évoquer les paysages du futur, et s'affranchir des représentations grandiloquentes de cataclysmes de John Martin et des films catastrophes qui ont imprégné la pop culture, colonisant ainsi durablement nos imaginaires, nous avons créé un protocole qui altère des images de nature.
"Prophecy of AI 7", 2024 de Lucien MURAT - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Suzanne TARASIEVE - Paris© Photo Éric SIMON
Détail "Prophecy of AI 7", 2024 de Lucien MURAT - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Suzanne TARASIEVE - Paris© Photo Éric SIMON
Un modèle d’IA a donc été entraîné avec des textures déjà présentes dans mon travail. Une fois ce nouveau paradigme mis en place, nous lui avons demandé de générer des variations de paysages existants. Confrontée à des paysages pulvérulents, l’IA m’offre une déambulation au milieu de végétaux et d'arbres pétrifiés, comme couverts d’asphalte, vestiges d’une nature jadis vivante.
A la manière d’un peintre paysagiste, je rapporte ici les fragments et les impressions d’un monde inexorablement rongé par un mal qui, grandissant, réduit au silence toute forme de vie. Les cadres en bois calcinés prolifèrent, dévorent les dessins, engloutissant toutes les couleurs jusqu’à leur annihilation totale dans un fatras de formes brûlées et tailladées par les flammes. Elles évoquent le dernier tableau de Van Gogh « Racines » achevé le jour de son suicide, où des arbres aux racines torsadées mises à nu, déformées par la douleur d’avoir été arrachées à la terre, cherchent dans un ultime espoir le sol nécessaire à leur survie.
"Le temps qui passe VII", 2025 de Lucien MURAT - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Suzanne TARASIEVE - Paris© Photo Éric SIMON
"Derelict Time", 2024 de Lucien MURAT - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Suzanne TARASIEVE - Paris© Photo Éric SIMON
Ces tableaux agissent comme des miroirs à double entrée qui questionnent notre rapport au monde et aux paysages qui le composent. Ils nous projettent, tout d’abord, à la manière d’un oracle, dans un avenir chaotique, nous submergeant d’une sensation d’effondrement et de cataclysme. Ils sont aussi une invitation à l'introspection, à regarder notre place en tant qu’individu dans le monde actuel, à questionner et redéfinir un rapport nécessaire au vivant.
"Le temps qui passe IX", 2025 de Lucien MURAT - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Suzanne TARASIEVE - Paris© Photo Éric SIMON
L’empathie est la clé pour remédier à la catastrophe annoncée. Laissons à l’arrêt ces tondeuses bruyantes, oublions un instant le mantra du travail productif, réfrénons nos envies de gazon parfait et osons pour une fois ne rien faire. Rien. Juste regarder l’herbe fleurir et observer cette vie foisonnante ; les hyménoptères, les lépidoptères, les coléoptères, tous ces insectes qui pollinisent les plantes et façonnent les paysages. Pétris d’hubris, nous semblons oublier combien le vivant est nécessaire pour maintenir notre existence sur Terre mais que la réciproque, elle, n’est pas vraie ; Gilles Clément nous rappelle le caractère résilient du vivant qui, même si nous venions à disparaître dans le grand cataclysme climatique, ferait émerger une autre forme de vie :
« Il a brûlé, c'est vrai, il doit sa force aux flammes qui ont noirci son corps. Il parvient à résister grâce à sa peau noire, lisse, prête à tout vivre sans souffrir. Les incendies occupent le terrain en échappées de flammes où se joue l'éphémère. Le bois va résister au temps, le feu va s'éteindre.
Une fois éteint le tableau va germer. Magie du monde vivant. Les chocs thermiques lèvent la dormance des graines de plantes dites pyrophytes, celles qui vivent dans les régions du monde où les incendies de fin d'été se répètent depuis longtemps. Dès les premières pluies un tapis vert va occuper le terrain de Lucien. Les plantes inconnues, courageuses, folles, vont grandir puis fleurir, offrir tant de couleurs inattendues qu'on y verra de nouveau l'énergie du feu, sans excès de calories, en seules dispositions de nuances vives, cadrées par le bois qui résiste à tout. Le bois contient le feu.
Le feu maintient le bois. L'un passe la main l'autre en relais permanents. La sculpture des cadres dévoile les reliefs invisibles de tous les arbres qui n'ont pas encore vécu le feu. Enchevêtrement organique des réseaux créant un paysage sans aucune géométrie orthodoxe. La vie tourbillonne, elle change de couleur pour étonner notre regard. »
- Lucien Murat
Galerie Suzanne TARASIEVE Paris
7, rue Pastourelle
75003 Paris
https://www.suzanne-tarasieve.com/
Jours et horaires d’ouverture : du mardi au samedi de 11h à 19h.
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