Exposition Solo Show: Izumi KATO
Du 29 août au 10 octobre 2020
Pour sa deuxième exposition à la galerie de Paris, Izumi Kato a réuni une assemblée de créatures étranges et si diverses qu’il semblerait que tout un macrocosme soit convoqué afin de témoigner de la complexité et de la beauté des mondes qu’il explore. Il présente ici une diversité de formes et de techniques qui témoignent d’une complexification du panthéon surnaturel que l’artiste japonais développe depuis près de deux décennies.
Un monde que le spectateur a appris à côtoyer mais dont l’énigme demeure intacte. De cette dernière génération marquée par la diversité (il est impossible de parler de série, tant ses créatures semblent incarnées), la surprise du spectateur viendra peut-être de ce qu’elles ont l’air plus vivante que jamais. L’éthologue aura néanmoins toujours autant de difficultés pour identifier et analyser leurs motivations et comportement car elles ne font, fidèles à elles-mêmes qu’acte de présence, comme des apparitions.
Nous avons cependant tant à apprendre d’elles. Qu’elles émergent de rochers ou de billots de bois ou qu’elles flottent dans l’espace, une sensualité brute et une puissance tranquille et presque bienveillante au pire indifférente - émergent, qui forcent chez le spectateur une curiosité simple. De leurs formes naturelles et de leur matérialité organique semble émaner une énergie dont le spectateur peut bénéficier par la simple présence. L’évidence des attitudes et des formes, l’absence d’impact de la gravitation et du temps offrent une leçon spirituelle et un remède à l’angoisse.
L’humour et l’enfance dominent plus que jamais, car la superposition des matériaux accentue les décalages entre les corps et les visages et certains assemblages rappelleront le cadavre exquis ou les jeux de construction. Certaines créatures semblent d’ailleurs se moquer et nous donner quelques leçons, en particulier dans ces tableaux composés comme des portraits classiques encadrés de façon sommaire et qui semblent jouer avec l’histoire de l’art.
Tandis que les portraitistes de notre modernité, les Manet, Gauguin, Modigliani et bien d’autres, tentaient de capter ce quelque chose de brut et d’essentiel dans leurs modèles en défiant la mimésis, les créatures d’Izumi Kato semblent avoir tout compris et nous contemplent avec cette force qui naît de l’exploit de leur créateur d’avoir su réunir, sans contrainte, le corps et l’esprit. Cette paix intérieure est d’autant plus fascinante à l’échelle de l’exposition que tous ces individus semblent constituer une société harmonieuse et riche de ses diversités. Peut-être une autre leçon que nous livrent les créatures d’Izumi Kato.
De l’œuvre d’Izumi Kato, il est impossible de ne pas tout d’abord avoir à l’esprit, quand il s’agit de décrire son travail, les formes humanoïdes aux grands yeux et aux protubérances naturelles en bois, en toile ou en vinyle.
De prime abord, l’étrangeté de son travail, ces créatures aux dimensions variables, leur prolifération, cette curiosité d’être systématiquement apode, tout semble a priori nous rapprocher d’une figure d’Alien et nous ne savons pas si ces créatures sont hostiles ou bienveillantes. Qui aura vu le fascinant film They Live de John Carpenter dans les années 80 aura d’éventuelles réminiscences, pas nécessairement sympathiques, de créatures extraterrestres aux visages colorés et aux yeux disproportionnés.
Mais si les œuvres de l’artiste japonais né en 1969 à Shimane ont déjà fait le tour du monde, la fascination pour ces petites figures anthropomorphes demeure un mystère entier.
Izumi Kato semble vouloir se libérer de toutes les contraintes et ne se laisser brider que par sa seule créativité. Ce n’est donc pas anodin s’il dit s’intéresser depuis toujours à l’art brut. La spontanéité de ces œuvres, dégagées le plus souvent des codes de l’histoire de l’art, partagent avec ses propres peintures ce diktat simple mais essentiel, la liberté.
Liberté technique déjà, que l’on retrouve dans les portraits de Jean Dubuffet avec l’œuvre duquel de nombreux parallèles pourraient être développés. Sans aucune obligation d’excellence et de résultat, Kato cherche avant tout à exprimer librement la forme, la couleur, et cherche à sculpter ses figures d’une manière si naturelle et simple qu’il en vient finalement dans sa peinture à abandonner les pinceaux pour utiliser ses propres doigts.
En à peu près vingt-cinq ans de création, l’évolution du travail d’Izumi Kato s’est traduite en glissements progressifs et réguliers, sans à coup violent, avec des modifications lentes tant dans la composition que dans les sujets, la technique ou encore la palette. Ce qui surprend malgré tout est l’incroyable cohérence de son travail, fruit d’une lente évolution, précise, calibrée et par étapes.
