Claire TABOURET «PAYSAGES D’INTÉRIEURS»
"Paysages d'intérieurs (bleu), 2021 de Claire TABOURET - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Perrotin Asie © Photo Éric Simon
Du 16 octobre au 18 décembre 2021
UNE PEINTURE OUATÉE
Les effigies d’enfants graves et pensifs opèrent comme le signe rémanent et puissant de la peinture de Claire Tabouret.
Est-ce à dire que l’univers de cette artiste serait fondamentalement constitué de cette ombre portée de l’enfance ?
Les tableaux de paysage présentés ici ont la particularité d’avoir été peints sur de la fourrure synthétique colorée et sont désignés par l’artiste depuis son atelier de Los Angeles comme des « fluffy landscape paintings », soit des tableaux de paysage « duveteux » ou «pelucheux». Tableaux réifiés en doudous, en objets transitionnels ?
La dimension imposante des tableaux nous oriente davantage vers une approche contrariée de la peinture, entre sensualité et âpreté du matériau ; Claire Tabouret mettant régulièrement sa technique, son aisance, à l’épreuve de nouvelles contraintes.
"Vase Visage I, III, II" et "Offrande (neon yellow)", 2021 de Claire TABOURET - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Perrotin Asie © Photo Éric Simon
On pourrait parler de dialectique de gestes contraires pour cette exposition : face à ces vastes paysages peints dans la durée avec reprises et insistance sur ces supports résistants, se déploie une série de monotypes de bouquets de fleurs, fluides et raffinés.
Claire Tabouret rappelle souvent l’importance séminale des Nymphéas de Monet dans sa vocation de peintre, plaçant volontiers son œuvre sous le signe aquatique du mouvant, depuis ses premiers tableaux de « maisons inondés » et ses barques de migrants. Ici encore, pour cette saison parisienne, elle décline un ensemble de pièces des sculptures de baigneuses, des vases de fleurs en céramique ou monotype, ces paysages maritimes vaguement méditerranéens ou californiens dont le fil directeur pourrait être celui de l’eau.
Toutefois, plus qu’un thème, il s’agit d’un traitement fluide, changeant de la forme et ici, surtout de technique, de processus. L’atelier inondé d’eau pour maintenir la terre humide ou fluidifier la peinture inéluctablement absorbée par la fourrure synthetique…
"Offrande (pale)", 2021 de Claire TABOURET - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Perrotin Asie © Photo Éric Simon
Monet évoquait un projet quasi inatteignable lorsqu’il parlait de ses Nymphéas : « J’ai repris encore des choses impossibles à faire : de l’eau avec de l’herbe qui ondule dans le fond... c’est admirable à voir, mais c’est à rendre fou de vouloir faire ça. Enfin je m’attaque toujours à ces choses-là (1) ! ». S’il y a du tragique dans la quête de Monet, chez Claire Tabouret, la mélancolie côtoie le jeu, ludique et hasardeux, constants dans l’invocation de l’enfance.
Ainsi, l’artiste tente-t-elle de mettre sa peinture en tension par la contrainte technique, aspirant à une adéquation, entre son iconographie et son incarnation picturale et matérielle, selon des déclinaisons technico-poétiques. Nous avons parlé de réification : une tentation de volumétrie assumée à travers son travail de sculpture, sa pratique de modelage, initiés déjà depuis quelques années et qui dénotent une volonté de fusion quasi sensuelle avec la matière.
Pour l’exposition « If only the sea could sleep », au Hangar à bananes à Nantes, elle peint des luttes d’amour sur des voiles de bateaux récupérées et affronte la difficulté de l’échelle monumentale et de pigments inhabituels huile de moteur de bateau, rouille pour faire corps avec le support.
"Paysages d'intérieurs (noir)", 2021 de Claire TABOURET - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Perrotin Asie © Photo Éric Simon
Avec ses tableaux « fluffy », Claire Tabouret revient au paysage, transposant son système chromatique de recouvrement d’une surface colorée vive et unie par le recours au matériau de fourrure synthétique fluo en support. L’irradiation sourde de la composition se fait plus franche, plus lumineuse que dans sa série sombre et métaphysique de maisons inondées (2010/11). Le caractère cézannien de ces vues maritimes est nettement perceptible.
L’artiste, parmi quelques sources photographiques, s’est fixée sur la reproduction d’un petit paysage de Morandi, quasiment une ébauche, dont la touche est très visible, presque maçonnée, formant comme des entailles. Le grand paysage rose avec ses zones animées de touches différenciées, du pointillé à la griffure, évoque quant à lui, par son chromatisme et sa vibration, certains tableaux de Matisse ou Derain à Collioure.
"Paysages d'intérieurs (rouge)", 2021 de Claire TABOURET - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Perrotin Asie © Photo Éric Simon
Le jeu de « découpe » sur les fonds synthétiques rose bonbon ou bleu électrique permet une forme de déréalisation pop des paysages qui s’inscrit bien dans le contexte de l’art américain et particulièrement de la côte ouest. On songe plus spécifiquement à la peinture de Romare Bearden, qui s’inspire de la pratique vernaculaire du Quilt, du patchwork / assemblage de tissus –, ou, aujourd’hui, Henry Taylor, Faith Ringgold ou Mikalene Thomas.
Mais aussi aux vues de canyon des années 1980 de David Hockney qui, par un coloris vif et simple, un dessin linéaire et sinueux et une composition en aplats, forment les paysages stylisés emblématiques du pop art californien.
"Paysages d'intérieurs (mauve)", 2021 de Claire TABOURET - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Perrotin Asie © Photo Éric Simon
C’est encore à l’artiste britannique que l’on pense, face à la série de bouquets, monotypes plus « mouvants » et indécis, plus « suggestifs » que les petites peintures, gravures ou peintures Ipad, nettes et incisives, créées presque tous les jours par le premier.
La pratique du monotype sur plaque de plexiglass forme l’exact contrepoint aux peintures sur fourrure synthétique, par la rapidité, la fluidité et la sérialité du procédé. Doit-on y voir une forme d’exercice quotidien à la manière des autoportraits à l’encre sur papier de riz que l’artiste a multiplié depuis un séjour à Pékin et qu’elle qualifiait de « rituel d’atelier » ?
"Paysages d'intérieurs (ocre)", 2021 de Claire TABOURET - Courtesy de l'artiste et de la Galerie Perrotin Asie © Photo Éric Simon
Le motif du bouquet peint s’apparente bien souvent – chez Renoir, chez Matisse ou chez Hockney – à faire ses gammes, sorte d’exercice pur de peinture. Claire Tabouret parle d’écriture automatique qu’il convient d’opposer à la gestation lente, hésitante et puissante des paysages sur moquette, sorte de recompositions intériorisées, collages de multiples sources visuelles et de sensations.
Par la technique du monotype, elle orchestre des variations et permutations colorées extrêmement subtiles à partir d’un même motif, générant ainsi l’idée de dédoublement et de disparition - un « ça a été » mélancolique tel que Barthes l’attribuait à la photographie.
Paysages roses ou bleus, théorie de bouquets de roses, de tulipes, de chèvrefeuille, comme autant de combinaisons colorées, positifs et négatifs, jaune citron, vert d’eau, bleu émeraude, rose thé, brun de sienne... - Claire Tabouret crée un jardin féerique.
- Cécile Debray, le 8 août 2021
1. Lettre de Claude Monet à Gustave Geffroy du 22 juin 1890, citée dans Gustave Geffroy, Monet, sa vie, son œuvre [1924], Paris, Macula, 1980, p. 30
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