L’œuvre d’Izumi Kato témoigne paradoxalement d’une grande homogénéité, ce qui est assez remarquable compte tenu de l’étendue des techniques qu’il emploie, mais aussi d’une obsession coformes, par lassitude ou d’une urgence éditoriale imposée par une critique qui se lasserait.
Cela pourrait plutôt évoquer l’attitude d’un chaman qui voudrait parvenir à identifier toutes les incarnations d’une même idée, énergie, ou êtres, ou encore d’un entomologiste avide de découvrir toutes les familles d’une même espèce.
La pensée animiste veut que chaque élément de la nature puisse être le dépositaire ou l’incarnation d’un esprit, plus précisément, chaque élément de l’univers peut-être un esprit. Sous cette influence, Kato semble chercher à les identifier et à leur rendre hommage, sous toutes leurs formes.
Les récentes recherches de l’artiste ont plus que jamais enrichi ses propositions et nous ne pouvons malheureusement pas ici dresser un inventaire exhaustif de son inventivité technique et formelle, qu’il s’agisse des peintures sur des troncs d’arbres in situ, des pierres rassemblées comme par accident, sur lesquelles ses peintures viennent incarner des êtres, comme des kami (esprits très importants dans la culture japonaise et vénérés par le Shintoism) qui ont toujours été là, comme révélés par l’artiste.
Il est tout de même intéressant d’évoquer l’une des plus récentes évolutions de l’artiste à ce jour. Izumi Kato développe aujourd’hui de nouvelles séries qui emploient des tissus combinés à ses sculptures, en particulier depuis son exposition au Red Brick Art Museum de Beijing et très récemment à la Fundacion Casa Wabi de Puerto Escondido (Mexico). Il a déconstruit le principe des sacs mexicains fabriqués en fibre de cactus et assemblés en s’inspirant d’autres techniques traditionnelles, s’émerveillant en occurrence des différences entre les techniques mexicaines et japonaises des traditions séculaires de l’impression textile. Ces figures sont toujours essentiellement féminines ou masculines, mais il croise les âges, constituant des sortes de familles, afin d’explorer, peut-être, une forme d’universalisme.
Cette nouvelle forme de création a généré des silhouettes surprenantes, suspendues dans les airs, rattachées au sol par des poids, entrant dans un nouveau dialogue avec l’espace et entre elles. Dans une certaine mesure, il semble même les désincarner, comme pour renforcer leur dualité spirituelle et leur appartenance à notre monde, mais aussi à l’au-delà, peut-être l’in-fra-monde ? Le public a depuis quelques années appris à fréquenter ces créatures, à les amadouer et parfois même à être capable de dialoguer avec leur force paisible et leur éventuelle bienveillance, tout en veillant bien à les respecter, car l’attitude à observer est en effet similaire à un apprivoisement.
Sans leur donner la parole ou même un regard, Izumi Kato leur permet, notamment grâce à leurs attitudes et à leur simple présence, de dégager d’intenses émotions. Celles-ci, à travers les connexions qui s’installent entre le spectateur et ses sculptures, se traduisent parfois en une sorte d’étrange vibration qui en font des polarisateurs d’énergies, et c’est peut-être cet échange indéfinissable qui leur confère une aura en dehors du temps et de l’espace.
Matthieu Lelièvre
Izumi Kato est né en 1969 à Shimane, au Japon. Diplômé du Département de Peinture à l'Huile de l'Université Musashino en 1992, il vit et travaille maintenant entre Tokyo et Hong Kong.
Depuis la fin des années 1990, Kato crée un dialogue évolutif avec ses œuvres d'un autre monde mais anthropomorphisées à travers divers médiums. Avec la peinture comme point de départ, l'artiste a commencé à intégrer à sa pratique des sculptures en bois en 2003 et des sculptures en vinyle souple en 2012. Sa série de sculptures en pierre, que l’artiste a commencé en 2016 et la dernière série de tissus démarrée en 2018, dépeint les liens intimes entre soi, les autres et la nature.
En 2007, il a été invité à la 52e Exposition Internationale de la Biennale de Venise, organisée par Robert Storr. Les œuvres de Kato ont été exposées dans plusieurs musées et institutions prestigieuses, dont le Centre Pompidou-Metz, France; le Musée d'art contemporain du 21esiècle, Kanazawa, Japon; le Musée d'art contemporain de Hara, Tokyo, Japon; le Musée d'art contemporain de Tokyo, Japon; le Daimler Con-temporary Berlin, Allemagne; le Musée d'art moderne de Moscou, Russie; le Musée d'art de Haïfa, Israël; la Japan Society, New York, États-Unis; le Musée d'art de la brique rouge, Pékin et au Tai Kwun, Hong Kong, Chine, entre autres.
Galerie Perrotin
76 rue de Turenne
75003 Paris
Jours et horaires d’ouverture: du mardi au samedi de 11h à 19h.